Intervention de Pierre Sellal

Réunion du 8 janvier 2014 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Pierre Sellal, Secrétaire général du ministère des affaires étrangères :

Notre expérience en matière de politique des visas a montré que nous devons utiliser chacun de nos moyens d'action au service d'objectifs plus larges : développement des échanges économiques, attractivité, promotion du tourisme. Pendant longtemps, la politique des visas a été conçue en fonction d'un objectif principal, voire exclusif : le contrôle de l'accès au territoire au nom de la sécurité et de la maîtrise des flux migratoires. Mais nous nous sommes rendu compte que cette politique – c'est-à-dire la manière dont nous accueillons les demandeurs, la rapidité avec laquelle nous leur délivrons un visa, les facilités plus ou moins grandes que nous leur accordons pour voyager – constitue un instrument d'attractivité très efficace. Lorsque nous sommes performants, nous attirons en France des touristes, des hommes d'affaires et des investisseurs. Lorsque nous le sommes moins que d'autres, nous perdons des parts de marché, notamment au bénéfice de nos partenaires Schengen. C'est d'ailleurs un domaine dans lequel le benchmarking est essentiel. Nous avons repensé notre politique des visas avec le ministère de l'intérieur. Nous considérons désormais qu'elle doit servir deux objectifs à parts égales : la sécurité et l'attractivité. Nous avons ainsi ajouté un instrument à notre panoplie.

Le cas de la Chine a été le plus flagrant. Au nom de l'objectif prioritaire de sécurité et des contrôles en résultant, nous avions fini par détourner le flux des demandeurs de visas à nos dépens et au profit des autres membres de l'espace Schengen, notamment de l'Allemagne, en particulier à Shanghai. En conséquence, le nombre de voyageurs chinois a immédiatement diminué sur Air France et augmenté sur Lufthansa, de même que le nombre de touristes chinois a baissé en France et crû en Allemagne. Aujourd'hui, nous avons rétabli la situation et nous délivrons les visas plus rapidement que nos partenaires en Chine, ce qui nous confère un avantage comparatif. Cet exemple illustre bien le nouvel état d'esprit qu'il convient d'adopter et les moyens concrets à mettre en oeuvre pour renforcer notre attractivité.

D'autre part, la politique des visas est un domaine dans lequel nous pouvons aller plus loin dans la mutualisation des moyens avec nos partenaires Schengen. En particulier, l'externalisation du traitement des demandes peut être réalisée de manière commune. Cela permet de réaliser des économies, notamment en matière immobilière.

La pression sur nos moyens est constante depuis trente-cinq ans ! Les efforts demandés au ministère au titre de la RGPP hier et du redressement des comptes publics aujourd'hui sont du même ordre de grandeur que ceux qui sont demandés aux autres administrations, mais ils s'ajoutent aux contributions antérieures.

Les ambassadeurs thématiques ne constituent en rien une particularité française. Toutes les diplomaties désignent des ambassadors-at-large – pour reprendre la terminologie américaine – ou des représentants spéciaux pour remplir une mission ponctuelle, diriger une délégation ou prendre en charge une négociation particulière. En ce qui concerne la France, ces ambassadeurs sont pour les deux tiers des agents du ministère des affaires étrangères : ils ne représentent donc pas une dépense supplémentaire. La Cour des comptes avait étudié la question à votre demande et avait évalué le coût de ces ambassadeurs à 0,2 % de la masse salariale du Quai d'Orsay. En outre, vous pourrez constater dans les semaines qui viennent qu'il n'y a pas de statu quo en la matière, monsieur Loncle.

La France est très bien représentée au sein du SEAE, tant quantitativement que qualitativement. De nombreux diplomates français ont en effet participé à la procédure de sélection assez complexe afin de rejoindre le SEAE. Au bout de deux ans, les Français étaient la première nationalité au sein du service. Ils le restent, mais depuis un ou deux ans, les choses sont un peu plus difficiles, nos grands partenaires ayant manifesté une volonté de rattrapage et Mme Ashton menant une politique visant à équilibrer la représentation de tous les États membres. Mais la France demeure le pays qui compte le plus de diplomates nationaux au sein du SEAE. En 2014, le mandat de Mme Ashton prendra fin et M. Vimont, secrétaire général exécutif, partira en retraite. Nous nous employons à préparer la relève.

Nous avons un dispositif très complet d'identification des postes à caractère stratégique au sein de la Commission européenne. Il ne s'agit pas seulement des postes les plus élevés dans la hiérarchie. En effet, les responsables d'unités de la Commission peuvent jouer un rôle essentiel : leurs propositions de directive ou leurs avis en matière d'aides d'État ou d'opérations de concentration industrielle remontent souvent jusqu'au collège des commissaires sans être modifiés de manière substantielle. Parallèlement, nous repérons, au sein des services de la Commission, les fonctionnaires susceptibles d'occuper ces postes.

De plus, nous préparons la mise en place de la nouvelle Commission. Nous identifions, au sein du vivier des fonctionnaires nationaux et de celui des fonctionnaires français de la Commission, ceux qui sont susceptibles d'occuper des postes dans les cabinets des futurs commissaires en fonction de leur expertise et de leurs compétences, notamment linguistiques. Nous serons prêts au moment où interviendront les désignations des membres de la Commission.

D'une manière générale, la situation demeure très favorable pour la France, tant au sein de la Commission que du SEAE. Mais la compétition est rude. La position des États fondateurs a été ébranlée par les élargissements successifs, ce qui était inévitable. Notre stratégie est donc en partie défensive : nous nous efforçons de conserver aux Français les postes que nous considérons les plus importants. Mais nous veillons également au renouvellement des générations. C'est là une tâche essentielle de notre représentation permanente à Bruxelles. Je continue à suivre ce dossier personnellement.

Vous avez raison, monsieur Lellouche : nos actions de coopération et les expertises techniques que nous finançons doivent aussi contribuer à nos objectifs économiques. Il faut une stratégie globale en la matière. En revanche, j'éviterais de poser la question de l'aide liée en termes binaires ou de principe : nous risquerions d'être perdants dans ce débat à l'OCDE. Il convient de profiter de chacune des actions que nous engageons dans un pays donné pour atteindre nos objectifs économiques, mais de manière aussi intelligente et habile que possible.

Dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), nous avons décidé une mise à plat du dispositif français d'expertise internationale. C'est un domaine dans lequel notre action présente des faiblesses, car nous sommes mal organisés. Alors que l'Allemagne dispose d'un opérateur unique, doté de 2 000 à 3 000 experts et d'une surface financière de 1 à 1,5 milliard d'euros, la France compte près d'une dizaine d'agences ministérielles compétentes. Or, il conviendrait de dépasser une certaine masse critique pour bénéficier pleinement des fonds multilatéraux, en particulier européens. Votre souci de valoriser au mieux nos actions de coopération au service de nos objectifs économiques est bien celui qui anime notre réflexion sur l'expertise, monsieur Lellouche.

Nous pouvons tirer deux enseignements de notre échec dans le domaine nucléaire à Abou Dabi. D'abord, quelle que soit la qualité de notre relation politique avec un pays donné, la réalité reste celle de la concurrence internationale : la terre entière se rue sur les marchés du Golfe. Il convient donc toujours de formuler l'offre la plus compétitive en termes de coût comme de qualité. Ensuite, nous jouons perdants si nous partons divisés. Notre échec tient avant tout à notre défaut d'organisation : nous n'avons pas su construire, avec nos champions du nucléaire, un consortium capable d'affronter la concurrence coréenne. Mais la leçon a été retenue : nous sommes aujourd'hui en mesure de constituer une véritable équipe française susceptible de répondre à l'appel d'offres que lancera peut-être l'Arabie saoudite si elle décide de mettre en oeuvre son programme nucléaire.

Monsieur Charasse, il existe en effet un risque que le conflit politique en République centrafricaine prenne un tour religieux et interconfessionnel. Nous devons donc rester clairs dans nos objectifs et agir avec détermination pour les réaliser : procéder au désarmement des milices de manière aussi impartiale que possible – ce que font nos soldats sur le terrain ; rétablir la sécurité – c'est la priorité absolue ; faciliter autant que possible l'acheminement de l'aide humanitaire, en particulier à Bangui, où la situation est dramatique ; préparer la transition politique, qui ne dépend pas de nous, mais sans laquelle aucun des objectifs précédents ne sera durablement atteint.

Certes, la situation demeure très préoccupante, mais il serait excessif de parler d'enlisement. En outre, nous travaillons à obtenir une participation européenne. Il ne s'agit pas, madame la présidente, de transformer l'intervention française en opération européenne. Nous souhaitons que l'action européenne complète la nôtre et celle de l'Union africaine de manière aussi efficace que possible. La mission de l'Union européenne pourrait avoir plusieurs volets : sécurisation, aide humanitaire et, à l'avenir, formation des forces de sécurité centrafricaines.

La diplomatie parlementaire doit faire partie de notre panoplie. La visite d'une délégation parlementaire est un moyen supplémentaire de marquer la présence de la France dans un pays donné. Certains de nos partenaires, en particulière l'Allemagne, pratiquent une diplomatie parlementaire plus active que la nôtre, tant à l'échelle européenne qu'au niveau mondial. Le ministère et les ambassadeurs font tout pour encourager et accompagner la diplomatie parlementaire, dans tous les domaines.

La diplomatie économique doit en effet s'adresser non seulement aux grands groupes, mais aussi aux PME et aux ETI. Nous nous sommes aperçus que beaucoup de celles-ci connaissaient mal, d'une part, les opportunités sur les marchés extérieurs et, d'autre part, notre organisation politico-administrative. Les ambassadeurs pour les régions, qui connaissent bien le fonctionnement de l'appareil diplomatique, peuvent jouer un rôle d'intermédiaire et leur apporter une aide précieuse : les informer, les orienter vers le bon guichet ou la bonne procédure, les aider à établir un contact avec les postes ou les ambassadeurs.

En outre, il convient d'encourager la logique de filière. Nous avions d'ailleurs conçu la partie économique de la dernière conférence des ambassadeurs dans cet esprit. Dans chaque grand secteur économique, une grande entreprise peut jouer un rôle de chef de file et entraîner derrière elle de nombreuses PME et ETI. C'est déjà ce qui se fait dans les secteurs de l'énergie et des transports. Nous cherchons à organiser notre équipe dans le domaine nucléaire selon ce même schéma. Nous aurons à poursuivre nos efforts et imiter nos partenaires allemands, plus efficaces que nous pour l'organisation de filières sectorielles.

Le développement des communautés françaises à l'étranger constitue un atout remarquable, sur lequel on peut s'appuyer. Nous sommes conscients du rôle que joue pour cela la qualité des services consulaires, mais nous cherchons à organiser ces services afin qu'ils soient aussi efficaces et peu coûteux que possible. Dans des pays tels que l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne, nous maintiendrons un maillage serré, mais nous concentrons l'état civil et l'aide sociale dans les postes consulaires les plus importants. Nous ne disposons pas d'un nombre d'emplois suffisant pour confier l'ensemble des compétences actuelles à tous les postes.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Le Borgn' : il importe de maintenir une relation de proximité avec les communautés françaises, sous des formes diversifiées. Et si nous fermons des consulats – il n'y a cependant aucune fermeture prévue en Europe en 2014 –, nous devons donner les moyens de fonctionner aux dispositifs de substitution, en particulier aux consuls honoraires. Et être en mesure d'apporter des prestations à nos compatriotes grâce aux dispositifs électroniques mobiles que vous avez évoqués.

S'agissant de la Maison de France à Berlin, nous évaluons les différences options. Aucune décision définitive n'a été prise.

Pourquoi le ministère des affaires étrangères conduit-il une politique de cessions immobilières ? D'une part, certaines implantations ne sont plus adaptées à nos besoins. Il peut s'agir de bâtiments à caractère somptuaire ou de surfaces libérées par d'autres administrations qui ont renoncé à leurs services à l'étranger et dont nous n'avons pas l'usage. D'autre part, ces cessions nous permettent de financer nos investissements : la création de nouvelles ambassades, la restructuration et l'entretien du parc existant, la sécurisation de nos implantations.

Mais la logique financière n'est pas exclusive : les opérations immobilières visent à mieux structurer nos implantations, afin de renforcer notre capacité d'action, notre efficacité et notre rayonnement. Tel a été le cas en Argentine, où nous avons vendu une résidence certes séduisante, mais éloignée du centre et peu adaptée aux besoins d'un ambassadeur aujourd'hui. Nous en avons profité pour restructurer l'ambassade elle-même et en faire un outil de représentation et de travail à la disposition de l'ensemble des services de l'État. Enfin, nous avons dégagé un bénéfice utilisable dans d'autres opérations.

En matière immobilière, nous prenons chacune de nos décisions après en avoir mesuré toutes les conséquences. Lorsqu'une cession ne paraît pas opportune au vu de l'état du marché, ou parce qu'elle reviendrait à brader le patrimoine de l'État, nous ne la réalisons pas. En outre, il nous faut parfois tenir compte du caractère symbolique de certaines implantations qui contribuent au rayonnement de la France dans un pays donné. Mais nous ne devons pas non plus être entravés par la seule force des traditions ou de l'inertie.

Je vous rejoins, Monsieur Bacquet : l'efficacité en matière économique est affaire de cohérence et de coordination. Il est arrivé que nous ne tirions pas tous dans le même sens, notamment à Abou Dhabi. S'agissant du rapprochement envisagé entre Ubifrance et l'AFII, on doit concilier deux exigences : respecter la spécificité de chaque métier et améliorer l'efficacité de notre dispositif. Il ne faudrait pas, bien sûr, fragiliser notre expertise et nos compétences en procédant à une restructuration administrative hasardeuse. Nous devons au contraire les renforcer. La réflexion est en cours et nous nous efforçons de trouver le meilleur compromis possible. Quant à la piste de la double tutelle, elle est susceptible d'apporter en effet davantage de cohérence à notre dispositif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion