Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 17 décembre 2013 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

M. Myard a posé une question pertinente. Si la tutelle est tombée en désuétude, d'autres mécanismes s'en rapprochent, à commencer par celui dit « Kosovo » ou celui d'assistance technique renforcée. C'est ce dernier modèle que nous préconisons, dans au moins quatre domaines : la police et la sécurité, les finances publiques, l'assistance humanitaire et l'administration locale – état-civil et élections.

Il n'y a pour ainsi dire plus d'administration en Centrafrique. Les préfets, de surcroît, ont presque tous été nommés par M. Djotodia. Celui-ci occupe pour l'instant le pouvoir avec M. Tiangaye, mais, si la situation n'était plus stabilisée, il faudrait un étai ; d'où notre proposition aux Nations unies.

Les ressortissants français sur place, madame Imbert, sont au nombre de 642, dont 350 binationaux ; 23 familles ont sollicité une aide financière pour rentrer en France, et 54 personnes sont sous protection dans le site dit des « dix-sept villas ». Beaucoup de ces ressortissants ont subi des exactions, mais ils sont souvent très attachés à leur terre d'accueil : les services du ministère sont bien entendu à leur disposition et très mobilisés pour les aider ou faciliter leur retour.

J'ai rappelé les trois objectifs de l'intervention pour la clarté de l'exposé, monsieur Poniatowski, mais il va de soi que la France n'est pas chargée de les mener tous à bien. Elle agit au demeurant dans le cadre de l'ONU, et son rôle est d'abord de contribuer à la sécurisation. À terme, la MISCA devra prendre le relais : c'est le sens du délai de six mois qui a été fixé. Au Mali, par exemple, les soldats français ne seront bientôt plus que 1 000, après avoir été 5 000.

Pour l'heure, la France joue un rôle important avec l'ONU, mais elle n'a nullement l'intention de se substituer à celle-ci pour assurer la transition politique. Quant à l'aide humanitaire, nous y contribuons également, mais aux côtés de l'ONU, de l'Union européenne et des ONG.

S'agissant de la situation humanitaire, un habitant sur dix a quitté son foyer et, selon nos estimations, 2,3 millions de personnes ont besoin d'une assistance d'urgence. Je rappelle qu'il n'existe que sept chirurgiens pour 4,5 millions d'habitants.

La France a augmenté son aide financière à la République centrafricaine : 2,5 millions d'euros ont été versés au cours du premier semestre de 2013 au titre de l'aide alimentaire d'urgence, et environ 10 millions, sur quinze mois, via l'Agence française de développement (AFD). Enfin, la France contribue à l'aide humanitaire engagée par l'Union européenne – j'en ai indiqué les montants.

Monsieur Candelier, je ne partage pas votre raisonnement selon lequel l'ONU devait envoyer des troupes, mais pas la France. La France est membre de l'ONU, et même membre permanent de son Conseil de sécurité qu'elle fut la première à saisir du problème. Comment, dans ces conditions et après le vote unanime de la résolution 2127 par les quinze pays membres, aurait-elle pu inviter ces derniers à s'engager sans le faire elle-même ?

Quant aux intérêts économiques, il n'y en a aucun.

M. Candelier a cependant raison de souligner la nécessité de mettre un terme aux ingérences. Plusieurs orateurs se sont étonnés que la France n'ait pas soutenu M. Bozizé. Je veux à cet égard réaffirmer une position de principe : la France ne soutient pas, ou plus, tel ou tel gouvernement ; elle soutient les Africains. Les membres de l'Union africaine et de la CEEAC ont pris acte de l'arrivée au pouvoir de M. Djotodia, auquel ils ont rappelé les termes de la légalité. Je rappelle aussi qu'en vertu d'une décision de l'Union africaine et de la CEEAC, entérinée par l'ONU, ni M. Djotodia, ni M. Tiangaye, ni aucun membre du Gouvernement ou du bureau de l'Assemblée nationale n'auront le droit de se présenter aux futures élections. L'Union africaine a sur ce point une position très claire : les dirigeants installés suite à un coup d'État ne peuvent légitimer celui-ci en se faisant élire a posteriori. Ainsi M. Traoré, homme par ailleurs très estimable, n'a pu se présenter aux élections maliennes.

L'activité économique étant à l'arrêt, monsieur Baumel, la Centrafrique n'a plus de ressources. Le trafic routier vers le Cameroun et le Tchad sera prochainement rétabli, mais pour l'approvisionnement en ressources, l'effet restera très limité.

La comparaison avec l'Afghanistan n'est pas fondée, monsieur Folliot. En tout état de cause, nous n'avons pas l'intention de « tenir » le pays. Ce matin, un journaliste américain félicitait la France d'être devenu un « faucon » : il se trompe. La France veut seulement contribuer à la paix et à la sécurité.

Beaucoup de chrétiens et de musulmans, monsieur Pueyo, sont paisibles et modérés, il faut leur permettre de le rester. À cet égard, les responsables religieux font un travail particulièrement utile.

Quant au partage du problème, monsieur de La Verpillière, la France défendra, au cours du Conseil européen de jeudi et vendredi, l'idée d'un fonds financier permanent. Un tel instrument ne réglerait certes pas rétroactivement la question financière, mais, comme on l'a plusieurs fois rappelé, la situation en Centrafrique concerne l'Europe et l'Afrique dans leur ensemble. Il n'y a donc pas de raison que la France, qui sacrifie déjà beaucoup d'hommes, assume seule la charge financière de l'opération. Nous souhaitons la création d'une force panafricaine ; si, d'ici là, d'autres opérations ont lieu, il serait normal que la France ne soit pas la seule à les financer.

Nous avons voulu décrire la situation telle qu'elle est, monsieur Bacquet. Nous pensons, au regard des moyens déployés, qu'il devrait être possible de résoudre les difficultés, qui sont considérables. La France assume sa part, et même davantage, aux côtés des États africains. L'Europe reste à ce jour insuffisamment mobilisée. Les États-Unis apportent une aide logistique et financière. Quant à l'ONU et à son secrétaire général, ils sont très mobilisés.

Comme l'a souligné le Président de la République, c'est la tâche et l'honneur de la France de contribuer au règlement de cette crise, même si nous n'avons pas vocation à rester durablement sur place. Lorsque l'on voit un homme se noyer, et que l'on est l'un des seuls à pouvoir lui porter secours, il est difficile de passer son chemin en sifflotant.

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