Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Adaptation au droit de l'union européenne dans le domaine de la santé — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre des affaires sociales et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis vise à remplir l’obligation constitutionnelle de pleine application du droit communautaire.

En matière de santé, l’Union européenne complète les politiques nationales, encourage la coopération entre les États membres et appuie leur action. En outre, en matière de médicaments, les traités lui confèrent une compétence directe. Enfin, les règles visant la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de service ont une incidence dans le domaine de la santé.

Dans tous les cas, l’adaptation au droit européen implique une retranscription fidèle et précise de dispositions que le législateur national ne peut pas modifier. Mais les textes européens laissent également des marges de liberté ; le projet que nous examinons s’est efforcé de les utiliser, avec parcimonie.

Les mesures d’adaptation qu’il comporte visent tout d’abord à parachever la libre circulation des patients en Europe prévue par la directive du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. Les modifications à apporter sont minimes, car le droit d’obtenir des soins dans un État membre différent de l’État d’affiliation est largement effectif en France aujourd’hui. L’attractivité bien connue de notre système de soin nous conduit d’ailleurs à dégager chaque année des excédents en la matière.

La directive prévoit que l’État membre impose à tout praticien de disposer d’une assurance en responsabilité civile professionnelle. Les articles 1er et 2 du projet de loi étendent cette obligation aux ostéopathes et aux chiropracteurs sur le modèle de celle qui régit d’ores et déjà les professionnels de santé. Afin de mieux adapter les contrats d’assurance existants aux nouvelles garanties envisagées, votre commission des affaires sociales, par amendement, a différé l’entrée en vigueur de cette disposition au 1erjanvier 2015. Les patients seront ainsi certains de bénéficier du même niveau de garantie que pour les soins prodigués par des professionnels de santé à proprement parler.

Cette mesure est particulièrement opportune : il existe en France 19 000 ostéopathes non-médecins ; leur nombre a connu une très forte hausse en raison de la trop grande facilité avec laquelle certains organismes privés de formation ont bénéficié d’un agrément entre 2007 et 2012. À cet égard, je me félicite, madame la ministre, que vous ayez engagé une concertation approfondie avec vos services pour réformer le secteur de l’ostéopathie, une pratique dont l’encadrement relève du pouvoir réglementaire, et ce, notamment, dans le but d’améliorer la qualité des formations.

Il reste que la garantie assurantielle ne couvre que les cas de faute. Dans les situations de dommage sans faute, l’indemnisation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, restera inaccessible en matière d’ostéopathie et de chiropraxie, car ces deux méthodes thérapeutiques ne sont pas reconnues comme des professions de santé. Il peut donc en résulter une rupture d’égalité. En outre, en l’absence de reconnaissance d’une spécialité d’expertise dans chacune de ces professions, il paraît difficile de déterminer, notamment au contentieux, le respect ou non des règles de l’art. Je sais, madame la ministre, que, sur tous ces sujets, vous êtes à l’écoute des professionnels.

Toujours dans le but de faciliter la circulation des patients en Europe, la directive prévoit que les États membres reconnaissent, pour les médicaments autorisés sur leur territoire, la validité des prescriptions médicales établies dans d’autres États membres. En conséquence, l’article 7 harmonise le contenu des prescriptions transfrontalières pour les médicaments biologiques, les médicaments biologiques similaires, les médicaments immunologiques, les médicaments dérivés du sang et les médicaments de thérapie innovante.

Par amendement, la commission des affaires sociales a prévu qu’un décret définira les mentions qui devront figurer dans l’acte de prescription des dispositifs médicaux, afin de faciliter leur délivrance transfrontalière. De même, elle a prévu l’attribution d’un « label éthique » symbolisé par un pictogramme distinctif qui pourra être apposé, en France, sur les médicaments dérivés du sang issus d’une filière de don gratuit, bénévole et anonyme. Ce système éthique fonctionne grâce au 1,7 million de donneurs que compte notre pays. Ce label permettra de le reconnaître et de le valoriser. Dans le respect du droit européen, il nous revient en effet de promouvoir cette éthique du don, qui figure parmi les principes fondateurs de la filière du sang en France. Adapter notre droit au cadre européen, ce n’est pas seulement transposer a posteriori, c’est aussi montrer la voie aux autres États membres. Je suis convaincu qu’avec cet amendement, nous donnons à l’Europe le signal qu’elle attendait de notre part.

En deuxième lieu, le projet de loi adapte les dispositions du code de la santé publique au règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques ; c’est l’objet de l’article 3. L’unification des règles dans les différents États membres représente une simplification administrative importante, voire majeure : elle est dans l’intérêt des entreprises françaises du secteur de la beauté, qui sont leaders mondiaux dans le domaine – il ne faut pas bouder notre plaisir – et qui exportent les deux tiers de leur production, ce qui leur permet de présenter une balance commerciale fortement excédentaire.

Au vu de l’extrême précision du règlement, la plupart des dispositions de l’article consistent en une pure retranscription ou renvoient aux dispositions spécifiques du texte européen. Mais le règlement laisse des marges de manoeuvre, ce qui nous permet de compléter le dispositif européen de cosmétovigilance, par exemple en maintenant l’obligation pour les professionnels de santé de notifier à l’autorité nationale compétente les effets indésirables graves qu’ils pourraient constater.

Par amendement, la commission a réaffirmé le principe de reconnaissance automatique entre les États membres des qualifications des personnes chargées d’évaluer la sécurité des produits cosmétiques. Elle a simplifié la distinction entre, d’une part, les effets indésirables graves qui pourraient être liés à l’utilisation des produits cosmétiques, qui sont soumis à obligation de déclaration à l’autorité nationale, et, d’autre part, les autres effets indésirables, dont la déclaration est facultative, et supprimé une catégorie intermédiaire qui n’était pas prévue par le règlement européen et qui était assez peu compréhensible.

La commission a également distingué la déclaration des effets indésirables de celle des effets résultant d’un mésusage du produit cosmétique. Le délai dans lequel les fabricants et les distributeurs de produits cosmétiques doivent déclarer les effets indésirables graves a en outre été précisé.

Enfin, concernant les tatouages, afin de mieux mesurer la part des effets indésirables qui pourraient résulter de pratiques illégales ou irrégulières et de distinguer ces dernières des activités des artistes tatoueurs régulièrement établis, tenus de respecter des normes et des règles très précises, la commission a prévu que la déclaration des effets indésirables sera systématiquement complétée par une description des conditions dans lesquelles le tatouage a été réalisé. Il s’agit de comprendre si celui-ci a été fait dans les règles de l’art par un professionnel agréé ou, au contraire, de façon irrégulière.

En matière de médicaments, les articles 5 et 6 achèvent la transposition des objectifs fixés par deux directives qui ont modifié la directive du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

L’article 5 ratifie une ordonnance du 19 décembre 2012 visant à transposer la directive du 8 juin 2011 relative à la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés. Le projet de loi définit le médicament falsifié, renforce la lutte contre la falsification des matières premières du médicament, qui proviennent dans 80 % des cas de pays tiers à l’Union européenne, en particulier l’Inde et la Chine. De même, l’activité purement financière de courtage en médicament est réglementée, afin de mieux repérer les montages frauduleux liés aux activités des faussaires.

La directive européenne a fait le choix de généraliser à l’ensemble des États membres une offre légale sur internet de médicaments – évidemment – non falsifiés. De plus, conformément à l’arrêt « DocMorris » de la Cour de justice de l’Union européenne du 11 décembre 2003, les États membres ne peuvent exclure de la vente en ligne que les médicaments soumis à prescription médicale obligatoire. Les textes nationaux doivent donc prévoir que l’ensemble des médicaments ne répondant pas à ce critère peuvent être vendus en ligne, ce qui est plus large que les seuls médicaments actuellement vendus dans les officines en accès direct, devant le comptoir, alors même qu’ils sont les plus adaptés à l’automédication. Or, on l’a dit, la vente en ligne comporte des risques, non seulement de vente de produits falsifiés sur des sites créés par des faussaires, mais aussi de surconsommation médicamenteuse.

Ni la Cour de justice de l’Union européenne ni la directive ne remettent en cause le droit pour un État membre de prévoir le monopole de la délivrance des médicaments par des pharmaciens d’officine, y compris en cas de vente en ligne. Aussi le présent texte fait-il le choix de s’appuyer sur les pharmaciens d’officine et d’encadrer strictement l’activité de vente en ligne de médicaments : la vente n’est possible qu’à partir du site internet d’une officine dont le pharmacien est entièrement responsable et où il exerce pleinement son devoir de conseil. La commande est préparée au sein de l’officine, dans un espace adapté. Le site internet, autorisé par le directeur général de l’agence régionale de santé concernée, constitue ainsi le prolongement virtuel d’une officine de pharmacie.

On sait que la vente en ligne représente aujourd’hui une part tout à fait négligeable du chiffre d’affaires du secteur et que l’activité liée aux médicaments est quasi inexistante : les Français sont attachés à leurs pharmacies et aux conseils qui leur sont prodigués. Au regard de la densité et de la qualité du réseau français des pharmacies d’officine, la possibilité d’acheter certains médicaments en ligne représente en plus un faible avantage pour le patient. En outre, cela compense mal les nouveaux risques, notamment ceux liés aux activités des faussaires. Reste que, au vu des exigences du droit européen, l’encadrement rigoureux qu’il nous est proposé de mettre en oeuvre constitue la meilleure solution, de même, d’ailleurs, qu’un exemple à suivre pour les autres États membres qui s’apprêtent à autoriser la vente en ligne.

Par ailleurs, l’article 6 transpose une directive relative à la pharmacovigilance qui définit les nouvelles obligations des titulaires d’autorisation de mise sur le marché. Ils doivent désormais informer l’Agence nationale de sécurité du médicament, non seulement de la fin de la commercialisation d’un médicament dans un autre État membre de l’Union européenne, mais aussi de toute action engagée pour suspendre sa mise sur le marché, le retirer du marché, solliciter le retrait de l’autorisation de mise sur le marché ou ne pas en demander le renouvellement. Surtout, ils doivent informer l’agence des raisons de leur action lorsque le médicament concerné est nocif, quand l’effet thérapeutique fait défaut, que le rapport bénéfices-risques n’est pas favorable ou encore que le médicament n’a pas la composition déclarée. Cette nouvelle obligation de motivation des informations permettra d’améliorer l’évaluation bénéfices-risques des médicaments.

Enfin, l’article 4 vise à mettre un terme à une procédure d’infraction initiée contre la France en 2007 par la Commission européenne pour « entraves à la commercialisation des lentilles de contact ». Les imprécisions du cadre juridique actuel sont en effet susceptibles de constituer un obstacle à la libre prestation de services en la matière. Pendant cinq années, le précédent gouvernement n’avait pas pu mettre un terme à cette procédure qui a exposé la France à la menace de lourdes pénalités financières. Aussi le Gouvernement a-t-il utilisé le vecteur d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, déposé pendant l’été, pour clore cette affaire. L’article 4 prévoit donc expressément la vente en ligne de lentilles oculaires correctrices, mais aussi son encadrement. Les prestataires concernés doivent permettre aux patients d’obtenir des informations et des conseils auprès d’un professionnel de santé qualifié.

Comme l’a expliqué Mme la ministre, les dispositions de cet article 4 figurent désormais dans l’article 17 quater du projet de loi sur la consommation, introduit par amendement au Sénat en septembre dernier et modifié à l’Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture en décembre dernier. Comme le texte sur la consommation sera promulgué avant celui que nous examinons actuellement, et afin d’éviter tout risque de condamnation de la France, je défendrai un amendement visant à supprimer l’article 4.

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