Intervention de Gilles Savary

Réunion du 16 octobre 2012 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Sur les transports qui sont une compétence partagée de l'Union, nous avons décidé de travailler à trois, en lien régulier. Je m'occupe plus spécialement des transports terrestres, Annick Girardin de l'aérien et Didier Quentin du maritime et fluvial. Je dois d'ailleurs excuser l'absence de ce dernier.

Cette proposition, qui abroge une directive de 2009, ambitionne de mettre à jour les règles harmonisées relatives au contrôle technique des véhicules à moteur, et de leurs remorques, aux fins de renforcer la sécurité routière et la protection de l'environnement. Pour la Commission européenne cette proposition devrait contribuer à atteindre l'objectif d'une réduction de moitié du nombre de victimes de la route d'ici à 2020 et à la réduction des émissions associées, dans le secteur du transport routier, au mauvais entretien des véhicules.

Il va de soi que vos rapporteurs ne peuvent que partager ces objectifs. Néanmoins ils doivent vous faire part de leur perplexité devant un texte qui va accroître les charges des automobilistes, en créer de nouvelles pour les motards, sur la base d'informations données par la Commission européenne, dont ils sont en mesure de certifier ni la pertinence, ni le bien fondé.

Comme vous le savez, après leur première immatriculation, les véhicules en circulation doivent être soumis à des contrôles techniques périodiques pour s'assurer qu'ils sont en état de circuler conformément aux exigences réglementaires en matière de sécurité et de protection de l'environnement.

En France, le premier contrôle technique doit être effectué quatre ans après l'achat d'un véhicule neuf, puis tous les deux ans.

Par rapport à la législation actuelle sur le contrôle technique, la proposition étend le champ d'application du dispositif existant à de nouvelles catégories de véhicules, notamment les motocycles, et aligne la fréquence d'inspection des véhicules à kilométrage élevé sur celle des véhicules anciens. La proposition énonce également de nouvelles exigences concernant plusieurs aspects liés à la qualité des contrôles, à savoir les équipements, la qualification et la formation du personnel, et la surveillance du système de contrôle.

Pour élaborer sa proposition, la Commission a procédé à différentes consultations des acteurs concernés :

– elle a effectué une consultation générale par l'internet, sur tous les aspects de la proposition ;

– elle a consulté des experts et des parties intéressées dans le cadre d'ateliers ;

– une étude sur les options futures concernant la mise en oeuvre effective du contrôle technique dans l'Union européenne a été réalisée afin de déterminer les mesures qu'il était possible de prendre, et d'élaborer un outil d'analyse coûtsavantages relatif aux incidences du contrôle technique ;

– une consultation ouverte en ligne a été organisée du 29 juillet 2010 au 24 septembre 2010 : la Commission a reçu 9 653 réponses de la part de citoyens, d'autorités nationales, d'équipementiers, de centres de contrôle, d'associations de garagistes et de constructeurs automobiles.

Cette réflexion, assez complète, a amené la Commission européenne à proposer un dispositif très large qui étend les points de contrôle aux équipements électroniques tels que les antiblocages de freins, améliore les exigences de formation, crée des registres qui favoriseront les luttes contre la fraude aux compteurs kilométriques et étend ce contrôle, qui devient annuel après six ans, aux deux roues.

Une première chose doit être soulignée : nous passons d'une directive, qui implique une transposition en loi française par le Parlement, à un règlement qui serait d'application directe ; nous n'aurions donc plus notre mot à dire.

Pour la Commission européenne « les objectifs de la proposition ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres, pour la raison suivante : les exigences techniques applicables au contrôle technique ont été définies à un niveau minimal pour l'ensemble de l'Union et leur mise en oeuvre par les États membres a entraîné une grande disparité dont les incidences négatives se font sentir tant sur le plan de la sécurité routière que sur le marché intérieur. La proposition est donc conforme au principe de subsidiarité. »

Le Sénat propose de rejeter ce texte qu'il estime contraire au principe de subsidiarité.

Nous considérons à tout le moins que la mise en oeuvre d'une telle réglementation, comme toute législation européenne, incombe aux États membres.

Outre cette objection de subsidiarité, il nous semble que notre examen doit se situer également dans le cadre du contrôle de proportionnalité, c'est-à-dire vérifier si le contenu de l'action de l'Union proposée ici n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif recherché.

Pour la Commission européenne sa « proposition respecte le principe de proportionnalité car elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs liés au renforcement de la sécurité routière et de la protection de l'environnement, moyennant une amélioration de la qualité et de l'efficacité du contrôle technique et la création du cadre propice à un flux d'informations continu. Il s'agit notamment d'établir des normes minimales concernant les connaissances des inspecteurs et leur formation, eu égard au fait que les véhicules actuels sont des produits hautement sophistiqués équipés de technologies complexes. C'est également le cas des exigences minimales applicables aux équipements utilisés pendant le contrôle technique. Toutes ces mesures constituent un préalable nécessaire à l'amélioration de la qualité des inspections. »

Vos rapporteurs ne partagent pas cette analyse : à leurs yeux l'extension du contrôle technique est une mesure qui n'est pas bienvenue, dans un contexte de crise économique, ni nécessaire sur le fond.

Il est peu probable que les mesures prévues par cette directive contribuent de manière efficace à l'objectif de réduction de moitié du nombre de victimes de la route d'ici à 2020, car la car la cause très prépondérante des accidents automobiles est liée aux facteurs humains.

Les trois rapports de Dekra, un des leaders européens du contrôle technique, sur lesquels se fonde la Commission européenne pour justifier du bien-fondé de la mesure proposée ne permettent pas de conclure à l'apport bénéfique d'une extension du contrôle technique, faute de disposer d'une expertise réellement indépendante, dans un secteur où des acteurs économiques ont un intérêt majeur à la promulgation du règlement qui nous est proposé. En effet, le marché du contrôle des deux roues, à lui seul, est estimé à environ 1,5 milliard d'euros ; en 2010 il y a eu en France 21 638 460 contrôles de véhicules.

Vos rapporteurs sont d'autant plus perplexes que dans son rapport de mai 2007, portant sur les conditions de mise en place d'un contrôle technique des deux roues motorisés, le Conseil général des Ponts et Chaussées reconnaissait qu'il était « difficile d'établir une corrélation entre l'état du véhicule et la survenance des accidents ». Une note de l'Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR) de février 2007, sur l'effet sur les accidents du contrôle périodique des véhicules en Norvège, indiquait que « le contrôle technique périodique n'a pas d'effet sur la sécurité routière », et qu'il « n'apparaît pas opportun d'étendre la mesure aux motocyclettes ». Ces conclusions sont étayées par le rapport MAIDS de 2007, étude la plus détaillée des causes des accidents à moto réalisée ces dernières années, qui indique que seuls 0,7 % des accidents de deux roues à moteur sont causés par une défaillance technique du véhicule.

Les conclusions de ces trois documents permettent de mettre en cause l'impact escompté d'une extension du contrôle technique, aux deux roues motorisés, et d'une augmentation de sa fréquence pour les automobiles, sur la sécurité de leurs utilisateurs en matière de sécurité routière. Il serait sans doute plus efficace pour la sécurité routière que les forces de l'ordre renforcent leur contrôle de l'état des pneumatiques que d'accroître les contraintes pesant sur les automobilistes car le rapport MAIDS a identifié l'usure des pneus comme étant la principale cause de défaillance technique. Par ailleurs, la tendance aux innovations technologiques des véhicules ne justifie pas une intensification du contrôle technique. En effet, le contrôle technique bisannuel ne recale plus que 20 % des véhicules et dans 85 % des cas pour des défauts mineurs liés à l'absence d'entretien du véhicule, et donc sans rapport avec la sécurité routière.

Ainsi, il n'est pas excessif de soutenir que ce texte accroîtrait les charges et les obligations administratives pesant sur les automobilistes sans qu'un gain irréfutable en matière de sécurité routière ne soit démontré.

L'impact économique de ce texte sur les ménages et sur le ressenti des citoyens quant à la nature de la construction européenne plaide également en faveur du rejet du texte.

Ces mesures pèseraient en effet en priorité sur les ménages les plus fragiles économiquement, dès lors que les véhicules anciens ciblés par le Règlement appartiennent majoritairement à des citoyens modestes. Pour ces ménages, l'immobilisation du véhicule et le coût du contrôle, entre 60 et 80 euros en France, représentent une contrainte supplémentaire au coût non négligeable dans un contexte difficile de crise économique, marqué par une tendance haussière des prix des carburants, et d'efforts sans précédent d'ajustement budgétaire. Cette mesure pourrait en particulier constituer une entrave à la mobilité pour de nombreux titulaires d'emplois de services à domicile et à temps partiel, contraints d'utiliser des modes de transports individuels. Il est fort probable qu'elle serait accueillie de manière défavorable et renforcerait un sentiment de défiance envers les institutions européennes, fréquemment accusées d'être trop sensibles aux lobbies.

Je vous propose de prendre position en indiquant que notre Commission des affaires européennes, si elle partage le point de vue exprimée par le Sénat – le rejet du texte, pour défaut de subsidiarité, – considère également que le projet présenté par la Commission européenne ne respecte pas le principe de proportionnalité.

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