Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 28 novembre 2013 à 15h00
Expérimentation des maisons de naissance — Présentation

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la naissance concerne chacune et chacun d’entre nous ; elle touche évidemment à ce qu’il y a de plus intime pour des centaines de milliers de femmes et d’hommes chaque année. Il n’y a sans doute pas de moment plus important que celui-ci dans la vie, d’abord, parce qu’une naissance vient le plus souvent consacrer un engagement, quelle que soit la forme qu’il peut revêtir, mais aussi parce qu’elle représente une responsabilité nouvelle.

Au-delà de son aspect intime, la naissance est un enjeu collectif, un enjeu de société. La natalité, parce qu’elle détermine l’équilibre démographique de notre pays et parce qu’elle est un facteur de dynamisme important, mérite une attention particulière. Notre pays connaît l’un des plus forts taux de natalité parmi les pays développés. C’est un atout considérable dans une Europe qui vieillit.

En outre, le débat qui, je l’espère, va nous rassembler, se tient à un moment particulier, celui de la mobilisation des sages-femmes. Premières interlocutrices des femmes pendant la grossesse et l’accouchement, même si leur rôle ne se limite pas à cela, les sages-femmes expriment d’importantes revendications que j’ai eu l’occasion de relayer ici même il y a quelques jours et dont je veux répéter que je les ai entendues. Les sages-femmes veulent être mieux reconnues. Ce sujet renvoie notamment – mais pas seulement – à la question de leur statut à l’hôpital. Elles souhaitent également trouver toute leur place dans la stratégie nationale de santé comme professionnelles médicales de premier recours.

Pour répondre à l’ensemble de ces attentes, j’ai présidé le 19 novembre dernier avec Geneviève Fioraso une table ronde réunissant les représentants des sages-femmes dans leur diversité, ainsi que d’autres acteurs du monde de la santé. Pour la première fois dans notre pays, des travaux sont lancés en vue de reconnaître la place et le rôle des sages-femmes dans notre système de soins. Je souhaite qu’ils avancent vite. Les premières recommandations nous seront d’ailleurs remises avant la fin de l’année.

Pour toutes ces raisons, il est indispensable de proposer une approche globale de la naissance, ce qui passe par une politique ambitieuse en matière de périnatalité. Pour conduire un débat éclairé sur les maisons de naissance, il est nécessaire que nous partagions certains constats.

Le premier est celui de la transformation profonde de l’offre de soins obstétriques depuis une vingtaine d’années. Le mouvement s’est engagé dans les années quatre-vingts et s’est ensuite accéléré. Au cours de cette période, le nombre de maternités a considérablement diminué, puisqu’il est passé de plus de 800 au milieu des années quatre-vingt-dix à 550 en 2009.

Deuxième constat, pendant la même période, le nombre de maternités réalisant plus de 1 500 accouchements par an a presque triplé. Le dynamisme de notre démographie explique en partie ce phénomène. Les réorganisations hospitalières ont évidemment contribué à ce mouvement. Il faut souligner que la proportion de femmes prises en charge dans des maternités de haute technicité – niveaux 2 et 3 – a lui aussi fortement augmenté.

Le troisième constat, qui va à l’encontre des idées reçues, concerne la durée élevée des séjours après une naissance. En moyenne, elle est supérieure d’une journée à ce que l’on constate dans les autres pays membres de l’OCDE, même si elle a diminué au cours des dernières décennies.

Par ailleurs, malgré les progrès qui ont été réalisés, je veux souligner que les indicateurs de santé périnatale ne sont pas satisfaisants. La France fait moins bien dans ce domaine que les autres pays. La mortalité maternelle demeure particulièrement élevée, avec huit à douze décès pour 100 000 naissances. Cela signifie concrètement que, chaque année, soixante-dix femmes meurent en accouchant. La première cause de mortalité maternelle est liée à l’hémorragie de la délivrance. Des dysfonctionnements expliquent ce constat ; ils ne sont évidemment plus acceptables. Nous estimons que la moitié de ces décès pourraient être évités.

Le dernier constat concerne les inégalités territoriales et sociales en matière de santé. Aujourd’hui, en France, on ne naît pas dans les mêmes conditions de sécurité selon que l’on vit en centre-ville ou dans des quartiers sensibles, en zone rurale ou à la montagne. De nombreuses études sont venues confirmer que les femmes jeunes ou de classes sociales défavorisées souffrent d’un suivi insuffisant pendant leur grossesse. Les femmes sans emploi sont ainsi deux fois plus nombreuses à déclarer leur grossesse hors délai. Il est désormais établi qu’un niveau d’études élevé est synonyme de suivi régulier.

La France occupe aujourd’hui le dix-septième rang européen en termes de mortalité néonatale. Nous avons régressé depuis 2005. Cette défaillance de notre système de santé est inacceptable ; nous devons la combattre. Ce sera l’un des enjeux de la loi sur la stratégie nationale de santé qui sera présentée l’année prochaine.

Je ne doute pas que nous partagions ces constats et que nous ne puissions nous en satisfaire, quel que soit le banc sur lequel vous siégez. Certaines priorités doivent donc guider nos choix.

La première d’entre elles est celle de la sécurité des naissances. Encore une fois, il est inacceptable qu’une femme ou que son enfant décède pendant l’accouchement. En raison des faits que j’ai rappelés, nous ne pouvons pas transiger en la matière. Il est urgent que la France entre à nouveau dans une dynamique positive. Pour ce faire, un certain nombre de décisions devront être prises. Dans le débat qui nous occupe aujourd’hui, nous ne pouvons pas oublier cet impératif de sécurité.

Ma seconde priorité a trait à la qualité du moment de la naissance, ce qui concerne directement et précisément les maisons de naissance.

Le moment de la naissance doit préserver un équilibre subtil – et qu’il n’est pas toujours facile d’atteindre – entre l’impératif de sécurité et le bien-être de la future mère, entre le libre choix pour chaque femme de vivre la naissance selon ses convictions profondes et l’exigence d’une organisation médicale structurée.

Certains considèrent que nous sommes allés trop loin dans la technicisation et la médicalisation des accouchements. On ne peut assurément considérer le lieu de la naissance comme un simple espace de soins. La technique est évidemment indispensable, mais il nous faut respecter le choix des femmes qui ne désirent pas accoucher de cette manière. En même temps, je veux dire très clairement que les progrès liés à la technique et à l’accompagnement médicalisé de l’accouchement ont permis des conquêtes importantes pour les femmes. L’accouchement sans douleur, ou avec moins de douleur, la péridurale et l’encadrement médicalisé ne doivent pas être relégués au rayon des évidences, voire être considérés comme appartenant à une autre époque sous prétexte que certaines femmes souhaitent pouvoir accoucher avec un encadrement plus rassurant et confortable. Nous ne pouvons en aucun cas, et je veux le dire très fermement, opposer la volonté de faire en sorte que l’accouchement soit, autant que faire se peut, un moment de plénitude et non de souffrance, de difficulté et de résignation à celle qui consiste à mieux accompagner la naissance, d’une façon plus respectueuse des attentes des femmes.

De la même façon, et tout en sachant, monsieur le rapporteur, que tel n’est pas votre propos, nous ne pouvons pas confondre l’attente d’un nombre important de femmes d’un accouchement plus conforme à leurs désirs de bien-être avec l’injonction qui monte dans certaines associations d’accoucher comme on le faisait il y a des décennies. Nous ne saurions accepter que certains milieux, au nom d’une idéologie, cherchent à récupérer le mouvement des maisons de naissance.

La proposition de loi de Mme Muguette Dini, qui a été adoptée en première lecture au Sénat, tend précisément à permettre la mise en place de maisons de naissance à côté des maternités classiques. Quoi qu’il en soit, l’exigence à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est celle de l’instauration de filières d’accouchement physiologique, y compris dans les maternités classiques. Pour répondre à la demande de femmes qui ne veulent pas accoucher dans un environnement systématiquement médicalisé, nous devons faire en sorte que, dans les maternités, se mettent en place, davantage que cela peut être le cas aujourd’hui, des filières d’accouchement physiologique dans les établissements existants.

Il ne s’agit pas d’opposer ces filières d’accouchement physiologique aux maisons de naissance, lesquelles sont une des formes que peut prendre la réponse aux demandes des femmes. C’est la raison pour laquelle – je l’ai dit au Sénat et je le répète ici – le Gouvernement ne marque aucune opposition à cette démarche, dès lors qu’un certain nombre de conditions sont posées, à commencer par la sécurité absolue des femmes au moment de l’accouchement. Je crois, monsieur le rapporteur, que vous partagez cette position. Nous ne pouvons pas transiger sur ce point.

À cet égard, cette proposition de loi comporte des dispositions tout à fait importantes. D’abord, seuls les accouchements présentant un faible niveau de risque pourront être réalisés dans les maisons de naissance. Ensuite, ces maisons devront être attenantes – le mot a son importance – à une maternité. Cette disposition est absolument indispensable dans le cas où surviendraient des complications. Par ailleurs, la Haute autorité de santé rédigera un cahier des charges sur les conditions de l’expérimentation. Enfin, je signerai moi-même l’arrêté qui désignera les lieux où les maisons de naissance seront expérimentées.

Mesdames, messieurs les députés, je n’ignore pas que des débats, qui ne datent d’ailleurs pas d’hier, ont traversé l’ensemble des groupes politiques sur cette question. À l’époque où j’étais parlementaire d’opposition, j’ai moi-même marqué mon soutien à la démarche des maisons de naissance dès lors qu’elle garantissait la sécurité et le respect des femmes et qu’elle ne visait pas à opérer une régression – j’y insiste – par rapport aux conquêtes des dernières décennies. En effet, il n’est écrit nulle part qu’il est mieux pour une femme d’accoucher dans la souffrance.

La présente proposition de loi peut permettre aux femmes de choisir les conditions de leur accouchement. C’est dans ce cadre que des expérimentations auront lieu, au terme desquelles nous pourrons tirer un certain nombre d’enseignements. Nous verrons alors si l’on peut les généraliser. Au nom du Gouvernement, je m’en remets donc aujourd’hui à la sagesse de l’Assemblée. Mais, au regard de ce que j’ai pu dire et de mes engagements antérieurs, vous aurez compris que mon regard est tout ce qu’il y a bienveillant à l’égard de cette proposition de loi.

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