Intervention de Yves Fromion

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion :

Et de citer le report de charges important, ainsi que « la nécessaire clarification à apporter aux ressources exceptionnelles ».

Voilà qui motive à l’évidence un retour devant notre commission, afin que l’Assemblée ne se hasarde pas à légiférer sur une matière aussi incertaine. Est-il d’ailleurs opportun de conserver des ressources exceptionnelles dès lors que la loi prévoit qu’en cas de non-réalisation de celles-ci, leur montant sera couvert par des crédits budgétaires ? Nos amendements sur cette disposition n’ont pas été jugés recevables. On ne peut que s’en étonner, puisqu’ils n’affectaient pas l’équilibre global du budget. Nous n’avons par ailleurs reçu aucune réponse à cette question en commission, ce qui a pour effet d’introduire un doute sérieux sur la volonté du Gouvernement de tenir ses engagements. Et ce doute vient de se nourrir de la décision prise en loi de finances rectificative de prélever 650 millions d’euros au minimum sur l’enveloppe mise en réserve dans votre budget pour 2013. Heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez apporté quelques assurances à cet égard, et j’espère que les 500 millions que vous avez annoncés seront bien au rendez-vous.

Pour un ministre de la défense qui se targue de pouvoir être le premier à exécuter à la lettre sa loi de programmation militaire, avouez que les choses commencent mal. Et encore ne fais-je pas référence au report de charges supérieur à 2,5 milliards d’euros – là encore, on n’en connaît pas la réalité exacte – dont fait état notre collègue Jean Launay dans son rapport.

Aurai-je la cruauté de vous rappeler, monsieur le ministre, la question restée sans réponse que je vous ai posée en commission sur la progression des crédits d’équipement de nos armées au cours de la période visée par la loi de programmation militaire ? Vous avez publiquement déclaré que « la loi de programmation militaire pour 2009-2014 tablait sur une remontée vertigineuse et totalement irréaliste des crédits d’investissement ». Ces propos, plutôt audacieux, ont été publiés dans la presse et vous ne les avez pas démentis. Or, en matière de crédits d’équipement, l’écart entre les annuités 2009 et 2013 de la précédente loi de programmation militaire était de 1,42 milliard d’euros, alors que dans le présent projet de loi, il est porté à 1,8 milliard entre la première et la dernière année. Cherchez l’erreur, monsieur le ministre ! En fait, vous reconnaissez ainsi que les projections financières de votre loi de programmation militaire relèvent de la fantaisie.

Nous aimerions vraiment vous reparler de tout cela en commission, et ce d’autant plus que d’autres interrogations, nées au cours du débat, nous interpellent. J’en cite une au hasard, qui se rapporte au produit des cessions immobilières. Votre projet prévoit explicitement que « l’intégralité des produits des cessions immobilières sur la période 2014-2019 sera affectée au financement de l’infrastructure de défense », lequel est estimé à 6,1 milliards d’euros. Cependant, il est également prévu que « le dispositif de cession à l’euro symbolique de certaines emprises libérées par la défense sera reconduit ». Que croire ?

Le financement des infrastructures de défense devient donc un mirage posé sur un horizon glissant vers l’infini… Cent exemples viennent nous rappeler que votre loi de programmation militaire n’a pas de véritable fiabilité financière – et je ne fais même pas référence à la Commission européenne qui, le 15 novembre, rappelait à votre gouvernement que « toutes les recettes imprévues devraient être affectées à la réduction du déficit ». Le rêve du retour à meilleure fortune, que caresse votre LPM, n’est pas près de se « réenchanter », comme dirait notre Président de la République !

L’essentiel de notre inquiétude est nourri par l’alchimie mystérieuse qui a présidé à l’élaboration financière de votre LPM. Vous avez imaginé deux centres d’économies budgétaires : la réduction des effectifs et celle des commandes d’équipements. Dans les deux cas, vous n’avez pas lésiné sur l’ampleur de la mesure mise en oeuvre. Or, les économies escomptées ne sont décrites nulle part dans les documents que vous avez communiqués au Parlement.

Nous ignorons donc les motivations qui ont conduit à une déflation supplémentaire de 24 000 postes, de même que nous ignorons la destination de ces économies potentielles puisqu’à la différence de la LPM 2009-2014, ces économies ne restent pas acquises à la défense.

De même, s’agissant des réductions de cible des équipements de nos forces, il ne nous a rien été dit des économies escomptées. On pourrait imaginer qu’elles contribuent à la réduction des reports de charges estimés à 2,5 voire 3 milliards d’euros mais, apparemment, il n’en est rien. Ni le texte de loi, ni le rapport annexé n’apportent de réponse à ces deux questions : d’où vient l’argent et où va l’argent ? Convenons, madame la présidente, qu’un renvoi en commission s’avère indispensable pour éclairer votre démarche et nous apporter les précisions nécessaires.

Venons-en à l’adéquation de votre modèle d’armée aux enjeux exposés dans votre Livre Blanc, lesquels ne diffèrent en rien de ceux qui étaient déjà identifiés dans le Livre Blanc précédent.

Sans doute adepte du small is beautiful, vous nous présentez votre nouvelle armée, au format mini, en prenant la précaution de nous dire – et de le faire admirablement répéter en commission par nos deux rapporteures – que cette taille, tel un bonsaï, n’est pas une question d’argent mais de stricte adéquation de notre format d’armée aux menaces. Les propos que je rapporte figurent au compte rendu des auditions. Vous mettez donc à la porte de nos casernes quelques dizaines de milliers de militaires et de civils qui, selon vous, sont inutiles à la sécurité de la France et qui, pourrait-on croire, ne servaient à rien d’autre qu’à plomber les comptes de votre ministère. Cette affaire, monsieur le ministre, ressemble à une provocation et nous souhaitons qu’elle donne lieu à un débat en commission de la défense.

La réduction du format de nos armées est en réalité fondée sur de strictes considérations budgétaires. Elle va sortir notre pays du terrain de jeu et l’envoyer sur le banc de touche. Voilà ce que vous êtes en train de faire ! Et vous voudriez que l’on vous donne quitus ? Vous faites le pas de trop dans le démembrement de notre outil militaire ; nous ne vous suivrons pas.

En effet, comme nous vous l’avons déjà fait observer, il est aventureux et fort dangereux de faire de l’opération Serval la jauge de nos futurs besoins capacitaires, comme le fait le Président de la République. L’opération Serval a mis en lumière les capacités d’adaptation et le professionnalisme de nos combattants, de même que leur valeur dans des engagements à hauts risques. Pourtant, alors même qu’elle a fait apparaître les limites de certaines de nos capacités majeures, elle ne peut même pas, dans son contexte global, être classée dans la catégorie de moyenne intensité.

Face à l’évidence de la sous-adéquation de nos forces aux ambitions du Livre blanc, vous faites appel à la magie du verbe. C’est ainsi que « le principe de différenciation » et le « principe de mutualisation » font leur apparition dans le vocabulaire de la loi de programmation. Ces concepts, pourtant vieux comme la science militaire, nous sont présentés comme une irrésistible novation, capable de décupler les capacités de nos armées tout autant que la potion magique dont faisait un abondant usage notre ancêtre Astérix. Hélas, monsieur le ministre, vous n’êtes pas le druide Panoramix, en dépit de vos attaches bretonnes.

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