Intervention de Jean-Christophe Belliard

Réunion du 2 octobre 2013 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères :

S'agissant tout d'abord de la Somalie, vous avez qualifié Al-Shabaab de milice islamiste. Je rappelle que le président somalien, qui est issu d'un processus relativement démocratique, est un président islamiste. La milice Al-Shabaab s'apparente plutôt à AQMI ou à Boko Haram. Disons les choses comme elles sont : ce sont des terroristes.

Pendant vingt ans, l'effondrement de l'État somalien a laissé le champ libre aux seigneurs de guerre qui se partageaient le territoire. À un moment, les milices des cours islamiques ont pris le pouvoir puis en ont été chassées par l'Éthiopie. Depuis, un processus démocratique a permis l'installation d'institutions légitimes. Pour la première fois depuis vingt ans, la Somalie dispose d'un Président, d'un Parlement et d'un Gouvernement. Pour autant, si les autorités somaliennes, privées de forces armées, parviennent à contrôler la capitale Mogadiscio, le reste du territoire leur échappe. L'effort de reconstruction d'une armée somalienne est soutenu par l'Union européenne au travers de la mission EUTM Somalie sur le modèle de celle qui existe pour le Mali. L'objectif est d'intégrer dans cette armée les milices et les chefs de guerre.

Le début de stabilisation du pays auquel on assiste est le fruit du travail de la force AMISOM qui compte 18 000 hommes, principalement ougandais et burundais. Je souligne que ces pays ont accepté de lourdes pertes puisque deux mille hommes sont morts dans leurs rangs.

La capitale est actuellement préservée mais reste sous la menace d'attentats. Al-Shabaab, dont le lien organique avec Al-Qaïda est établi, a encore la capacité de frapper au coeur de la capitale, pourtant contrôlée par l'État et la force africaine, et dans les campagnes.

Le difficile processus de normalisation avance.

La force africaine devrait être portée à 25 000 hommes. Mais qui paiera ? Jusqu'à présent, l'Europe a été le seul contributeur à hauteur de 750 millions d'euros. Il nous est demandé de faire un effort supplémentaire et de le maintenir sans que nous en connaissions la durée. Aujourd'hui, la Facilité de soutien à la paix en Afrique, destinée à financer ce type d'opérations, est presque exclusivement dédiée à la Somalie. Alors que l'hypothèse d'une force africaine déployée en République centrafricaine (RCA) prend corps, les ressources européennes manquent car certains de nos partenaires souhaitent concentrer l'effort européen sur la Somalie. Nous cherchons à asseoir nos propres priorités, notamment en assurant un soutien à la force africaine en RCA.

En RCA, les problèmes datent de décembre. Ce pays, qui suscite peu d'intérêt – la France est le seul pays à s'en préoccuper et un des seuls à avoir une présence sur place – a, de surcroît, souffert de la concomitance des troubles au Mali. Il était difficile pour la France, qui était absorbée par la crise malienne, de faire plus malgré le voeu formulé par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine que celle-ci s'engage davantage.

Les pays de la région – le Tchad, le Cameroun, le Gabon et le Congo Brazzaville – réunis au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) cherchent à mettre en place une force de 3 500 hommes, à raison de 800 hommes chacun. Près de 2 300 d'entre eux sont déjà sur le terrain. À la différence de la CEDEAO, les pays qui composent la CEEAC ont la capacité de financer une force d'intervention. Au terme de discussions difficiles entre la CEEAC et l'Union africaine, la force régionale est devenue, le 1er août dernier, continentale. Le déploiement de cette force, désormais africaine, commence à faire la différence, à Bangui du moins. Le pays a connu, comme jamais par le passé, selon les acteurs locaux, des pillages généralisés. Les habitants du principal quartier de Bangui n'ont eu pour seul choix que de se réfugier à l'aéroport, sous la protection des 450 soldats français qui s'y trouvent. La situation a été reprise en main par les autorités locales, qui ont demandé à la Séléka de quitter Bangui. Désormais, l'ordre dans Bangui est assuré par la police, la gendarmerie et la force de l'Union africaine. L'amorce d'une stabilisation de la situation se traduit aussi par le contrôle par la force africaine de l'axe reliant la frontière camerounaise à Bangui, qui est le passage de tous les flux commerciaux. Ce contrôle récent permet à l'État, dont les caisses sont vides, de récolter des taxes, là où les chefs de guerre de la Séléka avaient pris l'habitude de se servir.

Le reste du pays est toujours livré à lui-même, c'est-à-dire à des seigneurs de la guerre.

La Séléka n'est pas structurée. Elle rassemble des chefs de guerre qui gèrent chacun leur territoire et, plus préoccupant, des individus qui ne sont pas Centrafricains, mais Soudanais ou Tchadiens, en l'occurrence des opposants tchadiens. Le président Déby a, dans un premier temps, pris acte de l'arrivée au pouvoir de la Séléka. Il s'est, par la suite, rendu compte que la Séléka avait son propre agenda, et comptait, dans ses rangs, des éléments opposés au gouvernement tchadien. L'aspect confessionnel est également troublant, notamment la présence, en RCA, d'éléments soudanais. Les conflits soudanais, notamment celui du Darfour, semblent faire tâche d'huile en Centrafrique.

De la même manière, certains éléments terroristes présents au Mali ont aujourd'hui trouvé refuge au sud de la Libye, depuis lequel il est aisé de rejoindre le Darfour puis la RCA. On retrouve ainsi en RCA toutes sortes de milices qui se livrent au brigandage mais aussi des groupes terroristes dangereux. La « Lord's resistance army », milice ougandaise coupable d'atroces violations des droits de l'homme et qui a semé la mort en Ouganda puis en RDC et au Sud Soudan, est ainsi installée en RCA, tirant profit de l'absence d'État. Il est vraisemblable que se trouvent également en Centrafrique des individus venus du Sahel et du Mali, mais aussi des membres de Boko Haram venus du Nigeria si proche. La situation est donc très dangereuse.

C'est pourquoi la France est active aux Nations unies afin d'obtenir rapidement l'adoption, par le Conseil de sécurité, d'une résolution donnant mandat à la force africaine. Mais nous souhaitons aller plus loin avec la mise en place d'une opération de maintien de la paix car il est difficile de trouver à Bruxelles les moyens importants et dans la durée que nécessite une telle force. La Facilité de soutien à la paix n'est plus abondée pour 2014 – nous devons attendre 2015 et la reconstitution du onzième FED – et finance presque exclusivement la force africaine en Somalie. Nous menons donc des discussions avec le Royaume-Uni afin de lui faire valoir que le règlement du problème somalien – certes important comme l'ont montré les événements au Kenya ou la lutte contre la piraterie – ne doit pas se faire au détriment d'autres crises africaines. Un équilibre doit être trouvé dans la répartition de la contribution européenne entre l'AMISOM et la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA).

Il serait au demeurant souhaitable de créer une facilité mondiale pour la paix car il est anormal que l'Union européenne finance seule les opérations de maintien de la paix conduites par l'Union africaine. Les États-Unis, les pays du Golfe ou encore les nouveaux partenaires de l'Afrique que sont la Chine, l'Inde, le Brésil et la Turquie ont vocation à participer financièrement à la stabilisation de l'Afrique. En Somalie, l'Arabie Saoudite ou le Qatar financent des institutions religieuses quand l'Europe finance la sécurité. Chacun sait qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité.

Quant à la République démocratique du Congo, le dossier est sur la table depuis 1960. La résolution 2098 confiant un mandat offensif aux Nations unies constitue une novation bienvenue. Jusqu'alors, la force de 17 000 hommes présente en RDC était très peu active et par conséquent peu utile. Désormais, la force d'intervention des Nations unies, constituée de contingents régionaux, notamment tanzaniens et sud-africains, est dotée d'un mandat robuste qui trouve un prolongement sur le terrain. Lorsque le M23 a cherché à faire dérailler le processus en cours, la force est intervenue, en collaboration avec l'armée congolaise, en utilisant des armes lourdes et des hélicoptères de combat pour repousser l'offensive, c'est une première. De même, pour la première fois, les tirs d'obus sur le Rwanda ont été officiellement identifiés, par les Nations unies, comme provenant des positions du M23.

Grâce aux opérations des Nations unies, La situation est en voie d'apaisement, à la faveur du recul, d'une part, du M23 et d'autre part, du Rwanda qui menaçait d'intervenir en riposte aux bombardements dont il était l'objet.

La paix est cependant précaire. On espère un dénouement des négociations de paix entre les autorités congolaises et le M23, qui se déroulent à Kampala, avec la médiation de l'Ouganda. Mais il faudra trouver un point d'équilibre, les demandes du M23 (amnistie, intégration) n'ayant, dans le passé, pas fait leur preuve.

Pour la première fois, les Nations unies vont déployer des drones afin de surveiller les mouvements depuis la RDC vers le Rwanda et inversement, et particulièrement les activités des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ce groupe rassemble d'anciens génocidaires de 1994 ayant trouvé refuge en RDC. C'est une demande constante du Rwanda, qui se sent menacé. La MONUSCO devra s'occuper des FDLR. Elle le fera dès que l'affaire du M23 sera réglée.

Les onze pays de la région des Grands Lacs ont signé l'accord d'Addis-Abeba dans lequel sont définies des obligations mutuelles pour les parties prenantes du conflit en RDC : obligation de non-ingérence pour le Rwanda et l'Ouganda, d'un côté, obligation de reconstruction de l'armée et de dialogue interne pour la RDC de l'autre – un dialogue national est actuellement organisé par le président Kabila. Un cadre régional est donc défini pour sortir de l'impasse.

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