Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 24 octobre 2013 à 21h00
Commission élargie : aide publique au développement

Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement :

J'évoquerai en premier lieu la question du Mali. La France a très largement contribué à mobiliser la communauté internationale, qui s'est engagée, pour les deux prochaines années, à aider le Mali à hauteur de 3,2 milliards d'euros, dépassant les objectifs initiaux de la Conférence des donateurs.

Dans un contexte budgétaire moins tendu, sans doute notre contribution aurait-elle pu grimper de 280 à 320 ou 330 millions d'euros : moins que ce montant, c'est l'effet de levier qui importe et notre capacité à être une force d'entraînement pour l'ensemble des acteurs du développement. Le Mali est, à ce titre, un très bon exemple de la manière dont nous articulons action bilatérale et action multilatérale. Nous avons réussi, grâce à notre influence au sein des instances multilatérales comme la Banque africaine de développement, la Banque mondiale ou l'Union européenne, à mobiliser 3,2 milliards d'euros. Après l'élection présidentielle, les projets soutenus par les bailleurs ont redémarré, et une première réunion d'évaluation devrait avoir lieu à Bamako dans une quinzaine de jours.

L'aide française se monte à 280 millions d'euros pour les deux prochaines années. Cet engagement intègre l'argent gelé, à juste titre, par le précédent gouvernement en 2012. Cela, en soit, ne constitue pas un problème, puisqu'il s'agit de sommes originellement affectées au Mali.

Sur le fond, nous souhaitons qu'une partie plus importante de ces crédits passent par les collectivités locales maliennes. Le Mali vient de tenir ses états généraux de la décentralisation, et nous pensons qu'en matière d'éducation ou de santé, par exemple, la gestion des services publics nécessite une action administrative locale et que l'aide sera d'autant plus efficace que les projets seront pilotés au niveau local. Cette décentralisation est par ailleurs une des clefs de la solution politique qui permettra au Mali de réussir sa démocratisation et son développement économique. Nous avons ainsi obtenu – ce qui est une première – l'engagement que le tiers des crédits passeraient par les collectivités, celles-ci n'étant pas capables, dans leur état de développement actuel, d'en absorber davantage.

Pour ce qui concerne la transparence et la traçabilité, nous avons, pour la première fois, recensé sur un site internet l'ensemble des projets financés par la France au Mali. Y figureront toutes les informations concernant la réalisation du projet, la date de signature du contrat et les dates prévisionnelles de son achèvement. Il s'agit d'un effort de transparence sans précédent qui permettra aux contribuables français comme aux citoyens maliens de se tenir informés, ces derniers pouvant de ce fait mieux s'approprier notre aide et exercer une forme de « contrôle citoyen » en alertant par mail ou par SMS l'ambassade de France en cas de problème ou de retard sur tel ou tel projet. Cela devrait améliorer la traçabilité de l'aide et aider à lutter contre son « évaporation ». Des sites identiques devraient être lancés en 2014 pour les seize pays pauvres prioritaires – tous africains –, ce qui nous permettra de rattraper notre retard en matière de transparence.

L'aide bilatérale représentait 61 % de l'APD française en 2008 et 66 % en 2012, soit cinq points d'augmentation – ce qui contredit vos propos. Quant à l'aide multilatérale, je ne considère pas qu'elle rend la France invisible. J'étais il y a quelques jours en Afrique du Sud avec le Président de la République. Dans ce pays, où le sida fait deux cent mille morts par an, pas un des acteurs institutionnels ou associatifs n'ignore que la France est le deuxième financeur du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et tous l'en remercient car le fonds mondial est le meilleur outil dont nous disposions pour lutter contre le sida

Il est donc légitime de vouloir s'assurer de la visibilité de note action, mais notre premier objectif doit être l'efficacité dans le traitement des malades. C'est la raison pour laquelle nous avons fait un arbitrage très fort dans le contexte budgétaire actuel, en maintenant à leur niveau pour les trois prochaines années les crédits alloués au Fonds mondial, soit plus de un milliard d'euros.

Le budget de l'aide publique au développement n'est certes pas en hausse ; mais la baisse n'est pas aussi importante que ce que vous prétendez. En effet, les financements innovants nous ont permis de préserver la capacité d'intervention dans ce domaine. Les programmes 110 et 209 passant de 3,3 à 3,2 milliards d'euros, la baisse des crédits ne représente que 100 millions ; cela nous permet de respecter les priorités que le Président de la République et moi-même avions fixées. Ainsi, le doublement de l'aide passant par les ONG – qui doit être réalisé sur la durée du quinquennat – se poursuit cette année. Un autre engagement du Président de la République – la stabilisation des dons de projets – est également traduit dans les faits. L'aide alimentaire reste intacte. Si nous participons à l'effort de redressement des comptes publics, toutes ces priorités – véritable coeur de la solidarité internationale – ne sont en rien affectées par la baisse de 100 millions du budget de l'aide publique au développement.

Benoît Hamon répondra en détail à la question portant sur les fonds propres de l'AFD ; la question de leur augmentation devra être tranchée dans le contrat d'objectifs et de moyens – COM – qui doit être adopté au plus tard au premier conseil d'administration de l'AFD, en janvier 2014. Il nous faudra donc arbitrer à la fin de cette année.

La loi d'orientation sur ce sujet – qui correspond à une volonté du Président de la République – représente une première dans l'histoire de la République. Elle symbolisera la rénovation de la politique de développement, consacrant notamment les efforts de transparence, de démocratisation et de mise en débat de ses choix. Cette loi constituera un marqueur en matière de relations entre la France et le reste du monde ; à nous – exécutif comme Parlement – de la rendre la meilleure et la plus ambitieuse possible.

Monsieur Gaymard, l'éducation – une des cinq priorités sectorielles – représente 1,5 milliard d'euros, et les crédits qui y sont affectés ne sont pas en diminution. Cet effort important concerne à la fois l'éducation primaire, mais également, de plus en plus, la formation professionnelle, suivant la demande croissante des pays qui souhaitent améliorer l'accès des jeunes au marché du travail – enjeu central en Afrique, compte tenu des évolutions démographiques. Nous veillons particulièrement aux questions de genre, jusqu'à présent négligées. En effet, les conditions d'accès à l'éducation des filles sont spécifiques, en termes de risques liés aux trajets, à l'absence d'équipements adaptés et à l'insécurité. Dorénavant, nous prenons en compte cette dimension qui devra, en 2017, figurer parmi les objectifs de 50 % des projets financés par l'aide publique française.

Enfin, nous ne soumettons pas notre aide à des conditions de respect impératif de telle ou telle règle précise ; en revanche, notre action repose sur une doctrine et des principes, favorisant certains projets plutôt que d'autres. Elle relève donc de choix politiques – dont l'OCDE avait d'ailleurs critiqué l'absence par le passé. Le contribuable français a le droit de savoir au nom de quels objectifs nous menons notre politique de développement. Ainsi, dans le domaine de l'énergie, pour rester en cohérence avec les grands enjeux du XXIe siècle – dont le réchauffement climatique –, nous favorisons le déploiement des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, et non les centrales au charbon. Dans le domaine agricole, puisque nous ne voulons pas d'OGM dans notre pays, nous ne les finançons pas non plus dans les pays du Sud. Ces choix représentent une forme de conditionnalité qui prouve qu'au-delà du pilotage budgétaire, notre action repose sur de vrais arbitrages politiques.

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