Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 23 octobre 2013 à 11h00
Commission des affaires économiques

Anne Lauvergeon, présidente de la commission Innovatio :

La commission Innovation 2030 vient en effet de rendre son premier rapport au Président de la République ; il y en aura un deuxième mais, entre-temps, nous lancerons, le 2 décembre, à l'Élysée, sept grands concours mondiaux d'innovation.

Notre rapport est extrêmement concis : 58 pages, annexes comprises. Mais on peut le résumer encore en disant qu'il pose un principe, définit sept grandes ambitions et insiste sur la nécessité de fabriquer du consensus de long terme.

Le principe, tout d'abord : face au principe de précaution, que nous ne remettons pas en cause, nous estimons que la société française a besoin d'un principe d'innovation. Innover, c'est expérimenter, prendre des risques, et les vingt personnes venues d'horizons très divers qui composent la commission se sont accordées à juger que notre pays ne pouvait que gagner à s'appuyer sur cet élément de dynamique interne – il serait d'ailleurs intéressant que le Parlement se penche sur ce sujet.

Sept grandes ambitions stratégiques, ensuite. Pour les définir, nous sommes partis d'idées très simples sur la façon dont évoluera le monde au cours des dix à quinze prochaines années.

Notre planète comptera bientôt neuf, voire neuf milliards et demi d'habitants ; l'urbanisation s'y accroît, l'espérance de vie s'y allonge. Dans les grands pays émergents, les classes moyennes se développent, ce qui augmente le nombre de nos clients potentiels. S'affirment aussi depuis le début du siècle des tendances de fond, que la crise de 2008 a encore accentuées : sous l'influence en particulier du numérique, l'idée de propriété – idée maîtresse des années de la reconstruction en Europe, ainsi que des années du développement des pays émergents – laisse peu à peu la place à d'autres : bien d'usage, location, partage…

La certitude du changement climatique crée aussi de nouvelles contraintes, par exemple en matière d'eau potable, de nourriture, d'énergie. Enfin, apparaissent de nouveaux rapports à la santé, cependant que se modifient aussi les relations entre chacun et sa collectivité proche – y compris, aujourd'hui, la collectivité virtuelle – et que se distend la relation avec l'État.

Dans ce monde qui change, la France a de vrais atouts à faire valoir et ces atouts sont connus : nos ingénieurs, nos chercheurs, notre école de mathématique… On ne devient pas chef du jour au lendemain, sans avoir d'abord appris à cuisiner : nous devons donc définir une stratégie industrielle et commerciale cohérente en nous appuyant sur nos acquis, sur ce que nous savons faire.

Jusqu'ici, nous avons ajouté des priorités aux priorités et donc beaucoup dispersé nos efforts, d'autant que nous « zappons » de l'une à la suivante. Désormais, il faut non seulement faire des choix stratégiques, mais aussi nous y tenir, comme nous avons su le faire il y a trente ou quarante ans dans les domaines du nucléaire ou de l'aéronautique – étant toutefois entendu que cette ère des grands programmes est révolue.

Pour écrire ce rapport, nous avons rencontré beaucoup de gens qui entreprennent et innovent, qui créent des choses passionnantes, à mille lieues de l'image que l'on donne parfois de notre pays. À partir de ce qu'ils nous ont dit, nous avons défini sept chantiers sur lesquels nous proposons de concentrer nos moyens sur le long terme :

– la médecine individualisée, enjeu majeur pour les comptes publics et domaine où s'ouvrent pour nous d'énormes possibilités, car nos forces sont grandes : nous avons par exemple de nombreuses start-ups dans les secteurs de l'imagerie médicale ou des objets connectés ;

– la silver economy, autrement dit l'innovation au service de la longévité ; en 2025, 30 % de nos concitoyens, et un milliard de personnes sur la planète, auront plus de soixante ans : le marché est donc colossal et les nouvelles technologies alliées aux services de proximité permettront de révolutionner la prise en charge de ces aînés ;

– le stockage de l'énergie, absolument indispensable à toute transition énergétique, mais que l'on ne sait pas encore réaliser ;

– le recyclage des métaux rares, secteur dans lequel les acteurs majeurs vont se constituer et où nous devons suivre l'exemple de l'Allemagne, qui est en train de s'organiser efficacement grâce à une très bonne législation ;

– la valorisation des richesses marines, qu'il s'agisse des gisements métallifères ou du dessalement de l'eau de mer ; nous pouvons à cet égard nous appuyer sur des organismes tels que l'IFREMER, qui a réalisé la cartographie des fonds marins ;

– la valorisation des données massives, le Big Data et l'Open Data, qui est un élément clé pour la réforme de l'État comme pour la création de start-ups ;

– enfin, les protéines végétales et la chimie du végétal, car l'homme ne peut pas continuer à manger toujours plus de viande : il faudra donc apprendre à consommer davantage de protéines végétales. Cela suppose bien sûr une modification de notre agriculture et une réorientation de notre industrie agro-alimentaire, mais aussi un changement de culture mais nous pouvons bénéficier à cet égard de notre tradition d'innovation en matière culinaire. Et ce dernier point montre que l'innovation n'est pas qu'affaire de technologie.

Notre deuxième rapport devra examiner comment éviter de retomber dans la tentation de la dispersion et du « zapping », comment nous tenir à ces ambitions à long terme – c'est la condition nécessaire de notre efficacité collective. Pour cela, il nous faut créer un consensus, ce qui n'est possible qu'avec la collaboration des parlementaires, des partenaires sociaux et des entreprises. Mais je crois que cette volonté est déjà présente.

Nous organiserons sept grands concours ; une première vague sera lancée le 2 décembre prochain. Ces concours seront mondiaux en ce sens qu'ils seront ouverts aux entrepreneurs de toutes nationalités, mais il leur faudra évidemment s'installer en France, investir en France et créer des emplois en France. Nous leur donnerons deux mois environ, et le dossier sera le moins technocratique possible : cinq pages maximum. À la fin de l'année 2014, nous ferons un choix pour retenir quelques projets seulement. Nous prévoyons d'attribuer jusqu'à 200 000 euros à ceux qui seront sélectionnés. Nous faisons appel à toutes les bonnes volontés – grandes ou petites entreprises, start-ups, entreprises en cours de création même. Toutefois, nous ne pourrons donner d'argent qu'à des entreprises.

J'insiste pour finir sur la nécessité de « fabriquer » du consensus ; bien sûr, il faut évaluer, s'interroger, mais il faut absolument, pour être efficaces, cesser de se disperser et de passer sans cesse d'une priorité à l'autre. Je note d'ailleurs que d'autres pays, même très libéraux, se sont engagés dans ce genre d'exercice : le Royaume-Uni a ainsi défini huit sujets stratégiques, mais on pourrait aussi citer Singapour ou les États-Unis.

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