Intervention de Vincent Alazard

Réunion du 9 octobre 2012 à 17h30
Commission des affaires économiques

Vincent Alazard, maire de Laguiole :

Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités aujourd'hui. Maire de Laguiole depuis 2001, je vais m'efforcer de vous expliquer le mieux possible ce qui nous arrive.

Michel Bras a retracé devant vous l'évolution de notre village, la montée de sa notoriété et l'investissement de ses habitants. Laguiole est situé dans l'Aubrac, au sud du Massif central, une région où les gens ont un savoir-vivre particulier et savent défendre leur pays. Beaucoup des nôtres se sont pris en main, dans la restauration, comme nous venons de le voir, mais aussi dans l'agriculture, l'élevage - avec la sélection de la race bovine Aubrac -, ou l'agroalimentaire avec la coopérative Jeune montagne. Nous produisons du fromage mais aussi le fameux aligot, dont la protection est elle aussi difficile. La notoriété du village de Laguiole est donc un tout.

J'en viens aux raisons qui expliquent notre présence aujourd'hui. À partir de 1993, la société de M. Szajner a eu la bonne idée de déposer le nom « Laguiole » sur certaines classes de produits. Pour notre part, nous n'avions pas raisonné en termes juridiques – nous pensions surtout à travailler. Nous avons donc vu arriver sur notre territoire des produits extérieurs à notre village – briquets, stylos, et bientôt couteaux – fabriqués en Asie, qui portaient notre nom. Mon prédécesseur a intenté un premier procès en 1997, et la collectivité a eu gain de cause : le tribunal a prononcé la nullité des marques et a estimé qu'il y avait publicité mensongère, puisque le nom de Laguiole et l'image de l'Aubrac étaient utilisés pour vendre des produits fabriqués en Chine. Malheureusement, le procès en appel, qui s'est tenu en 1999, n'a que partiellement confirmé le jugement de première instance : seule la publicité mensongère a été reconnue. Après les élections municipales de 2001, nous avons souhaité créer un nouveau logo illustrant le dynamisme de nos entreprises. Laguiole est un village touristique ; il était important pour nous de développer notre image. Mais lorsque nous avons déposé ce logo à l'Institut national de la propriété industrielle, surprise : M. Szajner s'est opposé à son dépôt en tant que marque. Pourquoi n'aurions-nous pas le droit de renforcer notre communication par un simple logo, qui n'emportait pas de questions d'argent ? Nous avons fait une démarche auprès de l'OHMI tendant à faire annuler le refus qui nous a été opposé.

Cette affaire nous a conduits à nous intéresser de plus près à la problématique du nom de notre commune. Nous avons alors découvert que la marque Laguiole avait été déposée pour 38 des 45 classes de produits et services existantes, et plusieurs entreprises, dont celle de Michel Bras et la Forge de Laguiole, ont indiqué avoir été empêchées de porter le nom Laguiole sur des produits fabriqués à Laguiole qu'elles souhaitaient commercialiser. Cela nous a incités à réagir : estimant que l'on portait atteinte à notre nom, notre image et notre renommée, nous avons saisi le tribunal de grande instance de Paris. Les plaidoiries ont été présentées le 25 mai, et le tribunal a rendu le 13 septembre un jugement dont la teneur nous a surpris. Nous savions que nous n'avions guère de chances de l'emporter s'agissant de la nullité des marques, mais nous ne comprenons pas que le tribunal ne retienne pas au moins la publicité mensongère, dite maintenant pratique commerciale trompeuse. Aussi le conseil municipal a-t-il souhaité réagir collectivement, en collaboration avec les chefs d'entreprise, par des actions médiatiques et en adressant une lettre au président de la République et au ministère concerné, afin d'alerter l'opinion publique.

Dans ses conclusions, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que « la commune de Laguiole ne peut pas penser que la référence à la tradition, à des matériaux de qualité, pour des produits de marque Laguiole, amène immédiatement le consommateur à elle, au savoir-faire de ses administrés et aux matériaux locaux. Elle n'a pas le monopole de l'artisanat traditionnel et de l'utilisation de matériaux de qualité, ses administrés, qui ont évidemment un savoir-faire reconnu, ne sont pas les seuls à le détenir. ». Ce délibéré ne dit rien de l'histoire du village, alors que le couteau laguiole est né à Laguiole ! La commune est victime : le fait même qu'un produit emblématique portant son nom soit devenu générique ne lui donne pas l'autorisation de se défendre. Et, comme l'a dit Michel Bras, même si la justice considère que notre notoriété est faible, nous nous réjouissons que, selon le sondage réalisé par TNS, le taux de notoriété spontané de Laguiole soit de 47%.

L'enjeu pour notre village est de vous alerter sur une situation de fait : la prise de pouvoir d'une marque sur la commune de Laguiole, ses administrés et ses chefs d'entreprise. Nous souhaitons développer l'activité et les emplois sur ce territoire fragile et nous ne pouvons pas le faire. Nous nous tournons donc vers vous pour trouver des solutions.

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