Intervention de Christian Paly

Réunion du 9 octobre 2012 à 17h30
Commission des affaires économiques

Christian Paly, président du Comité national des appellations d'origine relatives aux vins et eaux-de-vie de l'INAO :

Je vous remercie d'avoir invité l'INAO à participer à votre réflexion sur la protection des appellations d'origine, des indications géographiques et des signes de qualité, et sur son corollaire qu'est la politique des marques, collectives ou individuelles.

Le rôle de l'INAO consiste à reconnaître et à gérer les indications géographiques et les signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO), mais aussi à les protéger. Ces missions sont exercées en partenariat avec le Gouvernement, plus particulièrement le ministère de l'agriculture. Dans ce cadre, nous travaillons sur les notions d'usurpation et de détournement de notoriété, et nous luttons contre la banalisation des indications géographiques.

J'en viens aux mots de la viticulture française – château, bien sûr, mais aussi d'autres termes historiques tels que clos, abbaye, domaine… Je regrette l'absence d'un représentant de l'ambassade des Etats-Unis, devant lequel j'aurais pu une nouvelle fois défendre nos positions et redire notre incompréhension de la démarche engagée par son pays auprès de l'Union européenne pour pouvoir utiliser certaines de nos mentions traditionnelles, dont le clos et le château.

Je rappelle que la mention « château » n'est pas une indication géographique mais une mention traditionnelle. Or les mentions traditionnelles avaient fait l'objet d'une large négociation entre l'Union européenne et les États-Unis, qui s'était traduite dans l'accord sur le commerce viticole signé en 2005. Nous étions tombés d'accord, à l'époque, sur l'utilisation par les Américains de certaines mentions traditionnelles, en contrepartie d'une meilleure protection des indications géographiques, particulièrement pour les qualifications génériques et semi-génériques aux États-Unis – je pense aux appellations américaines « champagne », « chablis » ou « burgundy ». L'expérience a hélas montré ses limites : nous avons respecté l'accord, mais nous n'avons constaté aucune avancée pour les semi-génériques aux États-Unis… Exit donc l'accord bilatéral et, pour ce qui concerne le terme « château », nous sommes revenus dans le cadre des procédures d'enregistrement des mentions traditionnelles établies par les textes communautaires.

Les mots « château » et « clos » sont intimement liés à l'histoire du vignoble d'appellation français. Ce sont des termes traditionnels quasiment synonymes de noms d'appellations – bordeaux pour celui de château, bourgogne pour celui de clos. « Château » et « clos » correspondent à des définitions très précises et restrictives, codifiées par l'article 57 du règlement communautaire n°6072009 du 14 juillet 2009 et par le décret du 4 mai 2012 sur l'étiquetage pris pour son application. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, les termes de « château » et de « clos » correspondent à des conditions précises d'exploitation.

La demande des États-Unis pose un double problème. D'une part, ils souhaitent utiliser les termes traditionnels de la viticulture française en français : « château » et non « castle ». D'autre part, le « château » ne correspond à rien en matière réglementaire aux États-Unis : on est dans le champ de la simple marque commerciale, sans lien aucun avec l'exploitation et sans contrainte quant à l'origine des raisins. En cas d'exportation sur le territoire communautaire de vins américains arborant la mention « château » ou « clos », le consommateur n'aurait donc aucune garantie d'origine.

Plusieurs conséquences sont à redouter si l'Union européenne faisait droit à cette demande : un détournement de notoriété, avec un risque réel de banalisation de nos mentions viticoles traditionnelles, et une distorsion de concurrence entre des vignerons français qui respectent un cahier des charges précis et leurs concurrents américains. Il va sans dire qu'il y aurait tromperie du consommateur, puisque celui-ci n'aurait pas les moyens de faire la différence entre un vin français et un vin américain étiqueté « château ». Enfin, et j'y insiste, nous créerions là un précédent qui affaiblirait la position de l'Union européenne, de la France et de l'INAO dans les débats en cours sur la protection internationale de nos indications géographiques et de nos mentions valorisantes. Si nous réussissons à assurer cette protection dans le cadre d'accords bilatéraux ou multilatéraux, c'est parce que nous avons été assez forts pour défendre nos positions dans les négociations. Nous éprouvons déjà les plus grandes difficultés à défendre nos indications géographiques : sur les marchés asiatiques, notamment chinois, nous sommes quotidiennement confrontés à des usurpations de nos indications géographiques. Ne nous affaiblissons pas davantage !

Le dossier de Laguiole ne concerne qu'indirectement l'INAO. Dès 2005, nous avions été saisis d'un dépôt de marque en Australie. Comme il existe une AOC fromagère Laguiole, nous étions en situation de défendre cette indication géographique, et nous étions parvenus, avec M. Szajner, à trouver un accord à l'amiable pour faire retirer le nom « Laguiole » du dépôt de marque sur toutes les classes liées aux produits laitiers et fromages. Par la suite, nous avons eu à connaître d'une demande de dépôt de marque semi-figurative auprès de l'office communautaire des marques, l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), et notre position est restée la même qu'en 2005. Un élément nouveau est intervenu avec le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 13 septembre dernier - dont je prends acte es qualités -, qui a confirmé le caractère générique du mot Laguiole appliqué au couteau. Heureusement, l'AOC fromagère n'est pas en cause.

Plusieurs pistes de réflexion sont dès lors ouvertes. La première est celle de la marque collective, qui doit être portée par les promoteurs du projet dans un cadre concerté, et correspondre à un cahier des charges précis. Il existe également un arsenal juridique relatif à l'appellation d'origine pour des produits autres qu'agroalimentaires ; je vous renvoie à ce sujet aux articles L.115-2 et L.115-8 du code de la consommation. Ils sont très peu utilisés, mais j'ai un exemple à l'esprit : celui du monoï de Tahiti. Enfin, le futur projet de loi sur la consommation instituerait, dit-on, des indications géographiques industrielles. Je n'ai pas à me prononcer à ce sujet sinon pour appeler votre attention sur le fait qu'en ce cas, il faudra déterminer la gouvernance du dispositif – ministère de l'industrie, ministère de l'agriculture ou INAO. À ma connaissance, cette question n'a pas encore été traitée. D'autre part, si une telle orientation devait être prise pour Laguiole, il serait indispensable d'avoir des porteurs de dossier, une vision collective et un cahier des charges précis. L'INAO épaulerait bien sûr les promoteurs de la démarche, mais ceux-ci doivent être conscients que l'on n'obtient pas l'AOC ou l'indication géographique par enchantement : c'est un travail de longue haleine.

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