Intervention de Jean-Paul Tuaiva

Séance en hémicycle du 2 octobre 2013 à 21h30
Agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Tuaiva :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, si cette proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques peut paraître essentiellement technique de premier abord, elle n’en recouvre pas moins une réalité humaine, économique et environnementale qui reste aujourd’hui méconnue du grand public mais qui est caractéristique des problèmes spécifiques à nos territoires d’outre-mer.

Cela a été rappelé : les cinquante pas du roi ont vu le jour au 17e siècle tout le long du littoral, afin d’assurer la protection des îles, le ravitaillement et l’entretien des navires. Cette zone a été très tôt confrontée au phénomène d’occupation sans titre, auquel différentes réformes ont tenté d’apporter des solutions, sans qu’aucune ne se révèle jusqu’à présent réellement efficace. Depuis trois siècles, l’adoption de différentes dispositions, parfois contradictoires, a eu pour conséquence une grande incertitude quant au régime juridique applicable à la zone des cinquante pas géométriques. Cela a complexifié la gestion des héritages et a conduit à ce que des milliers de concitoyens ultramarins construisent leur habitation sur des terrains pour lesquels ils ne disposaient d’aucun titre de propriété. Aujourd’hui, on estime que plus de 10 % de la population de Guadeloupe et de Martinique vit dans cette zone.

La loi du 30 décembre 1996 a créé, dans chaque département antillais, une agence pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques, chargée d’assurer un « développement harmonieux de la zone » et d’en « organiser l’aménagement ». Selon les termes de la loi, ces deux agences devaient disparaître à la fin de l’année 2011. La prolongation de deux ans accordée dans le cadre de la loi Grenelle II arrive à échéance au ler janvier 2014, date à laquelle les missions des agences auraient dû être reprises par des établissements publics fonciers d’État. Or ces derniers ne seront pas créés puisque les collectivités de Guadeloupe et de Martinique ont décidé de constituer des établissements publics fonciers locaux.

En attendant que la question de la poursuite des missions des agences des cinquante pas géométriques soit clarifiée, il est donc devenu urgent que le législateur se mobilise pour trouver une solution rapide à cette situation, sous peine de créer une incertitude juridique et de voir disparaître un outil utile et nécessaire à ces deux départements d’outre-mer.

L’article 1er de cette proposition de loi est donc éminemment nécessaire, mais terriblement insuffisant. Monsieur le ministre, nous souhaitons ne pas avoir à nous retrouver dans deux ans pour prolonger une nouvelle fois la durée de vie de ces agences. Aussi, pouvez-vous d’ores et déjà nous éclairer sur les solutions envisageables ? Les établissements publics fonciers locaux pourraient-ils exercer ce rôle ? Quelle sera votre politique sur ce sujet dans les deux ans à venir ? Telles sont les questions précises qui doivent être éclaircies à l’occasion de notre débat, car le report de l’échéance prévue pour la durée de vie des agences n’est pas, à lui seul, une solution satisfaisante.

Techniquement, l’enjeu de ce texte repose principalement sur la délivrance d’un titre de propriété à des personnes qui en sont dépourvues. Il s’agit d’établir un lien entre un bien et une personne pour constituer, ou reconstituer, un titre de propriété, mais aussi de permettre à ces personnes d’accéder à un certain nombre de prestations, comme par exemple à un simple crédit bancaire. Il s’agit donc bien d’un enjeu social déterminant pour les populations concernées et nous ne pouvons qu’y souscrire.

Mais le bilan du processus de régularisation pour les occupants sans titre, établi au 31 décembre dernier, montre que sur plus de 5 000 dossiers déposés dans chacun des deux départements antillais, seuls 689 en Guadeloupe et 1 166 en Martinique ont abouti à des acceptations d’offres de cession, soit des taux respectifs de 13,4 % et de 21,9 %. Ce résultat s’explique notamment par les difficultés financières d’une grande partie de la population habitant dans cette zone. Le montant de l’aide publique dont peuvent bénéficier les personnes dont le dossier de régularisation est accepté pour acquérir leur résidence principale se révèle aujourd’hui très insuffisant.

Il serait donc souhaitable de trouver des solutions complémentaires pour permettre à ces personnes d’obtenir enfin, en toute légalité, un titre de propriété pour leur logement. Sur cette question aussi, nous souhaiterions connaître les intentions du Gouvernement.

L’insuffisance des ressources financières des populations concernées ne constitue pas l’unique obstacle à la régularisation. S’y ajoutent également une grande complexité et des délais administratifs particulièrement longs, la procédure de régularisation pouvant comprendre une vingtaine d’étapes. Espérons que le « choc de simplification » annoncé permettra d’accélérer les choses : le Gouvernement travaille-t-il en ce sens ?

Ce texte recouvre par ailleurs un nombre important de dossiers qui ne peuvent aboutir, parce qu’ils concernent des logements situés en « zones rouges », inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels.

Au-delà de l’enjeu social, le régime applicable à la zone des cinquante pas géométriques pose donc également des questions essentielles d’aménagement du territoire et de protection des zones littorales. Il semble indispensable de trouver une solution de relogement pour les personnes vivant dans la zone des cinquante pas géométriques et dont la situation ne peut être régularisée, particulièrement pour ceux qui sont situés dans ces zones rouges.

Parallèlement, il semble également nécessaire de mettre un terme à l’installation de nouveaux occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, faute de quoi le problème de l’occupation sans titre dans cette zone ne sera jamais résolu.

L’urgence est désormais d’apporter de nouvelles réponses à la difficulté que constitue l’absence massive de titres de propriété, laquelle dépasse largement la zone des cinquante pas géométriques et concerne non seulement les Antilles, mais aussi d’autres territoires ultramarins.

Le Gouvernement devrait par conséquent profiter des deux prochaines années pour mener une réflexion globale sur le foncier en outre-mer. En ce sens, l’article 3, qui traite de la reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer, offrira à chaque collectivité ultramarine une certaine souplesse, puisqu’elle pourra utiliser un organisme foncier existant ou créer une nouvelle structure chargée de mener à bien cette mission de « titrement ».

Plus largement, les problématiques soulevées par ce texte nous renvoient à celle, plus vaste, du logement outre-mer. Si la règle générale doit s’appliquer partout de la même manière, il est des situations et des héritages qui nécessitent une attention particulière et des incitations plus grandes. Il en va ainsi des dispositifs de défiscalisation des investissements, et je veux profiter de l’occasion qui m’est donnée ici de m’exprimer, à quelques jours de l’ouverture des débats budgétaires, pour vous rappeler la position du groupe UDI à ce sujet. L’outil fiscal constitue une arme économique majeure dans nos territoires : en drainant de l’épargne là où celle-ci fait défaut en raison des particularités économiques locales, il permet de compenser nos handicaps naturels et territoriaux, et de rétablir ainsi les équilibres économiques.

Aussi, nous considérons que toute initiative qui tendrait à fragiliser les dispositifs existants aurait de lourdes conséquences sur la vie des ultramarins, particulièrement dans le domaine du logement. Par ailleurs, un effort supplémentaire en faveur des investissements locatifs dans le Pacifique se justifierait pleinement par le manque d’attractivité des investissements à une distance aussi éloignée de la métropole, qui constitue, de fait, un facteur de risque supplémentaire pour les investisseurs qui se tournent vers les départements d’outre-mer.

Derrière ce débat budgétaire, c’est la question du mal-logement dans nos territoires qui vous est très directement posée. Nous espérons que le Gouvernement apportera son soutien à nos amendements sur ce sujet majeur.

En conclusion, bien que ce texte laisse en suspens plus de questions qu’il n’en résout à travers la réponse partielle et transitoire aux problématiques de la zone des cinquante pas géométriques et de l’absence massive de titres de propriété en outre-mer, cette proposition de loi n’en est pas moins une étape importante et nécessaire. C’est pourquoi le groupe UDI votera naturellement en faveur de ce texte.

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