Intervention de Patrick Lefas

Réunion du 11 septembre 2013 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

La densité de vos interventions, mesdames, messieurs les députés, témoigne de votre vigilance et de votre expertise en la matière.

Le contrôle fiscal, tout d'abord, doit obéir à une stratégie claire. Cela suppose de simplifier les dossiers, qui devraient être des dossiers-types faciles à remplir, et de rendre les étapes du processus compréhensibles pour tout interlocuteur et toute entreprise quelle qu'en soit la taille.

Vous avez soulevé l'important problème des consultants, qui représentent une part significative de l'assiette et ont prospéré en tirant profit d'une législation complexe. N'oublions pas, cependant, que l'instrument fiscal s'applique à des dépenses de R&D, ce qui sélectionne l'expertise puisqu'il s'agit de passer la rampe de l'état de l'art : un site Internet, par exemple, n'est pas éligible. Parmi ces consultants, certains sont des fiscalistes chargés de trouver des biais juridiques et de mettre à profit les marges d'interprétation qu'offre le manuel de Frascati en droit français. Voilà pourquoi l'administration doit dissiper les doutes qui subsistent. Les experts du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, souvent des chercheurs, doivent également apporter leurs réponses. Faut-il aller jusqu'à l'agrément, qui est une procédure lourde ? Je serais plus favorable à une labellisation fondée sur la définition de bonnes pratiques ; c'est ce que nous proposons page 109 de notre rapport.

La répartition du crédit selon la taille de l'entreprise est présentée page 61, notamment, et selon le secteur d'activité page 65. Nous distinguons aussi les entreprises indépendantes. Je vous renvoie également aux annexes. Nous nous sommes efforcés de vous fournir le plus de données possibles ; je suis désolé que vous n'ayez pu en disposer, le rapport n'étant pas publié avant sa remise à la Commission. Rappelons qu'il ne s'agit pas de simulations a priori, mais bien de la réalité constatée à partir des déclarations déposées en 2011.

Faut-il privilégier l'outil fiscal ou la subvention publique ? La France est dans une situation atypique : l'outil fiscal ne représente pas moins de 67 % du total de nos aides aux entreprises dans le secteur de la recherche. Alors que la subvention est discrétionnaire, l'incitation fiscale est régie par le principe d'égalité devant l'impôt : l'attribution du crédit dépend uniquement du respect de conditions précises, sous réserve d'un contrôle suffisant des entreprises à risque. Dans le prolongement de nos travaux sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne, l'outil fiscal nous paraît utile compte tenu de la fiscalité actuelle des entreprises. En outre, les aides sectorielles sont exclues puisqu'elles sont condamnées par Bruxelles – souvenez-vous du plan textile. Nous présentons page 40 l'exemple du Canada, qui, cherchant à rééquilibrer crédit d'impôt et subventions, a choisi, contrairement à la France, de limiter le bénéfice de l'outil fiscal accordé aux grandes entreprises et d'accroître la subvention à la R&D. Cet exemple n'est pas entièrement transposable puisque les positions respectives des entreprises françaises et canadiennes sur les marchés ne sont pas identiques.

S'agissant des indicateurs globaux, je vous renvoie aux travaux de l'OCDE et notamment à son étude sur l'évaluation de la performance du système de soutien à la R&D, qui sera bientôt rendue publique et viendra éclairer par une comparaison l'étude que l'organisme a récemment consacrée à la Suède.

Monsieur Muet, en ce qui concerne l'articulation entre CIR et fiscalité des revenus de la propriété intellectuelle, l'OCDE a décrit dans ses récents travaux sur l'évasion fiscale le type de montage auquel recourent les grands groupes internationaux afin d'utiliser au mieux les dispositifs préférentiels relatifs à la recherche qui existent dans chaque pays – CIR, fiscalité sur les brevets – et d'instaurer entre sociétés du même groupe des redevances liées à l'usage de la propriété intellectuelle. Ces montages font souvent appel à des sociétés du groupe qui sont localisées dans des paradis fiscaux. L'annexe 13 de notre rapport présente ainsi un schéma réel dans lequel la société mère, établie dans un pays développé, a bénéficié d'un crédit d'impôt recherche, les revenus de la propriété intellectuelle étant confiés à des filiales établies dans des paradis fiscaux, donc faiblement imposés. Nous n'avons pas encore été confrontés à la présentation de tels schémas, mais nous les avons documentés autant que possible. Les services fiscaux que nous avons interrogés nous ont confirmé qu'ils étaient très attentifs aux flux financiers liés à des redevances de propriété intellectuelle, et notamment à la question de savoir si ces flux recouvraient une réalité économique et si des sociétés implantées dans des paradis fiscaux étaient concernées. Plusieurs entreprises ont ainsi subi un redressement pour avoir refacturé à une entreprise du même groupe établie à l'étranger le coût de la R&D effectuée en France, moins l'avantage fiscal obtenu grâce au CIR ; il leur a été demandé de refacturer la R&D à partir des coûts réellement exposés.

Ces mécanismes sont complexes et il est légitime que la créativité des fiscalistes en matière d'optimisation fiscale vous préoccupe. Le droit fiscal comporte des clauses anti-abus, mais l'élément-clé semble être le contrôle des prix de transfert, sur lesquels la valeur ajoutée est déplacée en fonction des contraintes fiscales des différents pays. Pour l'OCDE, les bénéfices que ces mécanismes apportent aux très grandes entreprises sont sous-estimés ; l'organisation en tire la conclusion radicale, que nous n'avons pas reprise à notre compte, selon laquelle il faudrait réserver ces avantages aux PME. Ce principe ne nous paraît pas aller de soi compte tenu de la forte concentration, en France, de la R&D sur les très grandes entreprises, mais il faut être conscient de la propension de ces dernières à l'optimisation fiscale, que les PME et, surtout, les ETI n'ont pas les moyens de conduire des programmes de recherche.

Le rapporteur général nous a également interrogés sur notre position quant au réexamen de la fiscalité privilégiée des revenus de la propriété intellectuelle. Le coût de la taxation à 15 % des revenus issus de la cession de brevets est significatif, atteignant 850 millions d'euros en 2011 et 680 millions en 2013, selon les données figurant dans le PLF pour 2013. Abondante s'agissant du CIR, la littérature est muette sur ce dispositif, mais la Banque de France a chargé l'École d'économie de Paris d'en mesurer l'effet sur les brevets. Cette enquête, que nous n'avons pu mentionner que par allusion puisqu'elle n'en est qu'à ses débuts, pourrait éclairer utilement votre réflexion sur ce point. Rappelons également que, depuis cinq ans, plusieurs pays – dont, tout récemment, le Royaume-Uni – ont créé des régimes très attractifs de fiscalité de la propriété intellectuelle, dits Patent Box, qui engendrent des risques de délocalisation. Cette niche fiscale est-elle utile ? Elle est en tout cas très fortement concentrée et nous ne disposons d'aucune analyse de son impact. Nous avons rencontré cette question chemin faisant, sans la traiter au fond puisqu'elle ne nous était pas posée ; il faudra en tout état de cause y revenir, sans a priori.

La transformation du crédit d'impôt en réduction d'impôt créerait-elle un risque juridique étant donné le principe d'égalité devant l'impôt ? C'est en passant en revue les différentes options envisageables, conformément à ce qui nous était demandé, que nous avons examiné cette éventualité. Les deux techniques fiscales ne reviennent pas au même ni du point de vue comptable, ni eu égard à l'effet de levier. Vous avez pu le constater lorsque des entreprises de différente taille ont perçu des liquidités dans le cadre du plan de relance. Eu égard aux normes IASIFRS, le remboursement intervenant au bout de la quatrième année permet de traiter le crédit, du point de vue comptable, comme une subvention, ce qui est important pour la présentation des comptes. Dans les comptes sociaux, ce régime est optionnel. Il s'agit pour les grandes entreprises, qui ont déjà la possibilité de recourir à l'optimisation fiscale, d'une facilité supplémentaire que l'on pourrait envisager de limiter. Telle n'est toutefois pas l'hypothèse que nous avons retenue à ce stade, préférant faire porter notre recommandation sur le bon fonctionnement des conventions d'intégration fiscale.

Faut-il appliquer le seuil de 100 millions d'euros au groupe plutôt qu'à ses filiales ? Nous n'avons pas non plus retenu cette mesure, pour trois raisons. D'abord, elle serait contournée ; ensuite, elle pénaliserait les groupes français par rapport aux entreprises étrangères installées en France, dont la R&D sur le territoire national n'atteint généralement pas 100 millions d'euros – les dix-sept déclarants que j'ai évoqués sont tous français. Dernière raison, et non des moindres : un tel mode de calcul rendrait moins clair encore le principe de rétrocession du crédit d'impôt aux filiales ayant généré la dépense de R&D éligible. L'efficacité du CIR, qui vise d'abord à stimuler l'effort de recherche des entreprises, pourrait donc en être affectée. Voilà pourquoi nous préconisons principalement de réserver le bénéfice du CIR aux groupes intégrés dont la convention d'intégration fiscale prévoit explicitement la rétrocession du crédit à la filiale ayant généré la dépense de R&D, ou de proposer aux entreprises d'en faire une bonne pratique.

Les objectifs respectifs du CIR et du CICE ne sont pas totalement disjoints, le CICE visant également à dynamiser la recherche. Par ailleurs, nous avons voulu aller plus loin que l'idée communément reçue selon laquelle les recoupements seraient inexistants au motif que les rémunérations inférieures à 2,5 SMIC, éligibles au CICE, ne concerneraient pas les personnels déclarés au titre du CIR : ce serait oublier que les ITA – ingénieurs, techniciens et administratifs – du secteur de la recherche peuvent relever de cette catégorie. Nous avons donc tenté d'identifier les zones de recoupement potentiel et conclu que l'assiette commune aux deux crédits d'impôt se situait entre 400 et 560 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable. Peut-être conviendrait-il de demander à l'ACOSS une étude plus approfondie en vue d'affiner ce chiffrage.

Le rescrit constitue un outil intéressant, en premier lieu pour les petites et moyennes entreprises. À son sujet, nous ne partageons pas le point de vue de M. Jean-Pierre Gorges : Oséo, dans le cadre plus large de la BPI, est d'abord un acteur du financement ; son rôle n'est pas de déterminer l'éligibilité des dépenses à la lumière du manuel de Frascati. L'organisme exerce une fonction de banquier et non d'expert en matière de recherche, même s'il est très attentif à la recherche menée par les entreprises potentiellement performantes, en vue de minimiser le risque auquel il s'expose.

Les PME reçoivent 27 % du CIR, de même que les ETI. La distribution du crédit selon l'activité principale des entreprises coïncide avec celle qui découle de l'enquête statistique sur la R&D des entreprises quand on s'appuie sur l'activité principale de l'entreprise. Cette présentation n'est pas classique, les instances européennes préconisant une présentation par branche d'activité bénéficiaire des travaux de R&D.

Madame Arlette Grosskost, la Cour a consacré aux aides à la création d'entreprise un rapport qu'elle a récemment remis à votre Assemblée. Le présent rapport se limite au CIR, à propos duquel nous avions de nombreuses questions à traiter. Je ne puis donc vous répondre, sinon en confirmant que le capital-risque pose un problème auquel il faudra certainement réfléchir.

Ne vous inquiétez pas, monsieur Goua : nous n'oublions pas le CEA, qu'il appartient à la deuxième chambre de contrôler, mais au sujet duquel nous sommes très attentifs, notamment dans la note d'analyse de l'exécution du budget de la MIRES que nous vous remettons chaque année. Cet aspect est également mis en perspective dans notre rapport public thématique sur le financement public de la recherche. Assurément, les investissements d'avenir et les différents outils fiscaux doivent être pris en considération dans l'équilibre de la loi de finances et peuvent appeler des arbitrages, ce qui nourrit une inquiétude patente dans nombre d'établissements publics à caractère scientifique et technique. Nous sommes naturellement disponibles pour travailler sur ces sujets si vous le souhaitez.

La stabilité est nécessaire, mais la régulation doit pouvoir s'opérer. Nous nous sommes donc efforcés d'encadrer les conditions dans lesquelles le système pourrait évoluer.

M. de Courson a bien voulu laisser entendre que nous ne répondions pas à la question relative à l'effet du CIR sur la dynamique des entreprises. C'est que les travaux de recherche disponibles sur le sujet s'appuient sur des données anciennes, antérieures à 2008, année qui commence seulement à apparaître dans les études. Développons donc ces dernières, faites davantage pression en ce sens, afin de déterminer si l'outil constitue une véritable source de soutien. En tout état de cause, nous l'avons relevé dans notre rapport sur le financement public de la recherche, il existe une perte en ligne entre les dépenses servant d'assiette à l'aide fiscale et la DIRDE – dépense intérieure de recherche et développement des entreprises. Cela s'explique notamment par le fait que cette dernière exclut plusieurs dépenses éligibles à l'aide fiscale. Toutefois, l'écart se réduit, le CIR déclaré représentant 18,1 milliards d'euros, contre 28 milliards de DIRDE.

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