Intervention de Rudy Salles

Séance en hémicycle du 24 juillet 2013 à 15h00
Indépendance de l'audiovisuel public — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelle est la véritable question qui sous-tend notre débat ? C’est, nous a-t-on dit, la liberté de l’audiovisuel public. En réalité, l’intitulé flatteur du projet de loi est peu révélateur ; il n’en est pas pour autant trompeur. Disons qu’entre l’intitulé et le contenu, il existe une sorte de hiatus, qui correspond au sens à donner à la réforme engagée. Parce qu’au fond, la liberté n’est pas une fin en soi pour une institution, mais une méthode et un moyen pour faire mieux, pour répondre, dans le cas d’espèce, à de nouveaux enjeux. Et ces enjeux sont déjà d’actualité.

La question fondamentale est donc bien de savoir quel est le dessein de ce projet de loi. Selon nous, la liberté ne peut viser ici qu’un seul et unique objet : la bonne régulation d’un secteur qui se transforme et se développe comme une supernova. Pourquoi ? Parce que ce qui compte, c’est tout simplement la création. Et le match se joue dans la confrontation entre deux mondes virtuels, celui, hexagonal et régulé, de la télévision hertzienne, et celui, dérégulé et surpuissant, de l’IPTV. C’est le passage d’une société en images à une société de l’image. C’est le risque que le développement n’empiète sur la création, la civilisation sur la culture. Voilà la question, et voilà aussi le chemin pour trouver des réponses durablement pertinentes.

D’emblée, le fait qu’un projet de loi constitué de dix articles seulement prétende embrasser ces vastes horizons a quelque chose de surprenant. Mais après tout, nous avions reproché à des lois précédentes, relatives à l’éducation et à l’enseignement supérieur notamment, d’être bavardes. Nous n’allons pas maintenant tenir le discours inverse, par simple esprit de contradiction. Pourquoi ne ferions-nous pas crédit au Gouvernement d’écouter son opposition ? Nous n’avons pas pour habitude, en ce qui nous concerne, de dire tout et son contraire.

De fait, le premier texte qui nous a été soumis avait sa cohérence. Il plaçait d’abord, et légitimement, le CSA au coeur du dispositif, en introduisant une évolution majeure : la validation de ses membres par les commissions chargées des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. On pourrait évidemment craindre qu’un tel système ne favorise des arrangements de couloirs, une sorte de diplomatie secrète. Mais on ne peut pas dire, en tout cas, que l’opposition n’y serait pas associée. Tout tient donc à la moralité et à l’éthique des représentants de l’intérêt général que nous sommes. Pour notre part, nous considérons qu’il s’agit là d’un progrès de la démocratie, qu’on ne saurait nier en arguant des turpitudes des uns et des autres. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.

Pour autant, la nomination des membres du CSA obéit toujours à une logique purement institutionnelle ; elle dépend toujours des pouvoirs en place, ceux qui jusqu’ici faisaient la décision, et qui la feront encore demain. Autrement dit, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce progrès partiel qui vise à l’impartialité des membres du CSA ne la garantit pas tout à fait.

C’est la même logique qui préside à la création d’un rapporteur indépendant, qui doit permettre de distinguer clairement la mission d’enquête et celle de la sanction. Mais comment postuler d’emblée ce qui nous est présenté comme un gage d’impartialité, quand les moyens de ce rapporteur sont directement dépendants de l’administration du CSA, hiérarchiquement soumis au collège des membres ?

En vérité, la solution réside dans le choix strictement encadré d’une compétence incontestable. De ce point de vue, la discussion en commission a permis une avancée, mais dans des termes si génériques et si vagues que chacun peut y trouver son compte. Il faut donc aller plus loin, en visant non pas à représenter des catégories ou à établir des quotas dans la composition de ce qui est désormais une autorité publique indépendante, mais à imposer des compétences qui signeraient indubitablement une véritable exigence d’excellence.

Qu’entendons-nous par excellence dans ce cas précis, si ce n’est la confrontation des points de vue de personnalités qui incarnent la plus haute qualité possible de l’offre culturelle ? C’est la raison pour laquelle le groupe UDI souhaiterait que la composition du CSA soit radicalement repensée autour des seules compétences utiles : l’exigence culturelle, représentée par un membre de l’Institut de France, la création, avec un représentant des sociétés d’auteurs, le journalisme, avec un représentant de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, et la connaissance transversale des enjeux de la société civile, avec un représentant du Conseil économique, social et environnemental.

Ce qui est vrai pour le CSA l’est également pour les dirigeants des sociétés publiques audiovisuelles. C’est ce qui conduit par exemple le groupe UDI à demander que le choix de ces personnalités soit exclusivement fondé sur leur compétence, sans laisser la moindre place possible au reproche de favoritisme lié à des convergences politiques avec le pouvoir en place. Au fond, il n’y a pas d’impartialité possible sans l’autorité de ceux qui l’incarnent. Cela passe nécessairement par cette exigence d’excellence. C’est là la clé de voûte de l’édifice, qui permettrait de renforcer l’autorité du CSA autrement qu’en en modifiant le statut juridique ou en surajoutant ici ou là quelques gages relatifs au risque de conflits d’intérêts ou à la confidentialité des délibérations. Mais, une fois encore, on privilégie le cadre institutionnel, au sens de la mission.

Vous-même vous êtes interrogée sur le sens à donner à la mission de régulation, madame la ministre. Nous n’en voyons aucune trace dans ce projet, c’est regrettable.

Vous disposiez pourtant d’une formidable occasion de renforcer le rôle du CSA : autorité, partenaire, régulateur et défenseur de la diversité. Il fallait résolument se donner les moyens de s’extraire du feuilleton législatif des changements de format, pour redessiner en profondeur le visage de cette institution, et à travers lui, du paysage audiovisuel, pour un temps aussi long que possible. Cet édifice-là ne naîtra pas du dispositif tel qu’il se présente à ce moment de la discussion parlementaire.

La logique eût été que ce projet de loi posât les bases politiques, économiques et financières d’une nouvelle étape de la régulation audiovisuelle élargie aux communications institutionnelles. Alors, pourquoi ce qui n’a pas été réalisé à l’occasion de ce rendez-vous législatif, le plus opportun qui soit, le serait-il ultérieurement ?

À moins, bien sûr, que partis d’un texte présenté par le Gouvernement, nous n’aboutissions, en réalité, à un nouveau texte tout entier remanié par ce même Gouvernement, relayé par le rapporteur. Avouez, au stade où nous en sommes, que cela traduirait plus une sorte d’impréparation – là où nous attendions une démarche refondatrice – qu’une capacité à écouter vos contradicteurs, dans la mesure où les modifications ne viendraient que de vous-mêmes.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que vous avez fait quelques heures à peine avant la réunion de notre commission chargée d’examiner le projet de loi ?

Quelques heures à peine avant, vous avez en effet tout simplement changé le statut du CSA.

Quelques heures avant, vous avez totalement bouleversé l’économie générale de son rapport annuel d’activité en y ajoutant ici une étude d’impact économique de ses décisions d’autorisation, là un point sur l’évolution de la concentration et du pluralisme dans le secteur privé de l’audiovisuel, ailleurs encore un bilan de la situation financière des services de télévision à vocation locale.

Quelques heures avant, vous avez pensé à la lutte contre la fracture numérique.

Quelques heures avant, il vous est apparu que le CSA pourrait se voir attribuer la mission de réserver un appel à candidatures pour le lancement d’un service national de télévision haute définition à des chaînes existantes en définition standard.

Quelques heures avant, vous vous êtes dit qu’il ne serait sans doute pas inutile que le CSA puisse retirer des autorisations en cas de modifications substantielles des données au vu desquelles elles ont été délivrées.

Et quelques heures avant, vous êtes même allés jusqu’à créer une commission de la modernisation de la diffusion audiovisuelle chargée de gérer le spectre hertzien.

Comment peut-on sérieusement penser que ce texte – dont vous dites être particulièrement fière – ne s’est pas transformé en poupée gigogne faute de travail préalable, faute d’une ambition claire, faute de respect de la représentation nationale, qui se transforme, pour le Gouvernement, en session de rattrapage ? C’est la raison pour laquelle la demande de réexamen par la commission me paraissait tout à fait fondée.

Notre seule crainte, maintenant, c’est que de nouveaux amendements viennent définitivement bouleverser votre texte initial.

Pourquoi cette crainte ? Parce que nous ne pouvons croire que vous ayez oublié tant d’éléments à ce point fondamentaux dans le projet initial. Ce que nous craignons, c’est qu’une fois encore, votre démarche ne soit que de déconstruire ce que vos prédécesseurs ont réalisé. Ce que nous craignons, c’est que cette stratégie constante de la table rase vous ait fait oublier l’essentiel et vous conduise, dans l’urgence, à colmater les brèches d’un édifice qui en réalité n’est qu’un leurre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion