Intervention de Christian Kert

Séance en hémicycle du 24 juillet 2013 à 15h00
Indépendance de l'audiovisuel public — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

Le dévoiement de notre ordre du jour est patent. Pourquoi débattons-nous de ce texte à la veille de la clôture de nos travaux, si ce n’est, comme nous l’a confirmé le rapporteur, pour satisfaire une certaine volonté d’affichage ? Pour utiliser votre propre expression, il vous faut persévérer à détricoter tout ce qui a pu être fait par la précédente majorité. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas naïfs au point de croire qu’il y avait urgence sur ce texte ! En fait, il vise essentiellement à répondre à une exigence : celle de concrétiser un engagement de l’actuel Président de la République, qui voulait revenir sur la loi de janvier 2009 – une loi qui n’a rien de funeste, monsieur le président de la commission, mais qui a toutefois fait l’objet d’un étonnant rapport à charge de la part de notre collègue Marcel Rogemont.

Il est particulièrement dommageable de nous proposer un texte qui ne répond en rien aux préoccupations actuelles d’un secteur si mobile et si novateur et se concentre uniquement sur le CSA, afin certes de lui donner de nouvelles responsabilités, mais au détriment du Parlement, ce que nous avons dénoncé tout au long des travaux en commission. Pour habiller ce texte et éviter de rédiger une loi pour le seul plaisir de déconstruire la précédente, vous avez ajouté quelques mesures, l’une sur le nombre de sages amenés à siéger désormais au CSA, l’autre sur son pouvoir de sanction, afin de se mettre en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle et européenne.

En ce qui concerne ce pouvoir de sanction, il n’y a rien de révolutionnaire : en quatre ans, de 2009 à 2012, le CSA a prononcé 14 sanctions, soit 3,5 par an – au mieux une tous les 100 jours. Que les sages soient neuf ou qu’ils soient sept, la tâche qui leur est confiée ne paraît pas insurmontable ! En revanche, on peut se féliciter qu’il y ait peu de sanctions à prononcer, ce qui montre le sens de la responsabilité dont font preuve les dirigeants de notre audiovisuel, secteurs public et privé confondus.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, le premier argument sur lequel nous fondons cette motion de renvoi en commission est la notion d’indépendance, dont vous faites le pilier de ce texte et sur laquelle pèsent de nombreuses ambiguïtés. De quelle indépendance parlez-vous ? On dirait que vous la considérez comme une récompense à attribuer. Or, l’indépendance, ce n’est pas un hochet, c’est une responsabilité. Un auteur que nous apprécions tous, Vaclav Havel, le disait : « L’indépendance n’est pas un état de choses, c’est un devoir ».

Madame la ministre, êtes-vous persuadée que vous allez mieux assurer l’indépendance de l’audiovisuel public en changeant seulement le mode de désignation des présidents ? En vous contentant d’ailleurs de transmettre ce pouvoir de nomination à un président du CSA dont je vous rappelle – vous l’avez d’ailleurs dit – qu’il est lui-même désigné par le Président de la République ? Pensez-vous réellement assurer une meilleure indépendance de France Télévisions en essayant, il est vrai par voie d’amendement, d’imposer la présence du CSA dans l’élaboration des contrats d’objectifs et de moyens ? Madame la ministre, vous avez, à son échéance, maltraité le contrat qui liait l’État à France Télévisions au risque, d’ailleurs, en ne cessant de transférer des missions nouvelles au CSA, de dessaisir sans cesse davantage le Parlement. Pensez-vous que ce texte puisse valablement s’intituler « Indépendance de l’audiovisuel public » alors même que le nerf de l’indépendance – le financement – n’y est pas abordé ? Vous nous dites que ce sera le cas dans la grande loi : vous noterez que je ne parle pas de petite loi. Quelle en est la raison, sachant qu’il vous faudra de surcroît compléter cette loi par une autre, relative à la lutte contre le piratage, en détricotant les actions d’Hadopi – chères au rapporteur Riester – malgré le rapport favorable de Pierre Lescure ?

Dans votre élan d’indépendance, n’êtes-vous pas en train de commettre une confusion entre l’indépendance et l’autonomie ? La première, dont l’origine latine signifie « Ne pas être rattaché à », désigne l’absence de relation de cause à effet, d’influence, de contrainte ou de coordination entre différentes choses. La seconde, vers laquelle on dirait parfois que vous voulez mener le CSA, vient du grec autos – « soi-même » –nomos – « la loi » –, donne la possibilité à un territoire ou à une communauté de s’administrer librement dans le cadre prédéfini d’une entité plus large régie par un pouvoir central. On y est presque, à l’autonomie ! Pour éviter de multiples écueils engendrés par un CSA qui s’annonce protéiforme, notre collègue Franck Riester, soutenu par l’ensemble du groupe UMP, a travaillé à une solution qui avait déjà été étudiée dans le cadre de la commission Copé : la création d’un haut conseil de l’audiovisuel public. Cette solution, que vous avez repoussée en commission, permettrait de dissocier les fonctions de nomination et de régulation.

Quel objectif recherchez-vous au juste, madame la ministre ? Dans cette loi, vous voulez à la fois parfaire l’indépendance des présidents, celle des chaînes, et peut-être l’indépendance totale, sous une forme proche de l’autonomie, du CSA. Pour citer un autre auteur que Victor Hugo. Souvenez-vous du mot terrible d’Alfred Capus : « Personne n’est absolument libre, car il y a aussi les esclaves de leur indépendance » : cette crainte de l’enchaînement de l’indépendance est à méditer ensemble et justifierait – vous me l’accorderez, monsieur le rapporteur – de retourner devant notre commission, ce qui permettrait d’éclairer cette réflexion.

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