Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 24 juillet 2013 à 15h00
Indépendance de l'audiovisuel public — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

L’Assemblée nationale est aujourd’hui saisie en première lecture du projet de loi organique relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public, déposé le 5 juin 2013 sur le bureau de notre assemblée et adopté le 17 juillet par la commission des lois. Le texte vient compléter le projet de loi ordinaire portant le même intitulé que vient de nous exposer mon collègue Marcel Rogemont au nom de la commission des affaires culturelles saisie au fond et adopté par elle le 16 juillet 2013. Ces deux textes ont pour objet de modifier le mode de nomination des présidents des sociétés nationales de programme que sont respectivement France Télévisions, Radio France et la Société de l’audiovisuel extérieur de la France, devenue le 27 juin dernier France Médias Monde. Nous nous situons donc bien dans le champ de la télévision et de la radio, deux médias importants et nécessaires généralement confondus sous le terme « audiovisuel », et du rayonnement de la France à l’étranger.

Les temps changent. Aux débuts du grand média qu’est la télévision, aujourd’hui immense, l’ORTF était nécessaire. C’était le temps, dont certains se souviennent, où l’ordre du jour du journal télévisé était décidé dans les ministères. Ce temps est révolu. Le monde a changé, les temps aussi et en 1983, la salutaire création d’une haute instance de l’audiovisuel était décidée, comme vous l’avez rappelé madame la ministre. En trente ans, elle a évolué. Elle a trouvé son rythme de croisière, au bénéfice du concept d’indépendance si nécessaire à tout ce qui touche à l’information, au journalisme, aux médias et aux relations dans une société mature et toujours en mouvement comme la nôtre, dans une démocratie formée et intelligente qui fait confiance à sa population et construit des corps intermédiaires entre le chef et le peuple : je parle de l’Assemblée nationale, des professionnels, des institutions indépendantes du politique mais qui ont tout leur poids, en particulier économique et moral, dans notre démocratie mature.

L’ambition de la réforme est de revenir sur la procédure de nomination des présidents des sociétés nationales de programme telle qu’elle est issue de la loi organique du 5 mars 2009. Depuis lors en effet, ils sont nommés, en application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, par décret du Président de la République, certes après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et avis public des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. On pouvait croire que l’indépendance était conservée, mais non : il s’agit d’une nomination en direct s’imposant au monde public de l’information, lequel est garant des libertés fondamentales, intellectuelles et morales de la nation mais également de chacun d’entre nous. Les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient appelées à donner un avis, mais une telle procédure jette un doute sur l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif des personnes désignées et semble incompatible avec les exigences d’une démocratie moderne.

Il a fallu attendre la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et la mise en place de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, devenue en 1989 le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pour qu’advienne une véritable émancipation de l’audiovisuel public à l’égard du pouvoir exécutif, ainsi que je l’évoquais tout à l’heure, et que soit instaurée une procédure transparente et objective de nomination des présidents des sociétés nationales de programme par une autorité administrative indépendante. La loi organique du 5 mars 2009 a marqué un véritable recul en la matière. Les projets discutés aujourd’hui introduisent un pas supplémentaire vers l’indépendance du CSA. Je remercie Mme la ministre, le Gouvernement et la commission d’avoir soutenu une nouvelle émancipation à l’égard du politique, affirmant ainsi la structuration d’une société qui n’est pas uniquement articulée entre un chef et les administrés mais qui compte avec des corps intermédiaires éduqués, structurés, intelligents et qui veulent être intelligibles.

En fixant ainsi la procédure de nomination, nous assumons une réalité d’indépendance et non pas, comme la loi du 5 mars 2009, une présomption de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. L’indépendance de l’audiovisuel constitue une exigence constitutionnelle. Dans le respect de cette exigence, le projet de loi organique dont j’ai l’honneur d’être la rapporteure ainsi que le projet de loi ordinaire rapporté par notre collègue Marcel Rogemont, dont je tiens ici à saluer une fois de plus le travail, visent tous deux à mettre fin à la présomption de dépendance et à renforcer les garanties d’indépendance, de transparence et d’objectivité de la procédure de nomination. À cet effet, le projet de loi ordinaire restitue au Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité administrative, le soin de désigner à la majorité de ses membres les présidents des trois sociétés nationales de programmes, revenant ainsi aux règles applicables avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 5 mars 2009.

Le dispositif envisagé est pleinement conforme aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel, qui a constamment veillé à ce que la procédure de nomination des dirigeants des sociétés nationales de programmes garantisse l’indépendance de ces dernières. Ainsi, dans une décision du 26 juillet 1989, il a considéré que la nomination des dirigeants par le CSA permettait « d’assurer l’indépendance des sociétés nationales de programme chargées de la conception et de la programmation d’émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision et de concourir ainsi à la mise en oeuvre de la liberté de communication proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Dans ces conditions, la nomination des présidents des sociétés nationales de programmes par une autorité administrative indépendante, en l’occurrence le CSA, permettra, comme par le passé, de lever tout soupçon sur une éventuelle immixtion du pouvoir exécutif dans un secteur particulièrement important au regard de la préservation de la liberté de communication et de garantir, dans le respect des exigences constitutionnelles, l’indépendance des sociétés audiovisuelles et de radiodiffusion publiques. Tirant les conséquences du nouveau mode de nomination, le projet de loi organique qui nous est soumis abroge, à son article 1er, la loi organique du 5 mars 2009 et supprime, à son article 2, les références aux présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France dans le tableau annexé à la loi organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

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