Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du 24 juin 2013 à 16h00
Hommage à aimé césaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité et une certaine émotion que je m’exprime ce soir parmi vous. Je voudrais saluer l’initiative de notre collègue Serge Letchimy : c’est un grand jour et, pour la jeune parlementaire que je suis, l’occasion de prononcer quelques mots en souvenir de ce grand homme, Aimé Césaire.

Ce 26 juin, Aimé Césaire aurait eu 100 ans. Il incarne de nombreuses années de lutte, mais aussi de pédagogie pour l’humanité tout entière. Cette journée est importante et c’est à nous, ultramarins, à nous Français, que revient l’honneur de commémorer sa naissance, un peu plus d’un mois après la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition.

Parfois présenté comme un théoricien pouvant être radical, Aimé Césaire s’est battu pour l’égalité entre nos territoires et l’Hexagone, notamment en 1946, lorsqu’il fut, avec d’autres de ses collègues ultramarins, l’instigateur et surtout le rapporteur de la loi de départementalisation. Cette dernière, en mettant fin au régime des colonies, inscrivait durablement les DOM naissants dans le droit des gens et dans la République.

Pour la France d’outre-mer, c’était un acte de naissance qui consacrait l’égalité dans la diversité, l’humanisme dans le droit, l’adhésion dans le respect. Cette loi fut aussi le début d’un très long chemin, inachevé, pour les outre-mer.

Nous nous souvenons aussi que lorsque l’ordonnance de Michel Debré du 15 octobre 1960 fut, douze ans après sa publication, censurée par le Conseil d’État, Aimé Césaire déclara à la tribune de cette assemblée : « La vérité, c’est qu’on a profité de la guerre d’Algérie pour introduire une législation d’exception ». Les DOM, ajoutait-il « sont peu à peu redevenus ce que le législateur d’autrefois, plus franc que celui d’aujourd’hui, appelait les vieilles colonies ». En effet, trop de fonctionnaires dans nos outre-mer avaient subi pour leurs opinions politiques un sort que n’aurait connu aucun de leurs pairs de l’Hexagone : l’exil, et un exil brutal.

Ce n’est donc pas seulement un leader que la France a perdu, ni même un combattant de la liberté. C’est d’abord un inspirateur des outre-mer, de la créolité, de la négritude.

Aimé Césaire, que je n’ai pas connu, est de ces hommes dont la pensée guide et guidera encore de nombreuses générations. J’avais d’ailleurs commencé mon rapport sur la loi de régulation économique outre-mer, une loi fondatrice pour les nouvelles démarches en faveur de l’outre-mer, par un extrait de son discours, prononcé à l’Assemblée nationale le 27 juillet 1981 : « J’ai lu avec attention ce projet de loi instaurant la décentralisation et j’ai été frappé par le fait que nulle part, dans la trentaine de pages que comporte ce texte, je n’ai trouvé le mot "outre-mer" et je n’ai rencontré l’expression "départements d’outre-mer" ».

Mais à travers le combat sur le statut des outre-mer, c’est le respect qui était l’essence même de la philosophie de Césaire, le respect pour les origines, pour les cultures, pour les langues qui composent la France. Alors que l’article 1er de la Constitution, qui définit la République comme indivisible a trop souvent servi d’excuse pour une vision monolithique de la France, créant dans le droit ce que l’on n’a pu imposer dans la réalité, Césaire a lutté pour faire comprendre que la pluralité ne signifie pas la division mais l’enrichissement. Ainsi, dans un entretien accordé au Monde en 1981, il déclarait, citant Hegel : « L’universel n’est pas la négation du particulier car on va à l’universel par l’approfondissement du particulier ».

Ce combat est toujours d’actualité et j’ai la conviction que c’est par l’intégration de la diversité, par l’ouverture et la synthèse des identités plurielles des individus que la République peut prétendre à l’universalité.

Aujourd’hui encore, la non-reconnaissance des langues régionales par la République, que nous incarnons tous, mes chers collègues, fait que nombre de nos concitoyens peinent à se sentir français : la France ne leur parle pas dans leur intimité.

Tenir compte du fait que la France est tout à la fois le socle à partir duquel se développent nos identités individuelles et le couronnement de leur construction est l’un des défis majeurs que nous devrons relever dans les prochaines décennies.

À cet égard, Césaire a bien souvent été un précurseur et un visionnaire. Il a permis, dans le contexte particulier des outre-mer, l’affirmation de ce mariage de raison, autant que de passion, entre la République et ses composantes.

Mais ne vous y trompez pas, chers collègues, cette problématique est encore d’actualité dans nombre de vos circonscriptions, où nos concitoyens sont trop souvent victimes d’aliénation culturelle ! Notre devoir de législateur est de tenir compte de l’avertissement d’Aimé Césaire : « Il faut, de toute manière, préparer un avenir d’ouverture et éviter l’impasse ».

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