Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 11 juillet 2012 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

La plus grande difficulté de l'exercice auquel je me soumets aujourd'hui devant vous est d'apporter dans l'instant une réponse précise à toutes les questions particulières. En effet, nous ne voulons pas reproduire ce que nous dénoncions : retenir tel ou tel projet sans qu'aient été réalisées les nécessaires expertises préalables.

MM. Martial Saddier, Jacques Kossowski, François-Michel Lambert et plusieurs de vos collègues ont évoqué le SNIT. Il est important de mettre bon ordre à ces projets et de prendre en compte la soutenabilité de leurs financements. Vos questions l'ont montré, certains projets sont antagonistes et ne participent pas d'une approche globalisée de l'aménagement du territoire. Certaines réalisations ne figurent d'ailleurs pas dans le SNIT, alors qu'elles présentent, au regard du bilan coûtavantage, un intérêt indéniable pour l'aménagement du territoire. Nous aurons l'occasion, dans le cadre d'un dialogue suivi, de réaffirmer ensemble les critères de faisabilité financière. Il faudra, en même temps, assurer la cohérence de tous les projets.

Quelles méthodes allons-nous privilégier ? Je souhaite qu'une commission puisse être rapidement mise en place pour « revisiter » le SNIT. Il ne s'agira pas de ré-ouvrir le débat, mais d'expertiser la faisabilité financière en fonction de critères que l'on peut préalablement déterminer, tels que l'intérêt pour l'aménagement du territoire – afin de résorber la fracture territoriale qu'a révélée la campagne présidentielle, nombre de nos concitoyens se sentant exclus de la dynamique économique et de ce qui concerne leur quotidien –, la qualité du service rendu, le bilan environnemental des infrastructures, et l'enjeu économique. Sans doute, il peut être tentant de s'engager dans de grandes réalisations, mais elles ne sont pas toujours pertinentes et la mise à niveau d'infrastructures existantes peut permettre de mieux optimiser les investissements.

L'industrie ferroviaire, qu'a évoquée Catherine Quéré, offre aujourd'hui 20 000 emplois privés et 60 000 emplois publics. Les décisions prises avec mon collègue Arnaud Montebourg, pour sauver l'entreprise Lohr, montrent l'importance de la commande publique pour le dynamisme économique. En la matière, les industriels ont besoin de lisibilité sur plusieurs années. Je souhaiterais que nous puissions flécher de nouveau un certain nombre de financements pour soutenir l'activité de l'industrie ferroviaire.

MM. Stéphane Demilly et Jean-Jacques Cottel m'ont interrogé sur le canal Seine-Nord Europe. Dire que ce projet est lancé et financé s'apparente à une vue de l'esprit. Ce n'est pas parce que l'ancien Président de la République a fait une déclaration à ce sujet en 2011 que le canal est réalisable en 2012 ou en 2013, ni même en 2014. Une procédure de partenariat public-privé a été engagée. Il conviendra que la commission de personnalités qualifiées se penche sur ce type de procédure, car cette alternative au financement public n'est pas sans conséquence pour la collectivité : ainsi, en ce qui concerne le canal Seine-Nord Europe, pour une exploitation de cinquante ans, la personne publique devra acquitter chaque année entre 150 et 300 millions d'euros de loyers. Voies navigables de France a évalué ce canal à 4 ou 5 milliards. L'intérêt stratégique de l'infrastructure a été souligné, mais, si l'on avait accordé au fluvial tout l'intérêt qu'il mérite, notamment pour le report modal, nous ne serions pas obligés, aujourd'hui, de prendre des mesures dans l'urgence.

Une procédure a donc été arrêtée, mais les financements envisagés semblent ne pas correspondre à la réalité du projet. Nous ne pouvons lancer les travaux sans savoir comment les financer. Nous serions mieux inspirés de prolonger le combat du Président de la République pour réorienter les financements européens vers la croissance, vers des projets à dimension internationale, tels la ligne Lyon-Turin, le canal Seine-Nord Europe ou le désenclavement des ports. En effet, sans une logique de compétitivité portuaire, le canal Seine-Nord Europe ne représenterait qu'une partie de la réponse et ne permettrait pas d'optimiser l'investissement public.

L'échec de la modernisation des réseaux fluviaux est une réalité. Nous nous trouvons aujourd'hui devant un dossier qui n'est pas financé, mais qui pourrait l'être si l'Europe et les collectivités s'engageaient. Certaines ont déjà pris position : le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais m'a ainsi adressé une invitation sympathique, à laquelle je répondrai bien volontiers, même si je n'ignore pas que l'enthousiasme n'est pas toujours communicatif et qu'il faut alors savoir se montrer persuasif.

La démarche du Grand Paris est aujourd'hui copilotée par différents ministères, sous l'impulsion de Mme Cécile Duflot, que je rencontrerai dans quelques jours. On m'a interrogé sur la ligne La Défense-Roissy Charles de Gaulle et sur le RER E. Après l'abandon d'un premier projet de Charles de Gaulle Express, il est aujourd'hui question d'un PPP – c'est-à-dire, en l'occurrence, d'un partenariat public-public, avec plusieurs groupes et entreprises publics. Nous n'y sommes pas opposés, mais nous voulons examiner au préalable la réalité du financement.

Il faut revenir sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les concertations autour du Grand Paris, prendre en compte les critiques assez nombreuses qui se sont fait jour, éviter les doublons d'infrastructures, identifier les projets qui, dans le cadre des financements dont nous disposons, sont susceptibles de connaître une réalisation rapide en apportant à nos concitoyens une véritable plus-value sociale et environnementale.

Mme Marie-Line Reynaud m'a interrogé sur la redevance que pourrait acquitter le concessionnaire privé d'une voie ferrée. Nous allons examiner la question. Un Fonds de solidarité territoriale, doté de 30 millions d'euros, a d'ores et déjà été institué ; il appartiendra aux préfets de le mobiliser. La consultation des préfets aura d'ailleurs lieu dans le cadre du SNIT. N'oublions pas ce niveau de l'État déconcentré. L'ensemble des projets – mentionnés ou oubliés – doit faire l'objet d'une analyse territoriale.

M. Julien Aubert a évoqué le tunnel sous le Montgenèvre. Ce projet, d'un montant de 1,6 milliard, n'a pas été retenu dans le SNIT et nos partenaires italiens y sont opposés, ce qui n'est pas pour faciliter sa réalisation. En outre, cette infrastructure concurrencerait en quelque sorte la liaison Lyon-Turin, dont elle affaiblirait l'efficacité. Nous ne pouvons pas développer des projets sans les doter de moyens de soutenabilité financière.

Monsieur François-Michel Lambert, le débat sur la LGV PACA doit être engagé. Je doute cependant et de sa faisabilité et de l'accord unanime des collectivités. Or, pour qu'un projet soit accepté, il faut qu'il soit porté par les collectivités. La question de la congestion du réseau actuel reste entière et il faudra mener cette réflexion de manière originale.

L'électrification de la ligne Niort-Saintes-Royan doit être envisagée dans le cadre des autoroutes ferroviaires de fret, dont il constitue l'itinéraire bis.

J'ai été en étroit contact, ces derniers temps, avec Yann Capet, heureux député du port de Calais, à propos de SeaFrance. Nous avons en effet besoin d'une politique maritime intégrée globale, d'une vision ambitieuse pour la mer. Une déclaration sera faite à ce sujet devant votre Assemblée et abordera tant la gouvernance que les enjeux. Il nous faut concilier à la fois la protection de la biodiversité et l'exploitation et les modes de financement de l'interface terre-mer. Les collectivités littorales sont confrontées à des enjeux impossibles à financer. Toute la question de la fiscalité, notamment du droit d'usage du domaine public maritime, doit être repensée. Les solutions en vigueur sont souvent très archaïques, ignorant tout de la réalité actuelle.

Je remercie Mme Lignières-Cassou pour le constat qu'elle a dressé à propos du SNIT. Nous nous employons à désigner très rapidement différents acteurs du transport, élus, techniciens ou financiers, pour mener ce débat. C'est à la rentrée de septembre que nous indiquerons ce que nous entendons faire au cours des prochaines années.

M. Gilles Savary m'a interrogé sur les aéroports. Les collectivités responsables étant variées – intercommunalités, départements, régions – et dotées de compétences inégales en fonction des effets de seuil, la mise en cohérence des différents modes de transport ne s'opère pas. Il faudra donc à la fois revisiter le rôle de chacun et se diriger vers l'expérimentation. Certaines régions s'interrogent déjà sur la pertinence de leur engagement dans l'aérien. Les questions juridiques sont complexes, selon qu'il y a ou non concession, appel d'offres, transfert. On doit également réfléchir aux conditions financières. Toutefois, l'expérimentation peut être extrêmement instructive et permettrait d'inscrire cette politique régionale aérienne dans le cadre de l'acte III de la décentralisation.

Je sais combien les questions de transport passionnent la représentation nationale : elles conditionnent le dynamisme des territoires. Avec tous mes collaborateurs, nous tâcherons d'être à votre écoute, de répondre à vos interrogations, à l'occasion de rencontres régulières, préalables aux décisions. Nous avons à répondre, pour le fret, à des questions existentielles. D'autres se posent à propos de l'aérien, notamment dans le cadre des échanges internationaux. Un conseil des ministres Airbus s'est tenu il y a quelques jours. Il était important que nous précisions la position des « pays Airbus » sur les échanges des droits d'émission, qui constituent une difficulté pour nos rapports avec les pays qui s'y opposent, telles la Chine ou la Russie, et qui sont de nature à déclencher une guerre commerciale fort dommageable : les commandes éventuelles de la Chine représentent en effet 12 milliards d'euros. Nous devons trouver des solutions dans le cadre des échanges internationaux et rompre avec la méthode qui a conduit à prendre des mesures unilatérales sans recourir aux instances et aux institutions classiques.

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