Intervention de Gérard Mestrallet

Réunion du 17 juillet 2013 à 9h30
Commission des affaires économiques

Gérard Mestrallet, président du groupe GDF Suez :

Mesdames, messieurs les députés, merci de m'avoir invité à venir discuter de la transition énergétique, débat qui, au sein du groupe GDF Suez, nous tient à coeur et auquel nous nous efforçons de contribuer à travers des réflexions et des propositions.

Permettez-moi d'entrer en matière en vous exposant le regard que nous portons sur un monde de l'énergie en pleine transformation sur l'ensemble de la planète. Avec les nouvelles technologies et quelques autres secteurs, c'est probablement l'un des domaines dans lequel les transformations sont les plus rapides et les plus profondes, et cela depuis une quinzaine d'années alors que la situation avait relativement peu évolué depuis la guerre.

En simplifiant, en matière d'énergie, je vois un monde à trois vitesses. D'abord, le monde émergent, qui a soif d'énergie pour accompagner la croissance économique : sans croissance de l'offre énergétique, il n'y a pas de croissance économique. Nous y participons dans les domaines de l'électricité et du gaz. GDF Suez est présent pour un tiers de son chiffre d'affaires – de l'ordre de 100 milliards d'euros – dans l'électricité, pour un tiers dans le gaz et pour un tiers dans les services, notamment d'efficacité énergétique. Même si la vente de gaz en France est importante, puisqu'elle représente 10 % de notre chiffre d'affaires, notre activité est très diversifiée. Les besoins du monde émergent sont autant quantitatifs que qualitatifs, c'est-à-dire qu'ils doivent être satisfaits par des modes de production adaptés faisant intervenir davantage de renouvelables. La majorité des productions d'énergie renouvelable dans le monde viendra du monde émergent.

Ensuite, l'univers nord-américain, qui est aujourd'hui transformé par le gaz de schiste, demain peut-être par le pétrole de schiste. Les Américains disposent maintenant d'un gaz abondant et bon marché, grâce auquel est également produite de l'électricité abondante et bon marché, ce qui exclut dorénavant la production à base charbon. Dès lors, celui-ci est exporté à bas prix en Europe, entraînant la substitution exactement inverse. Alors qu'aux États-Unis l'élimination du charbon par le gaz a pour effet de faire baisser les émissions de CO2, l'Europe connaît le phénomène contraire.

En Europe, enfin, la transformation du monde de l'énergie, entamée depuis quinze ans, a connu une accélération depuis quelques années. Cette transformation est spectaculaire sous l'effet de ce que j'appelle les quatre « D » : dérégulation, décentralisation, digitalisation et déclin de la consommation.

La dérégulation a amené la fin juridique des systèmes anciens de monopole.

La décentralisation découle des nouvelles technologies de production de l'électricité, notamment des énergies renouvelables. Le monde ancien des grandes unités très centralisées, gérées par un acteur unique, a fait place à des modes de production de plus petite dimension, beaucoup plus répartis sur le territoire et beaucoup plus proches des consommateurs. Le rapport à l'énergie change aussi. Autrefois, les gens faisaient preuve d'une grande indifférence vis-à-vis du mode de production de l'électricité. Je me souviens d'un sondage effectué il y a quelques années auprès d'Américains de la rue. À la question « d'où vient l'électricité ? », ils étaient plus de 50 % à répondre : de la prise de courant dans le mur ! C'est dire s'ils faisaient peu de cas de ce qui se passait de l'autre côté du mur. Aujourd'hui, le public veut savoir si l'électricité est nucléaire ou verte ; certains veulent la produire eux-mêmes avec de petites unités éoliennes ou solaires, de la micro-cogénération, de la micro-géothermie ou encore de la biomasse. Cette décentralisation de la distribution d'énergie sur le territoire amène très naturellement les collectivités territoriales à vouloir jouer un rôle plus actif dans la gestion de cette énergie.

Pardonnez-moi de recourir à un anglicisme pour désigner mon troisième « D » : la digitalisation – la numérisation en français. Les technologies numériques s'appliquent désormais complètement à l'énergie avec les compteurs intelligents que sont Linky pour l'électricité ou Gazpar pour le gaz, les capteurs ou les réseaux intelligents. En matière de gestion des consommations, notamment dans la correspondance entre consommations intermittentes et productions intermittentes, le numérique va révolutionner les usages.

Enfin, le déclin de la consommation. Alors qu'elle était en constante augmentation depuis la guerre, la consommation d'électricité et de gaz a amorcé une diminution depuis 2008-2009, d'une part, en raison de la faible croissance économique, voire de la décroissance, d'autre part en raison des gains en efficacité énergétique et des économies d'énergie réalisés. À croissance économique zéro, on attend une demande en baisse d'un ou deux points en matière d'énergie. C'est en tout cas ce qu'on constate pour l'électricité et le gaz depuis 2008. C'est donc un monde nouveau que cette Europe dans laquelle la commodité elle-même est en mode de décroissance.

Transition énergétique, transformation énergétique, révolution énergétique même, toutes ces expressions sont une réalité qui n'a rien de temporaire : on ne reviendra plus au monde ancien. Si l'entreprise est très présente dans ce monde ancien, GDF Suez a fait le choix de ne pas s'y accrocher et d'accompagner, voire d'anticiper, le passage vers le monde nouveau, la mutation énergétique. Désormais, en Europe, nos deux priorités sont l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Dans le domaine de l'efficacité énergétique, nous avons bâti, au cours des quinze dernières années, une branche complètement dédiée dans laquelle travaillent 80 000 personnes. C'est dire si le secteur est créateur d'emplois. En France, nous avons créé près de 2 000 emplois l'année dernière, et nous sommes à la tête de 40 000 emplois répartis dans nos sociétés Cofely – Ineo, Endel et Axima.

Nous souhaitons être non pas simplement un fournisseur de commodité en électricité ou gaz, mais le partenaire de nos clients dans la transition énergétique. À travers cette branche, nous sommes déjà près des collectivités et du secteur tertiaire. Nous gérons énergétiquement les tours de la Défense, les plus grandes tours de Londres, Barcelone et Montréal, les plus grandes tours du monde à Dubaï. Nous venons de signer avec Sanofi un accord par lequel nous allons aider chacun des 120 sites de la société à consommer moins d'énergie tout en émettant moins de CO2. De la même manière, nous voulons aussi aider les collectivités territoriales dans le cadre de contrats de performance énergétique. C'est ainsi que nous développons le concept de TEPOS – territoires à énergie positive – qui peut aussi bien s'appliquer à un village qu'à une ville, une communauté de communes, un département ou une région. Après avoir posé un diagnostic, nous préconisons des mesures pour atteindre l'énergie positive et la neutralité de l'empreinte carbone.

GDF Suez propose un mix énergétique très diversifié et faiblement carboné. Dans le secteur de la chaleur, nous disposons de 140 réseaux pour la plupart alimentés par de la biomasse ou des déchets. Bien entendu, nous sommes présents dans l'électricité et le gaz. En France, plus de 50 % de notre électricité est d'origine renouvelable, et nous sommes le premier acteur de l'éolien terrestre, avec 1 200 mégawatts installés. Nous revendiquons donc d'accompagner la transition énergétique pour être le partenaire énergétique de nos clients qui le souhaitent, qu'ils soient industriels, collectivités territoriales ou particuliers.

L'efficacité énergétique est le premier pilier de la transition énergétique. Les principaux consommateurs d'énergie sont les secteurs résidentiel et tertiaire, qui représentent 40 % de la consommation en France. À ce propos, je reprendrai deux des vingt-deux propositions que nous avons faites à la Commission.

Nous désignons la première sous le nom de passeport de rénovation énergétique. Ce passeport consisterait en un audit énergétique approfondi du logement suivi d'une proposition de travaux personnalisés standardisés, qui ciblerait en particulier les 4 millions de logements les plus énergivores en France. Le parcours rénovation comporterait, pour les collectivités territoriales, la charge d'installer des guichets uniques locaux dédiés à l'efficacité énergétique ; pour les fournisseurs d'énergie, tels que nous, l'obligation de financer un volume minimum de passeports rénovation se substituant à leurs obligations actuelles de délivrance de certificats d'économies d'énergie, relativement peu efficaces pour le secteur du chauffage individuel. Les filières de rénovation proposeraient des travaux simples et standardisés, et l'État ciblerait ses aides – crédit d'impôt, prêt à taux zéro. Les contrats de performance énergétiques sont très adaptés. Nous avons signé un contrat avec la région Alsace portant sur la réduction de la consommation énergétique des lycées alsaciens. Alors que nous nous étions engagés sur une réduction de 30 %, nous en sommes à 35 % au bout de dix-huit mois. Ces contrats sont donc très efficaces, ce qui est révélateur du potentiel d'économies d'énergie dans de nombreux domaines, dont celui des bâtiments publics.

Deuxième proposition, les ENR thermiques doivent être intégrées dans la politique de développement des énergies renouvelables. En particulier, nous avons en France un potentiel considérable en matière de biogaz, dit gaz vert, qui est produit par la dégradation des déchets organiques d'origine agricole, urbaine ou industrielle, grâce à l'étendue de notre territoire et à notre grande agriculture. Le biogaz peut être utilisé pour chauffer, pour faire de l'électricité ou pour la cogénération, qui associe les deux. Après épuration, il peut aussi devenir du biométhane et revenir dans le circuit du gaz. C'est le schéma que nous avons mis en place tout récemment à Forbach : le biogaz issu de la méthanisation des déchets urbains est valorisé pour faire, d'un côté, de la cogénération, de l'autre côté, du biométhane qui alimente une flotte de véhicules de collecte des déchets. La boucle est ainsi bouclée, on est déjà là dans l'économie circulaire. À Dunkerque, une expérimentation de power to gas est en cours. Le procédé consiste à produire de l'hydrogène à partir de l'électricité surabondante issue des éoliennes – au point qu'elle atteint parfois des prix négatifs. L'hydrogène est ensuite mélangé au gaz naturel à proportion de 10 à 15 %. Ce nouveau mélange, dénommé Hythane, va à la fois alimenter une flotte de bus de la communauté urbaine de Dunkerque et être distribué comme gaz de ville dans un micro-quartier. C'est une façon de mixer gaz et électricité. On sait utiliser le gaz pour faire de l'électricité, on essaie de développer l'inverse pour pouvoir stocker l'électricité, ce qui sera le grand problème d'avenir.

Nous nous félicitons de la mise en place d'outils incitatifs en faveur du biogaz. Le tarif de rachat est financé par une contribution du biométhane sur le gaz naturel. On n'en est qu'au démarrage mais on peut viser un objectif ambitieux. Alors que l'Ademe envisage d'atteindre 15 % de gaz vert en 2030, nous pensons qu'on pourrait même monter à 20 %, en passant par 20 térawattheures en 2020, ce qui porterait la part du gaz vert à 5 %. Cela me semble important pour l'image du gaz, l'effet sur la balance commerciale et la possibilité de réduire notre dépendance extérieure.

En matière de production électrique, nous sommes face à trois défis à relever résultant du triple échec de la politique énergétique européenne. D'abord, sur le plan du climat, qui était pourtant la priorité de ces cinq dernières années, avec l'augmentation des émissions de CO2 due à l'utilisation du charbon qui se substitue à celle du gaz dans le secteur de l'énergie, dans certains pays comme l'Allemagne. Ensuite, l'échec est patent sur le plan de la compétitivité, avec des prix de l'électricité sur le marché libre au plus bas – jusqu'à être divisés par deux en Europe – mais dont les consommateurs n'ont jamais profité puisque, pour eux, les prix n'ont cessé d'augmenter. En comparaison, ils baissent aux États-Unis grâce à la production d'électricité à partir de gaz bon marché. Enfin, l'échec est constaté sur le plan de la sécurité d'approvisionnement. Le charbon éliminant le gaz, les centrales à gaz, même les plus modernes, extrêmement performantes et offrant des rendements incroyables, ne tournent plus et sont fermées les unes après les autres. Elles sont complètement déficitaires et rendues inutiles en période de fonctionnement normal. En France, le grand débat est de savoir s'il faut fermer Fessenheim ; pour notre part, nous avons fermé plus de cinq fois Fessenheim en capacité, E.ON a fermé six fois Fessenheim en centrales à gaz. Or ces centrales vont manquer au moment des pointes, car la rapidité de leur mise en route les rend très flexibles et donc très complémentaires du renouvelable intermittent. Si l'Europe du Nord était prise sous un anticyclone glacial en hiver, sans vent ni beaucoup de soleil, il n'y aurait pas de centrale de pointe pour couvrir les énormes besoins de chauffage. Cela risque de créer des problèmes.

Nous pensons qu'il faut rénover le bouquet de production électrique en le rendant plus diversifié et plus équilibré par le biais d'une politique de soutien aux ENR électriques coordonnée au niveau européen. Le coût de soutien des énergies renouvelables en Europe devient très élevé dans certains pays. Il faut favoriser les énergies renouvelables qui sont les plus proches de l'équilibre, celles qui coûtent le moins cher à financer. De ce point de vue, l'éolien terrestre est la plus mature des technologies renouvelables. Par ailleurs, vous l'avez compris, je suis inquiet de la fermeture en Europe des centrales à gaz remplacées par les centrales à charbon. Je crois que notre rôle est d'alerter les pouvoirs publics. À la veille du sommet européen consacré à l'énergie, j'ai pris l'initiative de réunir les plus grands énergéticiens européens pour rédiger une déclaration commune mettant les pouvoirs publics européens face à l'échec de la politique européenne, qui s'est soldée par la destruction d'une partie de l'industrie énergétique européenne. On le voit un peu moins en France, mais en Allemagne, les grands groupes énergétiques ont souffert. Il y a trois ans, E.ON était le premier groupe allemand ; aujourd'hui, il est le quinzième. RWE ne s'en tire pas mieux.

Parmi les solutions que nous avons préconisées figurent le développement plus convergent du renouvelable ; un signal CO2 qui soit pertinent – aujourd'hui, un tel signal n'existe même plus : puisque le marché du CO2 s'est effondré, brûler du charbon n'expose à aucune pénalité ; un marché de capacité qui permette de maintenir en vie l'appareil industriel de centrales à gaz ; le durcissement de la réglementation européenne en matière d'émission de CO2 pour les centrales à charbon. En raison des dérogations accordées aux centrales fonctionnant au charbon local, essentiellement en Allemagne, vous l'aurez compris, la consommation massive de charbon n'est pas pénalisée.

En conclusion, nous avons deux propositions phares pour la transition énergétique : le passeport rénovation, qui se montrerait très efficace pour la rénovation de 500 000 logements par an ; un objectif ambitieux de développement du biométhane – 5 % à l'horizon 2020 et 20 % à l'horizon 2030.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion