Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Monsieur Amirshahi, nous avons bien l'intention de développer les projets concrets avec les pays du Maghreb. Les sommets du « 5 + 5 », plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen, qui réunissent la France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, Malte d'un côté, et le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie de l'autre, nous paraissent un excellent vecteur.

Je redis de la façon la plus nette que ce qui est arrivé au président bolivien est lié à un malentendu technique et administratif. Dès que le Président de la République a su que le président Morales se trouvait dans l'avion en question et qu'il a été consulté, il a immédiatement autorisé le survol de notre pays. J'ai demandé à notre ambassadeur en Bolivie de l'expliquer clairement sur place. J'ai également appelé mon homologue bolivien et exprimé officiellement des regrets. La page doit maintenant être tournée au plus vite, afin que rien n'altère les bonnes relations que nous avons toujours entretenues avec la Bolivie et l'ensemble des pays de la région. L'interprétation qui a parfois été faite de l'incident est totalement erronée.

La France, comme les autres pays d'Europe, a refusé l'asile à M. Snowden. Après que les États-Unis ont formulé une demande d'arrêt, si M. Snowden venait en France, il devrait y être immédiatement arrêté, ce qui n'est certainement pas ce que souhaitent ses défenseurs. Il n'était donc pas opportun de lui octroyer l'asile. Quelques pays se sont déclarés prêts à l'accueillir. Je ne sais pas encore quelle sera sa décision.

M. Assouly et M. Habib ont tous deux évoqué la situation iranienne et les lignes rouges à ne pas franchir aux yeux d'Israël. Le message de la France à l'égard de l'Iran, sans être nullement belliqueux, n'en est pas moins net. Nous restons ouverts au dialogue, pour autant que les positions iraniennes évoluent.

Monsieur Habib, je n'étais pas au courant que la mention « Israël » avait pu être barrée dans l'adresse de certaines convocations. Je vous remercie de me communiquer les photocopies des documents que vous avez en votre possession.

Monsieur Dupré, quelle crédibilité accorder aux majorités, disons islamistes, pour faire court ? Notre déplacement en Tunisie avec le Président de la République la semaine dernière a été riche d'enseignements. Le long entretien que M. Ghannouchi a accordé au Monde est également très intéressant. Beaucoup dépendra certes de ce qui va se passer en Égypte –notre visite avait lieu au moment même des événements égyptiens – mais ce que nous retenons des discussions libres et amicales que nous avons eues avec le gouvernement tunisien est que pour réussir, là où ils ont été élus de manière régulière, les islamistes doivent rassembler. Sinon, au bout d'un certain temps, ils sont rejetés. Comment peuvent-ils oeuvrer au rassemblement nécessaire ? La question n'est pas simple, d'autant que ceux qui exercent le pouvoir ne sont pas nécessairement ceux qui décident. L'une des leçons à retenir est que se refermer autour d'un groupe, au lieu de travailler au profit de l'ensemble de la population en cherchant à rassembler, handicape gravement les pouvoirs qui pratiquent ainsi. Espérons que cela soit compris.

Sur la Turquie, il y aurait beaucoup à dire. Vous avez eu raison de souligner que le problème y est tout autre que dans les pays précités. En effet, la Turquie connaît une forte croissance économique. Mais il est vrai que nous avons été surpris, déçus par les récents événements, dont il faut tirer les leçons. Cela montre que l'amélioration de la situation économique ne suffit pas ou bien encore qu'un conflit peut dégénérer à partir d'une revendication très localisée, comme cela a été le cas à Istanbul où il s'agissait au départ d'une affaire d'urbanisme. Nous n'avons surtout pas voulu jeter d'huile sur le feu après les commentaires faits par le pouvoir. Mais nous restons vigilants.

Monsieur Christ, vous avez eu raison d'évoquer Madagascar, dont on ne parle pas assez alors que la situation y est extrêmement préoccupante. Le malheur de ce pays, dont la France est restée très proche, est lié à ses gouvernants. La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ont fait savoir que si les prochaines élections devaient se tenir avec les candidats actuels et dans les conditions prévues, non seulement aucune aide ne serait accordée mais les résultats n'en seraient pas reconnus. J'ai eu l'occasion de le dire aux intéressés eux-mêmes, qui n'ont pas voulu se rallier aux solutions plus sages qui avaient été un temps envisagées pour trouver des candidats qui n'auraient pas suscité le même embarras. Comme la SADC et l'OUA, la France ne reconnaîtra pas le résultat des élections, si celles-ci ont lieu dans les conditions actuellement prévues. Cela aura des conséquences en matière d'aide.

Monsieur Lequiller, oui, nous saisirons les opportunités avec l'Iran… s'il s'en présente.

Vaste sujet que de savoir pourquoi l'Europe ne parle pas d'une seule voix ! Soit cette voix unique fait défaut, soit, lorsqu'elle existe, elle n'est pas assez forte.

Où en est-on de l'institution d'un ministre des finances européen ? Le ministre des finances français s'est exprimé. Le Président de la République l'avait lui-même fait au sein de l'Eurogroupe, en liaison avec Mme Merkel, qui plaidait elle aussi en ce sens. Nous voulons renforcer la zone euro. C'est d'autant plus nécessaire que l'Union s'est encore élargie – après l'adhésion de la Croatie, l'Union compte 28 membres, et le mouvement ne devrait pas s'arrêter là – et que les Britanniques ont décidé d'organiser un référendum après leurs propres élections, défendant la conception d'une Europe « à la carte », très éloignée de la nôtre. Cela nous conforte, et cette position est assez largement partagée sur l'échiquier politique, dans l'idée d'une Europe différenciée, où certains pays avanceraient plus vite que d'autres, sans récuser ceux qui vont plus lentement mais sans accepter d'être freinés par eux.

Monsieur Bacquet, est-on passé d'une stratégie où l'on escomptait le renversement de Bachar Al Assad à une stratégie où on se demande comment traiter avec lui ? Ainsi posée, la question est excessive. Mais il est vrai que, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure et d'autres encore, Bachar Al Assad, et ses soutiens, la Russie, l'Iran et le Hezbollah, ont montré une forte capacité de résistance. Nous ne pouvons pour autant accepter les agissements de M. Al Assad. N'oublions pas comment tout a commencé en Syrie. Dans le contexte du printemps arabe, certaines fractions de la population syrienne ont réclamé plus de droits et de libertés. Une féroce répression s'en est suivie, qui a conduit à ce qu'on dénombre aujourd'hui plus de 100 000 morts, dont le premier responsable est bien Bachar Al Assad. Vu la composition de la population syrienne et les craintes qu'expriment certains Syriens que la situation ne soit encore pire après son départ, il est très important de militer pour qu'une solution politique soit trouvée dans le cadre de la conférence de Genève II, permettant le retour à une Syrie apaisée et pluraliste, où chacun aurait sa place. Cela donne une idée du travail qui reste à faire.

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