Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Lors de ma rencontre avec le Patriarche de Jérusalem, je lui ai indiqué que nous faisions tout notre possible pour obtenir des nouvelles de ces deux évêques. Si nous parvenons à en avoir, je les lui transmettrai en priorité.

M. Mamère et M. Loncle m'ont interrogé sur la date prévue des élections au Mali. Tout d'abord, ce n'est pas le gouvernement français qui en décide. Cette prérogative appartient aux autorités maliennes, et à elles seules. La France ne peut éventuellement que donner son sentiment. De larges consultations ont eu lieu. Après une étude technique ayant permis de voir ce qui était possible et ce qui ne l'était pas, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris position de façon nette.

Il est absolument essentiel que des élections aient lieu et qu'elles ne soient pas repoussées aux calendes grecques. En effet, le gouvernement de transition n'a qu'une faible légitimité. Ensuite, dans certains milieux à Bamako, d'aucuns ne seraient pas mécontents que les élections ne se tiennent pas – ces gens, chacun sait ici qui ils sont. Enfin, même si le problème de Kidal a trouvé une solution magistrale sur le plan juridique – trouver un accord avec le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) en vingt-cinq points, permettant, ce qui est le cas actuellement, que les forces armées maliennes montent jusqu'à Kidal et que le MNLA soit cantonné à l'extérieur de la ville, qui eût pu penser ce tour de force possible ? –, il ne peut y avoir de solution durable avec les Touaregs qu'avec un président et un gouvernement nouveaux. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé le MNLA à signer cet accord. Il serait en effet contradictoire de la part des Touaregs de revendiquer décentralisation et autonomie et, dans le même temps, de faire tout pour que les élections ne se tiennent pas, puisque seul un nouveau pouvoir pourra discuter avec eux et éventuellement leur donner satisfaction.

Tous ceux qui souhaitent que la démocratie triomphe au Mali et que la sécurité y soit de nouveau assurée ne peuvent qu'être attachés à la tenue d'élections. Reste la question de leur date. Après des études approfondies menées par les ministères maliens compétents, la décision de ne pas revenir, en dépit de leurs lacunes, sur les listes électorales établies en 2009, a été prise à l'unanimité des forces politiques. Il faudrait en effet plus que des mois pour établir de nouvelles listes, le risque étant alors que ne soit dilapidé l'acquis des six derniers mois. Les cartes électorales ont été éditées. La campagne a maintenant commencé, avec ses 28 candidats. Plusieurs réunions ont déjà eu lieu, dont l'une a réuni 80 000 personnes, preuve de l'engouement que suscitent ces élections. Nul ne nierait qu'il peut subsister des problèmes, et il n'est pas anormal que tel ou tel candidat en pointe. Mais les personnes déplacées à l'intérieur du pays, pourront voter, selon des modalités pratiques qui ont été définies. Les personnes réfugiées dans les pays voisins le pourront également pour la présidentielle : des dispositions ont été prises, en lien avec les pays concernés, pour qu'il soit possible de voter à proximité des camps de réfugiés. Quant aux Maliens vivant en situation régulière sur notre territoire, ils pourront eux aussi voter. Si en région parisienne il ne devrait pas y avoir de difficultés sur la base des listes électorales de 2009, il n'en va toutefois pas de même en province où il semble que des personnes qui auraient pu voter ne le pourront pas car n'étant pas inscrites sur les listes.

Les autorités maliennes et la CEDEAO estiment que les conditions sont réunies pour qu'un vote régulier ait lieu. Notre souhait à tous est que la mobilisation soit massive. La participation devait être beaucoup plus forte qu'aux scrutins précédents et les conditions du vote incomparablement plus démocratiques. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali, M. Koenders, accomplit son travail de façon remarquable, les autorités maliennes également. La France a fait savoir qu'elle était disposée à apporter son aide et nous avons en effet mis à disposition des moyens. Il faut être pragmatique et chacun doit rechercher à ce que cela se passe le mieux possible. J'entends bien vos observations, monsieur Mamère et monsieur Loncle, mais il ne faut pas oublier d'où l'on revient au Mali et ne pas tomber dans des errements.

J'en viens à la Syrie. Tous, nous condamnons les agissements de Bachar Al Assad qui, il est vrai, a pu compter sur des forces puissantes, au premier rang desquelles au plan international, la Russie et l'Iran – il sera intéressant de voir si l'attitude de l'Iran évolue. Les drames qui ont lieu actuellement en Syrie sont, pour une grande part, liés à des interventions extérieures. Ainsi le massacre de Qousseir est-il imputable essentiellement aux combattants du Hezbollah, lesquels ont d'ailleurs enregistré des pertes importantes à cette occasion. Les aides que reçoit la Coalition sont moindres : plusieurs pays arabes lui fournissent des armes, mais il n'y a pas, à ma connaissance, de forces organisées extérieures combattant sur le terrain. Se pose la question des organisations terroristes : c'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons la Coalition, en particulier le général Salim Idriss, commandant en chef de l'Armée syrienne libre. Il n'est pas question de soutenir des groupes terroristes ni d'accepter d'être mêlé si peu que ce soit à leurs agissements. Nous avons fait inscrire le Front Al Nostra sur la liste internationale des organisations terroristes. En effet, si une organisation comme celle-là peut ponctuellement lutter contre Bachar Al Assad, elle se réclame toujours d'Al Qaida. Nous ne pouvons pas entrer dans une telle spirale d'autant qu'une fois la situation pacifiée en Syrie, comme nous l'espérons tous, on s'interroge sur ce que feront les membres de ces organisations. Nous ne pouvons pas encourager des terroristes.

Si aucune solution n'était trouvée, le risque est que les extrémistes de l'un ou l'autre bord prennent le dessus, d'un côté, la mouvance chiite, de l'autre côté, les mouvements se réclamant d'Al Qaida. Cela signifierait non seulement l'implosion de la Syrie mais aussi de très graves difficultés pour le Liban, la Jordanie, l'Irak, sans compter que, à supposer que l'Iran ait permis le succès des extrémistes chiites, il deviendrait incontournable dans cette région du monde, ce que la Russie elle-même ne souhaiterait pas.

Quid de la conférence Genève II, initialement prévue en juin, puis repoussée en juillet, avant que sa perspective ne s'éloigne encore ? La France soutient l'organisation de cette conférence qui doit mettre en application Genève I, laquelle avait été voulue par les États-Unis et la Russie et à laquelle notre pays avait participé. Plusieurs réunions ont eu lieu qui ont fait apparaître des blocages, au point qu'aucune date ne peut être aujourd'hui avancée. Je ne peux que réaffirmer l'attachement de la France à une solution politique, qui passe nécessairement par la tenue de cette nouvelle conférence – à laquelle la France participera.

Mais pour qu'une solution politique soit possible, il faut un certain rééquilibrage sur le terrain. Si la Coalition est en grande difficulté, pourquoi accepterait-elle de se rendre à une conférence qui acterait cette situation et conclurait qu'il n'y a rien à faire ? Rappelons l'objectif précis de Genève II : constituer par consentement entre les parties un gouvernement de transition doté de l'ensemble du pouvoir exécutif (full executive power). Les Russes en ont accepté le principe, et l'ont même réaffirmé dans le communiqué final du G 8. Encore faudrait-il qu'ils en soient pleinement d'accord. Lorsqu'il est dit que le gouvernement de transition aura « tout le pouvoir exécutif », il est clair que ce pouvoir n'appartiendra plus à Bachar Al Assad, il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Sur ce point, est-ce bien ce qu'ont compris la Russie ou l'Iran ? L'Iran n'a pour l'instant fait aucune déclaration en ce sens – si tel était le cas, cela pourrait changer la donne.

Quelle est la position de la France ? Nous souhaitons bien sûr la paix dans une Syrie pluraliste, d'où aurait été éradiqué le terrorisme, et la mise en oeuvre d'une solution politique, avec bien entendu toute l'aide humanitaire nécessaire. Tous les efforts de notre diplomatie, parfois visibles, parfois plus discrets, vont en ce sens.

Je terminerai par l'Egypte. Nul ne peut nier qu'il y a eu une intervention militaire mais il est vrai aussi que des millions et des millions d'Égyptiens, y compris parmi ceux qui avaient voté pour le président Morsi l'année dernière, réclamaient un changement, ce qui ne signifie pas qu'ils aient approuvé les massacres perpétrés par la suite. La situation est donc complexe car de même, l'armée ne souhaite pas conserver durablement le pouvoir. Il est vrai, monsieur Mamère, que nous n'avons pas employé le terme de « coup d'État ». Et ce n'est pas là question seulement de sémantique. En effet, si la qualification de coup d'État était retenue, cela emporterait de multiples conséquences en matière d'aide internationale. Or, dans la situation très difficile que connaissent les Égyptiens, stopper l'aide économique serait dramatique.

Même si un massacre, où qu'il soit perpétré, est un massacre et s'il crève toujours le coeur que la démocratie ne règne pas dans un pays, vous avez raison, monsieur Poniatowski, l'Égypte n'est pas la Syrie. Le problème est d'une tout autre dimension. Forte de 85 millions d'habitants, l'Égypte joue un rôle politique, économique, diplomatique et culturel sans égal dans la région. Il est essentiel pour l'équilibre régional, pour Israël, pour la Palestine, et au-delà même pour l'Europe, qu'elle retrouve la stabilité politique. D'où les initiatives, pas nécessairement publiques, que prend la France. Notre pays avait de bonnes relations avec le président Morsi et n'a aucun contentieux avec le nouveau pouvoir, d'autant que le président par intérim qui a été désigné, M. Adly Mansour, est un juriste qui a fait une partie de ses études en France. Nous travaillons bien entendu en liaison avec nos partenaires européens, mais nous avons aussi une action propre dans ce pays. J'ai eu l'occasion de faire savoir aux autorités en place, notamment au ministre des affaires étrangères intérimaire, et à la nouvelle opposition que la disponibilité de la France était entière. Nous verrons si cela peut être utile.

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