Intervention de Philippe Duron

Réunion du 5 juin 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, AFITF :

Je vous remercie, mes chers collègues, pour la richesse de vos questions.

Permettez-moi de commencer par une précision de méthodologie pour répondre à ceux d'entre vous qui ont été blessés de recevoir un questionnaire sur l'infrastructure qu'ils souhaitaient défendre. La commission s'est vite aperçue qu'elle ne pourrait pas entendre la totalité des personnes qui demandaient à être auditionnées, même à raison d'une réunion plénière une journée entière chaque semaine – ce qui est un effort exigeant pour des parlementaires – et en travaillant avec les rapporteurs deux jours et demi par semaine. Nous avons donc adopté le principe que la commission auditionnerait celles et ceux dont elle aurait besoin de l'avis, notamment les maîtres d'ouvrage tels RFF, Voies navigables de France ou d'autres, et que, de mon côté, je m'efforcerai d'entendre d'autres personnes qui demanderaient un rendez-vous, dont les avis lui semblaient tout aussi importants – élus territoriaux, associations, différents types d'organisation. J'ai ainsi rencontré de nombreux collègues ici, de nombreux sénateurs, la quasi-totalité des présidents de région, de nombreux présidents de conseils généraux, de manière à ce que chacun se sente respecté et puisse apporter un regard différent. Ces auditions ont souvent été très utiles.

Dans son introduction liminaire, Rémi Pauvros a fait certains constats à propos des critères environnementaux qu'il faut intégrer dans les projets. On estime que la conformité à ces critères, indispensable aujourd'hui pour offrir aujourd'hui des infrastructures de plus grande qualité, fait augmenter le coût du projet de 10 à 20 %, ce qui représente des sommes importantes.

Il a également soulevé la question des infrastructures ferroviaires. Aujourd'hui, que ce soit pour les transports de proximité ou les transports intercités, celles-ci doivent satisfaire à des critères de fiabilité, tant sur le RER B à Paris que sur les TET, dont on constate la fragilité croissante avec le vieillissement des matériels, ainsi que de confort. Les gens qui passent un temps important dans les transports chaque jour ont besoin d'être accueillis et transportés dans des conditions de confort suffisant, qui n'est pas le même selon qu'on fait un déplacement de vingt minutes en TER ou un voyage de deux ou trois heures en TET et de plusieurs heures en TGV.

Il s'est interrogé, comme nombre d'entre vous, sur la part de la route, dont on ne peut plus parler, dans ce pays, depuis une quinzaine d'années. Il faut pourtant bien la dédiaboliser. La route est un élément patrimonial ancien ; on en construit en Gaule depuis l'Empire romain, et certaines ont d'ailleurs une durabilité exceptionnelle. Le patrimoine routier, constitué des autoroutes, des routes nationales et départementales, des chemins vicinaux et des voies urbaines, est considérable. Le laisser se dégrader nous contraindrait à consentir demain des efforts financiers de même nature que ceux que nous devons faire sur le ferroviaire. Il y a donc une absolue nécessité à améliorer les crédits d'entretien courant, de régénération et de modernisation, parce que nous devons nous préoccuper aussi bien des aspects économiques que des aspects de sécurité, au titre de laquelle il reste encore des efforts à faire pour faire baisser la dangerosité de la route.

Quel sera l'avenir de la route dans les décennies à venir ? Je me souviens qu'un ministre des transports doué d'une grande faconde avait fixé, il y a une vingtaine d'années, des objectifs très ambitieux de report modal sur le fret. Vous aurez reconnu Jean-Claude Gayssot. Or, aujourd'hui, le report modal se fait à rebours dans ce pays. Non seulement on n'a pas amélioré la part ferroviaire du fret depuis quinze ans, mais celle-ci ne cesse de se dégrader. Alors qu'en Allemagne 40 % du fret se déplace sur le rail, nos collègues allemands nous disent pourtant qu'ils attendent, d'ici à 2030, une augmentation du trafic routier de marchandises de 60 %. Il ne faut pas se payer de mots, si nous parvenons à absorber par le transfert modal une partie de l'évolution des trafics, ce sera un très beau succès. Quant à la route, plusieurs d'entre vous l'ont souligné, pour un certain nombre de territoires, c'est le seul mode de desserte possible.

Philippe Plisson prêche pour la remise en service de dessertes ferroviaires de proximité. Le transport ferroviaire, comme le tramway en ville, est un mode industriel : il s'amortit sur la très longue durée et nécessite des densités de population suffisantes pour fournir une fréquentation acceptable au regard du modèle économique dans lequel il s'inscrit. Par rapport au XIXe siècle au cours duquel a été installé le maillage ferroviaire, la population en France, de majoritairement rurale, est devenue majoritairement urbaine, ce qui fait une différence considérable. Croire que l'on peut, de façon viable, redessiner une carte ferroviaire très dense, me semble être une illusion. D'ailleurs, le premier rapport de l'École polytechnique fédérale de Lausanne indiquait que, pour maintenir convenablement le réseau ferroviaire français, il fallait probablement en retrancher une partie, ce qui implique de réfléchir à des solutions alternatives.

L'autocar est de celles qui reviennent le plus. Dans certains pays, c'est un système de transport moderne. En Turquie, par exemple, les transports ferroviaires paraissent médiocres à côté des cars. On a donc pensé qu'ils pouvaient constituer une alternative à certains TER insuffisamment fréquentés. Aujourd'hui, de plus en plus, ils apparaissent également comme une réponse adaptée aux territoires péri-urbains lâches. Un très bel exemple en est le Grand Madrid, dans le cadre duquel ont été mises en place des lignes de rabattement par autocars très efficaces, avec voie prioritaire sur autoroute. On ne pourra jamais avoir des systèmes de transports en commun qui soient assez diffus. Au-delà du nouveau métro du Grand Paris, il faudra encore apporter des solutions pour les salariés qui vont habiter de plus en plus loin dans les grandes péri-urbanités.

Nos collègues mayennais notamment, mais aussi Philippe Martin, ont souligné le caractère essentiel de certaines grandes routes nationales pour plusieurs bassins d'emplois. Après discussion avec le délégué à l'aménagement du territoire, il apparaît que, pour ces bassins d'emplois de l'ouest et du sud-ouest de la France, il n'y a pas d'alternative à la route. Or certaines de ces dessertes routières sont médiocres, dangereuses, gênantes pour les populations. À l'évidence, ce sont des problèmes qu'il faut traiter.

Toute la question est de déterminer la pertinence des modes, en admettant que certains sont appropriés à des territoires particuliers mais moins à d'autres. Il en est ainsi de la grande vitesse ferroviaire, dont la pertinence se fonde sur des critères de distance et de bassins de vie. Quand il s'agit de mailler le territoire européen, de relier l'Espagne à l'Europe du Nord en passant par les Pays-Bas, la grande vitesse a du sens. Elle n'en a plus pour des distances courtes. Le Président Nicolas Sarkozy avait proposé une LGV Paris-Le Havre, qui m'a laissé extrêmement sceptique, tout comme de nombreux collègues et professionnels. La distance entre ces deux villes n'est pas suffisante pour justifier une LGV, ne serait-ce qu'en raison des temps nécessaires à l'accélération et au freinage, et des arrêts, à Rouen ou ailleurs. Le rapport entre le coût et l'efficacité n'était pas complètement convaincant. Le projet LNPN est apparu plus raisonnable et tout aussi efficace en gain de temps, puisqu'il permet d'atteindre l'objectif fixé d'une heure quinze entre Paris et Le Havre.

Martial Saddier est revenu sur la composition de la commission. Je n'ai pas à justifier une décision qui appartenait au ministre, mais il me semble qu'elle relevait d'un choix à faire entre un très grand groupe de travail et un groupe resserré. Pour des raisons d'efficacité et de mobilisation des membres de la commission, la formule resserrée est apparue la meilleure. À l'exception d'une personne que l'on a moins vue, tous les commissaires ont été extrêmement assidus, ce qui était une des clés de la réussite. Je comprends la déception qu'a pu procurer l'absence de député UMP dans la commission, mais le groupe politique était représenté par un sénateur, dont je peux vous dire qu'il a tenu toute sa place et fait bénéficier la commission de sa grande compétence.

Plusieurs d'entre vous ont abordé les questions de financement, notamment des grands projets, Martial Saddier m'interrogeant plus particulièrement sur le financement des problématiques territoriales. Pour les grands projets, le modèle de financement est le suivant : l'État participe à hauteur de 40 %, les collectivités territoriales de 30 %, les opérateurs de 30 % également. L'effet de levier des financements de l'État est à peu près de un à quatre. L'État reste donc le premier financeur mais il ne peut plus se passer aujourd'hui du cofinancement des collectivités. Gilles Savary parle d'or quand il demande si les collectivités, mieux ou plus que l'État, pourront assurer un financement dynamique des infrastructures demain. Cette question doit être posée et nous l'évoquerons dans le rapport. Les discussions assez libres que j'ai pu avoir avec de grands élus, présidents de conseils généraux notamment, me laissent penser que certains auront des difficultés à apporter les financements nécessaires à de grandes infrastructures particulièrement coûteuses. C'est là un vrai sujet.

D'autres pistes de financement existent. Le président de notre commission fait des propositions en matière de fiscalité écologique. De mon côté, je verrais bien qu'on puisse permettre aux métropoles qui vont émerger d'avoir le même type de financement pour leurs grands travaux que celui du Grand Paris. Les coûts d'infrastructures, par exemple de désaturation d'un noeud ou pour des gares souterraines, sont considérables, et les moyens budgétaires classiques rendront très difficile la satisfaction de la demande des territoires. Il serait utile de leur donner les outils financiers de nature à faciliter la réalisation de projets attendus par les populations.

Stéphane Demilly a longuement défendu le canal Seine-Nord, très attendu par les élus de la Picardie et de la région Nord-Pas-de-Calais. C'est un projet très ambitieux mais qui s'est révélé beaucoup plus cher que le prévoyaient les études – le rapport Massoni-Lidsky a fait état d'un delta de près de 3 milliards d'euros. Aucun PPP (partenariat public-privé) n'étant en capacité de réaliser cette infrastructure dans les conditions initialement posées, le ministre a décidé non pas d'arrêter le projet, mais de le reconfigurer, faisant appel pour cela à Rémi Pauvros. J'ai évoqué les problématiques de financements européens avec Matthias Ruete et la Commission européenne. Au passage, j'ai compris, pour ma part, que les 13 milliards d'euros étaient destinés aux pays de la compétitivité, pas aux Vingt-sept. L'Europe prend en charge, avec un taux de participation élevé, le financement des segments transfrontaliers des grandes infrastructures, pas la totalité des infrastructures. Même si le Gouvernement a demandé des financements plus importants pour le canal Seine-Nord, il restera quand même compliqué de trouver 7 milliards. D'où l'importance du travail de Rémi Pauvros.

Patrice Carvalho a raison de dire qu'il faut se donner les moyens. Seulement, où les trouver quand la situation budgétaire de l'État est si difficile ?

François-Michel Lambert nous a reproché de nous intéresser plus à la gare Saint-Charles de Marseille qu'au reste des Bouches-du-Rhône. Je lui répondrai que non seulement notre mission consiste à nous intéresser exclusivement aux soixante-quinze projets qui figurent au SNIT, mais que nous avons examiné, pour ce département, des projets qui nous semblaient importants et qui sortaient du périmètre de la gare Saint-Charles.

Il a également abordé la question des nouveaux matériels. Le vrai sujet aujourd'hui est le remplacement des TET. Le Gouvernement a déjà fait inscrire dans le budget de l'AFITF une autorisation d'engagement de 400 millions d'euros pour remplacer le matériel thermique qui doit disparaître à partir de 2015. S'il fallait remplacer la totalité des TET, le besoin de financement serait de l'ordre de 3,1 à 3,5 milliards. Reste à définir quel type de matériel viendrait en remplacement : TGV de première génération recyclés ou Régiolis améliorés ? Pour avoir participé en qualité de président de région à la rénovation des voitures Corail avec la SNCF, je peux dire qu'un matériel rénové reste un vieux matériel. Si l'on rénove des TGV de première génération, les usagers percevront qu'on met à leur disposition un matériel ancien. J'ai une autre expérience avec les trains Régiolis. La région Basse-Normandie a donné à la SNCF du matériel TER pour la ligne Paris-Granville. Or ce type de train n'est pas du tout adapté et les voyageurs effectuent le trajet de 300 kilomètres dans des conditions difficiles. La députée Sylvia Bassot a même failli s'y retrouver brûlée un 14 juillet. Mieux vaut donc préférer d'autres matériels ; il en existe qui roulent à 200 kilomètres heure, fabriqués par les Espagnols, Hitachi ou Alstom.

Je ne suis pas capable de répondre aux questions liées à l'internet physique. Je vais essayer de me renseigner sur ce sujet.

Comme certains de ses collègues, Olivier Falorni a présenté l'autoroute A 831 comme un élément d'amélioration de l'interface du port de La Rochelle et de l'hinterland. Je ne peux pas en dire plus sur le sujet aujourd'hui, si ce n'est que j'ai pris la mesure de l'assez large consensus sur le dossier.

Philippe Martin me reproche de méconnaître le dossier de la RN 21. Or je me suis rendu, il y a un an ou deux, à la réunion annuelle de l'association EURO 21 pour rencontrer les promoteurs, et je connais le problème. Nous y apporterons des réponses. Dans de tels dossiers, il s'agit de trancher entre l'autoroute, la deux fois deux voies ou la modernisation. Souvent, quand l'État ne sait pas comment financer une deux fois deux voies, il se rabat sur une autoroute concédée plus ou moins rentable. Parfois, on ne peut pas éviter la deux fois deux voies, et parfois des modernisations sont nécessaires. Ici, comme il faut plus d'argent pour la modernisation, l'entretien et la régénération, il faut plus d'argent sur les programmations de l'État en matière d'amélioration des infrastructures routières. À cet égard, les PDMI nous ont laissés, nous, parlementaires, un peu sur notre faim.

Avec Geneviève Gaillard, nous avons rêvé des dirigeables, mais on peut en faire autant avec les téléphériques qui réapparaissent dans les villes. Malheureusement, ni les uns, ni les autres n'entraient pas dans le cadre de notre mission, mais il faudra bien que nous nous y intéressions.

Les mégacamions de 44 ou 60 tonnes constituent un vrai sujet, sachant qu'un camion de 13 tonnes à l'essieu use 100 000 fois plus une chaussée qu'une voiture particulière. Or ces mégacamions vont renforcer la compétitivité du transport routier et imprimer un mouvement de report modal à l'envers.

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