Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 1er octobre 2012 à 16h00
Tarification progressive de l'énergie — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

…mais elle n'a jamais, à ce point, accumulé les défauts sur un même texte.

Pour une nouvelle majorité et un Président de la République, qui nous annonçait que le changement, y compris sur le plan législatif, c'était maintenant, nous voyons que si changement il y a, c'est, hélas, en pire.

Ce texte a été mis en ligne le vendredi 7 septembre à 11 heures 45 sur le site de l'Assemblée nationale après avoir été présenté l'avant-veille en conférence de presse. Son examen en commission a eu lieu le mardi 18 septembre. Nous avons eu exactement une semaine entre la mise en ligne et la date limite de dépôt des amendements pour l'examen en commission.

Le texte de la commission a été mis en ligne le jeudi 20 septembre à 22 heures pour une limite de dépôt des amendements le lundi suivant à 17 heures et encore, a-t-il fallu négocier en commission, sinon c'était pour le vendredi soir. Le rapport a été mis en ligne le lundi 24 septembre à 21 heures, soit après l'expiration du délai de dépôt des amendements.

Comment, dans de telles conditions, est-il possible d'analyser correctement le texte, consulter, rédiger des contre-propositions ?

Bien évidemment, nous avons déposé des amendements, mais ils ne font que pointer les problèmes les plus apparents, ceux qui sont visibles à l'oeil nu. Le nombre d'amendements déposés montre bien que les bugs ne manquent pas dans ce texte. Je suis convaincu que faute de temps pour l'analyser, nous avons laissé passer plein de choses.

Le deuxième point qui fâche, c'est l'absence d'étude d'impact. Pour un texte sur l'énergie, matière technique et complexe s'il en est, c'est un comble. Quand la proposition de loi est courte et ne porte que sur un sujet bien délimité, on peut éventuellement se passer d'une étude d'impact. Mais en l'espèce, vous abordez plusieurs thématiques où des explications et des références documentaires auraient été plus qu'utiles : tarification progressive, organisation des collèges d'autorités administratives indépendantes, effacement de consommation, tarifs sociaux. Nous n'avons eu aucun élément pour comprendre ce texte, ses tenants et ses aboutissants, et le temps a clairement manqué pour que nous puissions entreprendre nous-mêmes des recherches sur les questions de tarification progressive.

Des exemples à l'étranger existent, notamment en Afrique du Sud, en Californie. La Belgique avait envisagé un tel dispositif avec un rapport très intéressant de leur commission de régulation de l'énergie et du gaz, datant de 2010. Pour ma part, j'ai tout juste eu le temps de le lire, mais pas de consulter toutes les références et les autres publications citées.

Ne nous dites pas que vous n'auriez pas pu, même si ce n'est pas obligatoire, réaliser un dossier documentaire sur la question, compilant les travaux les plus récents. Ce rapport aurait pu, peut-être – bien que tardivement – nous éclairer. Il n'en est rien, puisqu'il est vide. Compte tenu de la charge de travail qui a pesé, depuis deux semaines, sur les administrateurs de la commission des affaires économiques, il est difficile de leur en faire le reproche.

Un élément intéressant existe tout de même dans ce rapport : la liste des personnes auditionnées. Nous aurions néanmoins apprécié, monsieur Brottes, que les comptes rendus de ces auditions et que les éventuels documents qui vous ont été communiqués à cette occasion figurent en annexes du rapport.

Nous aurions également apprécié que ces auditions soient annoncées à l'avance et réellement ouvertes. Celles que vous avez organisées dans votre bureau, le mercredi 12 et le jeudi 13 septembre n'étaient qu'un simulacre. Comment voulez-vous que l'on s'organise pour y assister, lorsque l'on reçoit l'information par courrier électronique le mardi, soit la veille des auditions, à 18 heures ? Que retirer d'auditions qui durent vingt minutes ? Sur cette proposition de loi, nous légiférons à l'aveugle.

Enfin, et c'est le bouquet, la procédure accélérée est engagée. Quelle est l'urgence dès lors que, vous le dites vous-même, la mise en oeuvre sera longue ? S'il faut plus d'un an pour publier les décrets, mettre en place la réforme parmi les différents acteurs, on n'est plus à quelques semaines près pour l'examen de ce texte par le Parlement. Pourquoi une telle précipitation ?

Nous nous sommes bien vite rendus compte, au vu des modifications apportées en commission, souvent par le biais d'amendements que vous avez vous-même déposé, voire de sous-amendements à vos propres amendements, alors que vous êtes l'auteur de la proposition de loi, que le texte était loin d'être au point. C'est bien la preuve que votre proposition de loi doit être rejetée et retravaillée !

Que ces pratiques émanent du Gouvernement qui cherche le plus souvent à passer le moins de temps possible en débat parlementaire, c'est déjà difficile à accepter. Mais quand c'est sur un texte d'initiative parlementaire, on ne peut qu'être choqué !

Comment un parlementaire aussi chevronné que vous, monsieur Brottes, peut-il bâcler à ce point l'examen d'un texte dont il est l'auteur et dont on peut supputer que le nom restera attaché à ce texte : on parlera de la loi Brottes ?

Dernier épisode : le dépôt par le Gouvernement, au début de l'après-midi, de dix-sept amendements à l'article 1er.

La combinaison de ces quatre éléments – délais très courts, absence d'étude d'impact, absence de compte rendu d'audition et procédure accélérée – sont une atteinte grave aux droits du Parlement.

Mes chers collègues, tout cela fait déjà beaucoup, mais c'est bien sûr sur le fond que nous avons le plus de reproches à faire à ce texte.

Ce dernier a été initialement présenté sous le titre de « tarification progressive de l'énergie ». En le lisant, on se rend compte qu'il ne s'agit pas d'une tarification progressive, puisqu'il ne touche absolument pas la grille tarifaire et ne fait que rajouter une ligne supplémentaire sur la facture d'énergie. C'est sans doute pour cela que nous n'avons pas eu le moindre écho de la part des producteurs et des fournisseurs d'énergie, qui n'auraient pas manqué de venir nous trouver s'ils avaient été un tant soit peu touchés.

Nombre de pistes intéressantes, comme la question de la pointe énergétique, ont été renvoyées à des rapports. Je ne connais pas de meilleur moyen pour enterrer un problème que de créer une commission et de demander un rapport !

Décemment, vous ne pouvez prétendre que les dispositions pour lesquelles vous demandez un rapport soient incluses dans le dispositif. Le Conseil constitutionnel, que nous ne manquerons pas de saisir, se prononcera au vu du dispositif normatif et non sur le plan d'ensemble que vous esquissez et que vous renvoyez à des textes ultérieurs, qui ne verront peut-être jamais le jour.

Je vous accorde que vous avez eu l'honnêteté, en commission, de rétablir la vérité en changeant le titre de votre texte, qui est désormais intitulée « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre ».

Changer le titre et donc l'affichage de l'objectif politique du texte n'est absolument pas neutre. Il s'accompagne d'ailleurs de la modification du dispositif, avec l'ajout, dans le code de l'énergie, d'un article L. 230-1 A qui précise l'objectif de la loi, lequel est désormais « d'inciter les consommateurs domestiques à réduire leur consommation ».

Tendre vers la sobriété énergétique est tout à fait louable, et nous partageons ce but. Il reste toutefois très en retrait des ambitions initiales, notamment des promesses du candidat François Hollande. Il n'empêche que nous continuons à en partager l'intérêt.

Là où les divergences apparaissent, c'est sur les outils pour y parvenir. À cet égard, le revirement en dit long : il est la reconnaissance explicite que l'outil mis en place dans ce texte n'a rien d'une tarification progressive, donc d'une relation contractuelle entre un fournisseur et son client, mais tout d'une taxe, l'État imposant un surcoût à ceux qui ont un comportement non désiré, sachant que ceux qui ont le comportement souhaité bénéficient, eux, d'un cadeau fiscal. On retombe dans le schéma très classique en droit fiscal de la carotte et du bâton.

Certes, on relève quelques spécificités. Normalement, le dispositif doit s'autofinancer, y compris pour les frais de fonctionnement, et ne doit donc pas augmenter les charges publiques. Il en aurait été autrement, le couperet de l'article 40 de la Constitution serait tombé et nous ne serions pas réunis cet après-midi.

Nous aurons l'occasion d'en rediscuter lors des amendements, mais j'ai quelques doutes sur le sérieux de ce dispositif. Affirmer avant même qu'il ne soit mis en place, qu'il sera neutre, c'est lier le montant des malus à celui des bonus et des frais de fonctionnement dont on n'a d'ailleurs qu'une idée très vague de ce qu'ils pourraient être.

Voilà une des raisons pour lesquelles une étude d'impact aurait été particulièrement utile afin de disposer des projections et des évaluations sur l'aspect financier.

Au lieu de cela, on nage dans le flou le plus total : aucun chiffre n'est avancé, aucune évaluation des bonus et des malus, que l'on aurait pu raisonnablement attendre, n'est faite, et aucune étude de l'équilibre réel du dispositif n'est donc disponible. Ce n'est pas sérieux.

L'un des points durs du débat, sur lequel le Conseil constitutionnel aura à trancher, est celui du statut fiscal, ou non, du dispositif. Il s'agit tout de même d'un prélèvement obligatoire opéré sur les consommateurs par une personne publique ou son délégataire, prévu par la loi, en vue de lui faire adopter un comportement précis, qui est l'objectif affiché par la loi instaurant le prélèvement ou le reversement d'argent. La sanction prévue en cas de soustraction frauduleuse est la même que celle qui sanctionne la fraude fiscale.

Il faut dire les choses telles qu'elles sont : votre dispositif est un nouvel impôt sur la consommation d'énergies de réseaux, appelé le malus, doublé d'une niche fiscale, appelé le bonus. Que les deux s'équilibrent ne change rien au fait que nous sommes dans le champ des prélèvements obligatoires.

À partir du moment où nous sommes dans le cadre d'un prélèvement fiscal, nous entrons dans le champ de l'article 34 de la Constitution qui dispose que « La loi fixe les règles concernant […] l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

Cette proposition de loi ne répond manifestement pas à cette exigence étant donné le nombre de renvois à des décrets pour des éléments essentiels de la définition de l'assiette. Si le Conseil constitutionnel considère que nous sommes sur une matière fiscale, c'est la censure assurée sur la base de l'incompétence négative.

Lors des discussions sur la loi HADOPI, j'avais, dès le début, dit que ce texte posait un problème : la sanction prévue, la coupure de l'accès Internet, ne pouvait être prononcée que par un juge judiciaire. Le gouvernement de l'époque avait balayé cet argument d'un revers de main dédaigneux. On a vu ce qu'il en est advenu.

Une autre exigence constitutionnelle impose que l'outil soit proportionné et adapté à l'objectif, ce dernier devant être d'intérêt général. Les deux points soulèvent des interrogations.

Si l'on reprend le texte proposé pour le nouvel article L. 230-1 A du code de l'énergie, l'objectif du dispositif est d'inciter les consommateurs domestiques à réduire leur consommation. D'abord, réduire leur consommation de quoi ? On devine, compte tenu de la thématique du texte, qu'il s'agit de leur consommation d'énergie, mais encore faut-il savoir de quelles énergies il s'agit !

Si j'ai bien compris, le système du bonus-malus ne portera que sur les énergies de réseau, à savoir gaz, électricité, et chaleur. Le bois et le fioul sont exclus. Faut-il en conclure que l'objectif de la loi est juste de réduire la consommation d'électricité et de gaz ? Quand bien même ce serait le cas, réduire la consommation d'énergie n'est pas en soi d'intérêt général !

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