Intervention de Anne Paugam

Réunion du 22 mai 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Anne Paugam, dont la nomination à la fonction de directrice générale de l'Agence française de développement est envisagée par le Président de la République :

Mesdames et messieurs les députés, c'est un moment important pour moi que d'être auditionnée aujourd'hui par votre commission dans le cadre de la procédure rappelée par votre présidente.

J'ai consacré l'essentiel de ma carrière, depuis vingt ans au service de l'État, à la politique d'aide au développement. J'ai eu l'occasion d'en découvrir les multiples aspects, bilatéraux et multilatéraux, managériaux, opérationnels et stratégiques, et surtout de connaître la diversité de ses acteurs, notamment l'AFD où j'ai travaillé huit ans.

La perspective de continuer de servir à la tête de cette très belle agence, une politique au coeur des enjeux de solidarité et des défis de régulation de la mondialisation, ne peut que me mobiliser.

Établissement public à caractère industriel et commercial, actuellement placé sous la triple tutelle du ministère des affaires étrangères, du ministère des finances et du ministère des outre-mer, l'AFD est l'opérateur pivot de l'État pour financer le développement dans les pays du Sud, mais aussi les outre-mer. L'AFD est également une institution financière spécialisée qui, en 2012, a accordé pour quelque sept milliards d'euros d'autorisations de financement, dont environ cinq cents millions d'euros de subventions en faveur des pays les moins avancés et environ cinq milliards de prêts au bénéfice de pays du Sud, pour un coût ne dépassant pas 500 millions d'euros pour le budget de l'État. Son statut bancaire lui permet de lever l'essentiel de ses ressources sur les marchés et ainsi de financer pour un euro d'argent public quelque dix à douze euros en moyenne de projets de développement. Comme toute banque, l'AFD doit être particulièrement exigeante en matière de transparence et de prévention de la corruption et du blanchiment, objectifs aujourd'hui impérieux s'agissant du financement du développement.

Institution bilatérale de coopération, l'AFD doit aussi promouvoir certaines priorités de la France en matière de développement durable. Les pays du Sud, dont elle aide à financer le développement, sont en effet les plus vulnérables au changement climatique, en même temps que leur croissance démographique et économique aggrave les menaces qui pèsent sur la planète. Qui dit développement dit aujourd'hui nécessairement développement respectueux de l'avenir de la planète.

Conformément à la feuille de route tracée par le Président de la République lors des Assises du développement et de la solidarité internationale, l'action de l'AFD doit servir le développement économique des pays bénéficiaires, la sécurité et contribuer à la préservation de notre planète. Pour faire prévaloir ses priorités, la France a besoin d'un outil bilatéral solide et crédible, d'une taille et d'un poids suffisants dans le concert international des bailleurs de fonds, comme en ont un l'Allemagne, le Japon ou le Royaume-Uni. À l'écoute des pays partenaires, cet outil doit être capable de mobiliser à la fois financements et expertise. De ce point de vue, l'Agence part d'une base solide. Elle possède des personnels très engagés et hautement qualifiés. Sa structure financière est saine et son savoir-faire reconnu.

Quels seront ses principaux défis dans les années à venir ? J'en ai identifié trois.

Le premier, qui n'est pas de nature technique mais stratégique, sera de préserver ses capacités d'influence et d'intervention opérationnelle sur le terrain. Vous avez déjà eu l'occasion, lors des débats budgétaires, d'aborder le sujet des fonds propres de l'Agence. Aujourd'hui, le respect des ratios prudentiels limite sa capacité d'intervention dans certains pays. Et cette contrainte va encore se renforcer et jouer dans un nombre plus grand encore de pays. Le moment semble donc venu, en concertation avec les tutelles, de rouvrir sereinement ce dossier.

Deuxième défi : mieux prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans les stratégies opérationnelles et les projets. La question est posée au niveau mondial au sein des Nations unies et au niveau national où on réfléchit aux moyens de faire coïncider les objectifs de développement post-Millénaire et les objectifs de développement durable issus des conférences internationales sur le climat. Le réchauffement climatique ne connaît pas de frontières et la globalisation de l'économie met en en concurrence les systèmes sociaux. L'AFD peut aider à réguler la mondialisation. Il faut renforcer le dialogue avec les pays bénéficiaires sur leurs politiques sectorielles et privilégier les secteurs d'intervention les plus pertinents : efficacité énergétique, transition énergétique, gestion durable des ressources naturelles et du développement urbain. Il faut aussi travailler avec les autres bailleurs pour que les normes sociales et environnementales soient mieux intégrées dans les appels d'offres – j'en avais fait la recommandation dans un rapport de l'IGF. Des travaux ont été lancés sur le sujet qu'il faut faire aboutir. Il y va de la loyauté de la compétition entre les entreprises en même temps que de l'élévation des niveaux de vie et du respect de certains principes que nous souhaitons pour l'ensemble de la planète. L'AFD doit aussi aider davantage ses tutelles dans la préparation des grandes échéances internationales, comme la prochaine conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015. Elle doit aussi s'impliquer dans la structuration du Fonds vert pour le climat qui constituera une source majeure de financement pour les pays pauvres dans les années à venir.

Troisième défi : mieux prendre en compte les savoir-faire et les intérêts économiques français sans dénaturer l'objectif premier qui est le développement durable, et en restant en réponse à la demande des pays. Il faut pour cela, avec l'aide des services compétents de l'État, identifier pays par pays les secteurs forts de l'économie française dans lesquels nos entreprises et nos experts sont bien placés pour répondre à la demande. Combiné à un renforcement du financement de l'expertise par l'AFD, c'est là un moyen de soutenir la projection dans le monde des compétences françaises.

Ces trois axes se déclinent bien entendu de façon différente selon le niveau de développement des pays d'intervention. Dans les pays les plus pauvres d'Afrique subsaharienne, l'objectif premier est d'enclencher une dynamique de croissance permettant de réduire la pauvreté et les inégalités, tout en relevant les défis environnementaux. Même dans ces pays, nous ne devons pas négliger la défense de nos intérêts économiques. Mais vu leur niveau de développement, le choix des secteurs d'intervention doit in fine demeurer guidé par leurs besoins.

Dans les pays en crise, l'aide doit tendre à la reprise de l'activité économique et au lancement de travaux à forte intensité de main-d'oeuvre, afin de contribuer à l'apaisement des tensions à court terme. Mais il faut aussi porter le regard plus loin et voir quelles actions structurantes pourraient être menées à plus long terme. Le cas du Mali montre l'importance de domaines tels que l'aménagement du territoire et la gestion locale.

A ces deux catégories de pays, doit aller l'essentiel de la ressource en dons. Les plus stables d'entre eux ne doivent toutefois pas exclure de recourir, dans le strict respect de la soutenabilité de la dette, à des prêts très concessionnels. En effet, les dons ne pourront suffire à financer toutes les infrastructures et les services de base dont ces pays ont besoin.

Mais il existe aussi sur le continent africain, qui est d'ailleurs globalement en croissance, des pays qui sont sortis de l'extrême pauvreté et ont amorcé leur décollage. Ce doit être l'occasion de dialogues et de partenariats renouvelés. Il faut y promouvoir des modèles de développement propre assurant la croissance dans le respect de l'avenir de la planète.

Dans les pays du bassin méditerranéen, l'accent doit être mis sur la création d'emplois, pour répondre aux besoins de la jeunesse. Le respect de l'environnement y est une autre priorité. Étant donné le niveau de développement de ces pays, il faut que la réponse que nous y apportons aux besoins des populations serve au maximum les secteurs forts de notre économie. Il faudrait qu'en complément des prêts nous puissions financer de l'expertise pour les études, l'accompagnement en amont des projets et l'édiction des prescriptions techniques, dans tous les pays de la zone alors qu'il n'est possible de le faire aujourd'hui que dans ceux de la zone historique dite de solidarité prioritaire (ZSP). Cette distinction n'a plus lieu d'être.

Pour ce qui est des pays à revenus intermédiaires d'Asie et d'Amérique latine, une réflexion est en cours. Il faut, selon moi, que notre partenariat y soit fondé sur la notion d'intérêt mutuel. L'objectif doit être d'y soutenir une croissance propre, d'y améliorer les normes sociales et environnementales tout en favorisant au maximum la promotion de nos savoir-faire et de nos intérêts économiques, directs ou indirects, de moyen ou de plus long terme.

Enfin, dans les outre-mer, les objectifs prioritaires de l'AFD sont de fournir aux collectivités les moyens de financer leurs équipements et leur développement, et de manière plus générale, de soutenir la création d'emplois. Elle a également pour mission de favoriser le rayonnement des collectivités d'outre-mer et de faciliter leur intégration dans leur environnement régional.

Quels sont les leviers d'action que je mobiliserai si vous me faites l'honneur de confirmer ma nomination ?

Je tiens préalablement à dire que, si je suis nommée à la tête de l'Agence, je commencerai par écouter et consulter très largement. De manière générale, consultation, ouverture et dialogue seront mes maîtres mots.

Le premier levier sera de mieux tirer profit de la diversité des instruments financiers que nous pouvons proposer : prêts souverains aux États, prêts non souverains aux collectivités locales, aux entreprises, financement des ONG, garanties, apports en fonds propres, mécanismes financiers innovants au bénéfice des pays les plus pauvres… Cette extrême diversité, qui est l'une de nos valeurs ajoutées, n'est pas bonne en soi, mais parce qu'elle permet de travailler avec des acteurs très divers – États, collectivités, entreprises, publiques ou privées, ONG, fondations… –, qui tous concourent au développement. Il conviendra de conforter cet aspect.

Le niveau de l'enveloppe consacrée aux dons a été maintenu malgré la crise – il était cependant historiquement bas. Aussi, tout ce qui pourra être fait, dans le respect de la contrainte budgétaire qui s'impose à tous, même modestement pour accroitre l'enveloppe de dons, sera utile vu l'ampleur des besoins des pays les plus pauvres, par exemple à travers l'affectation du produit de la future taxe sur les transactions financières ou l'amorce d'un rééquilibrage entre aide bilatérale et aide multilatérale. Et il serait bien entendu souhaitable de relever le montant de l'enveloppe des dons dès que la situation budgétaire le permettra. L'innovation financière ne devra pas cesser. Toute la gamme des prêts devra être mobilisée. Ainsi les prêts non souverains aux collectivités locales et aux établissements publics ont marqué le pas ces dernières années : il faut se demander pourquoi et les relancer.

Je souhaite également qu'une réflexion soit lancée sur le positionnement de la filiale Proparco, qui intervient dans le secteur privé, notamment en ce qui concerne le financement des entreprises, petites et grandes, qui agissent en matière d'entrepreneuriat social et dans le secteur de l'économie sociale et solidaire, au plus près des populations les plus vulnérables ?

Un deuxième levier d'action sera de renforcer et de réformer le financement de l'expertise – je vise l'expertise, publique et privée, financée par l'AFD et non l'ensemble des opérateurs publics d'expertise, dont le paysage institutionnel constitue en lui-même un sujet d'étude, lequel a d'ailleurs fait l'objet d'un rapport auquel a contribué l'inspection générale des finances, remis au Parlement en 2011. L'Agence doit pouvoir financer de l'expertise dans tous les pays où elle intervient, et pas seulement, comme aujourd'hui, dans ceux de la zone historique de solidarité prioritaire. Elle doit également pouvoir mobiliser cette expertise de manière plus réactive. Il faut que les réflexions lancées sur le sujet aboutissent. C'est l'une des conditions nécessaires, même si elle ne sera pas suffisante, pour renforcer notre diplomatie économique et oeuvrer plus efficacement pour le respect des normes sociales et environnementales.

Le troisième levier sera de développer un programme ambitieux de production de connaissances et de partenariats en matière de recherche, d'évaluation et de cofinancement. La production de connaissances est en soi un outil d'influence si on y associe les think tanks, les universités et les institutions du secteur comme l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), les bailleurs de fonds et, bien entendu, les partenaires du Sud. Il s'agit d'éclairer les stratégies d'intervention, mais aussi de mieux évaluer les résultats. L'AFD a été en son temps pionnière en ce domaine. Je souhaite que nous progressions encore pour mieux rendre compte aux tutelles, aux élus de la nation et aux citoyens, ainsi bien sûr qu'à nos partenaires du Sud, des actions entreprises. Cette production de connaissances pourra aussi nourrir les positions du Gouvernement français dans les grandes conférences internationales comme sur le climat. Il faut relancer des partenariats de confiance avec les ONG et réfléchir aux moyens de structurer les initiatives foisonnantes de la coopération décentralisée. Je souhaite enfin instaurer un mécanisme permanent de dialogue avec le secteur privé et renforcer le dialogue avec les autres bailleurs de fonds, au premier rang desquels la Commission européenne.

Le dernier levier d'action sur lequel je compte m'appuyer est la modernisation du management. La force et la valeur ajoutée de l'AFD résident d'abord dans la qualité et l'engagement de ses agents. Pour rester en pointe dans un environnement mouvant, l'Agence a besoin d'une vision et d'une ambition. Elle a aussi besoin de principes de management clairs. J'ai l'intention de privilégier les approches transversales, le dialogue, la cohésion, l'innovation et la prise de responsabilité par chacun. Cela signifie définir clairement les objectifs attendus de chacun, déconcentrer, redonner de la souplesse aux équipes, aussi bien dans les modes de fonctionnement que dans les prises de décision,. La recherche permanente des gains possibles de productivité exigera de restaurer la faculté d'adapter les moyens aux évolutions de l'activité. Il faudra aussi renforcer la professionnalisation des ressources humaines : adéquation des profils aux postes, valorisation des compétences managériales et pas seulement techniques aux postes de responsabilité, politique dynamique de formation, clarté des critères de nomination… L'AFD se doit enfin d'incarner au mieux les valeurs sociales et environnementales qui fondent son action par un dialogue social nourri en son sein, une politique active de promotion de la diversité et de l'équilibre hommes-femmes, une recherche permanente de limitation des impacts environnementaux. Dans tous ces domaines, elle doit être pionnière.

Son futur contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2014-2017 devra traduire ces orientations, dans le respect de celles définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et la loi de programmation. Si vous me faites l'honneur de confirmer le choix du Président de la République, ce contrat sera l'occasion, je l'espère, d'échanger de nouveau avec vous. De manière générale, si je suis nommée à la tête de l'AFD, je m'engage à un dialogue régulier avec le Parlement.

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