Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 18 septembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Monsieur le président, dès la fin du mois de juillet, je m'étais moi aussi étonné que la mission présidée par M. Jospin n'ait pas prévu d'auditionner les commissions des Lois des deux chambres. Je suis heureux que, grâce à votre initiative, vous nous donniez l'occasion, ce matin, de rattraper cette lacune.

Les questions que vous nous posez sont de deux sortes : certaines n'ont qu'un impact sur l'organisation de la vie publique, sa fluidité ou son bon fonctionnement ; d'autres, par certains aspects, touchent à la place, à l'image et à la force du pouvoir politique dans le pays. Et je dois dire que je me suis reconnu dans les propos de notre collègue Alain Tourret : autant je suis favorable à ce qu'on apporte des améliorations quand c'est nécessaire, autant je m'insurge lorsque l'on prend le risque, par certaines décisions, d'affaiblir le pouvoir politique ou sa réputation.

Sur le déroulement de la campagne présidentielle, j'ai l'impression que l'on confond parfois le déroulement des opérations et la « campagne officielle ». Il conviendrait de réfléchir davantage sur cette période qui est en effet à l'origine de désordres et de problèmes – liés, par exemple, à l'obligation d'égalité devant les médias ou au calendrier de publication des signatures. J'observe d'ailleurs que rencontrons des problèmes équivalents pendant la durée de la campagne officielle au moment des élections municipales.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de modifier le système des parrainages. Monsieur le président, vous avez parlé de la nécessité d'éliminer les candidatures non représentatives. Mais qu'est-ce qu'un candidat représentatif ? D'après les textes, un candidat est considéré comme représentatif à partir du moment où il a recueilli 500 signatures de maires. Et c'est parce qu'il est suffisamment représentatif qu'il a le droit de concourir. Veillons donc à ne pas mettre dans les textes des dispositions trop rigides pour régir ce qui relève à mon sens de la liberté des citoyens et de ceux qui les représentent.

Sur les modalités de financement de la campagne électorale, je n'ai pas de remarque particulière à faire. Je pense que nous nous sommes nous-mêmes tiré une balle dans le pied en limitant le plafond des dépenses de campagne. La raison en est que dans notre pays, on ne veut pas admettre que la démocratie a un coût et que l'on préfère tout contrôler. Cette posture, à mon avis trop rigide, aboutit à des aberrations. En l'occurrence, même si les dépenses de campagne engagées par le candidat élu Président de la République dépassaient de 50 % le plafond autorisé, le Conseil constitutionnel n'annulerait pas l'élection. Cela prouve que la règle limitant ce plafond ne sert à rien. Et nous pourrions trouver bien d'autres exemples, dans le code électoral, de règles qui ne servent à rien…

S'agissant du calendrier des élections législatives, le problème me paraît résider davantage dans le quinquennat que dans l'ordre des scrutins. J'avais fait campagne contre ce quinquennat et milité pour un septennat non renouvelable. Un tel système assurerait une certaine durée d'action au pouvoir exécutif et laisserait la possibilité de vérifier par un scrutin législatif – organisé tous les cinq ans – la légitimité de son action et la résonance de celle-ci dans l'opinion publique.

La grande tentation de celui qui entame un mandat de cinq ans est évidemment d'en faire un deuxième. Ce n'est pas interdit en soi, la réforme constitutionnelle de 2008 permettant justement l'exercice de deux mandats. Mais à partir du moment où nous sommes dans un système de quinquennat, si nous souhaitons faire en sorte que l'Assemblée nationale donne une majorité au Président pour qu'il puisse gouverner, cela n'aurait pas de sens d'inverser l'ordre des élections, contrairement à ce que disait notre collègue Dolez tout à l'heure.

S'agissant de la proportionnelle, je veux rappeler à la commission des Lois que la représentation de la diversité n'est pas une fonction reconnue dans la Constitution à l'Assemblée nationale, qui est élue par le peuple souverain pour le représenter. Il n'y a donc pas d'obligation particulière à ce que, au-delà du scrutin, la diversité devienne un principe d'organisation et un principe identitaire pour notre Assemblée.

Je ne vois pas non plus de raison de faire évoluer le statut juridictionnel du Président de la République. Pour moi, il y a deux principes à respecter.

Le premier est de protéger à tout prix la fonction du Président de la République pendant l'exercice de son mandat. La procédure américaine de l'impeachment a montré ses limites il y quelques années, sous la présidence de M. Clinton. Quand un président en vient à prendre la décision de bombarder un pays au seul motif de détourner les caméras de ses propres turpitudes, il y a en effet de quoi s'interroger.

Le deuxième principe est de faire en sorte que la justice s'applique très normalement au Président de la République lorsqu'il quitte ses fonctions. À ce moment-là en effet, il devient, sinon un citoyen tout à fait comme les autres, du moins un justiciable au même titre que les autres. C'est la raison pour laquelle je crois que le régime actuel est tout à fait satisfaisant.

Je n'ai aucune idée sur les conséquences de la suppression de la Cour de justice de la République. Je me range aux arguments de notre collègue Tourret. Je pense que nos collègues qui y siègent sont les garants d'une justice équilibrée, susceptible de prendre en compte des éléments complexes, ce que les jurys d'assises ne pourraient peut-être pas faire. Encore une fois, attention à ne pas édicter une règle universelle applicable à tous. Tout le monde n'a pas la même fonction, ne prend pas les mêmes décisions et n'a pas les mêmes responsabilités.

Ensuite, sur les modes de scrutin applicables aux élections législatives et sénatoriales, j'ai déjà dit ce que je pensais : je suis opposé à l'instauration d'une dose de proportionnelle dans les élections législatives. Nous en avions assez largement débattu il y a quatre ans au moment de la réforme de la Constitution. Je ne reviendrai donc pas sur les réponses que ma famille politique avait alors apportées en séance, par la voix du garde des Sceaux.

Je terminerai monsieur le président sur les deux derniers sujets – le non-cumul desmandats et la prévention des conflits d'intérêts – qui me paraissent devoir être liés du point de vue symbolique, même s'ils ne le sont pas nécessairement sur le plan juridique et technique.

Je précise que je suis réfractaire à tout contrôle des modalités d'exercice des mandats de parlementaires par la fonction publique, quelle qu'elle soit. En dépit du très grand respect que j'ai pour les fonctionnaires qui exercent ces métiers de contrôle, je n'accepte pas l'idée qu'un parlementaire doive rendre des comptes à qui que ce soit d'autre que ses propres électeurs ou ses pairs, sur les décisions qu'il prend, sur les dépenses qu'il engage, sur l'opportunité des choix qu'il fait, sur les lieux où il se déplace, etc. Cela me paraît radicalement contraire à la liberté d'exercice des parlementaires.

Je n'ai rien à cacher sur l'utilisation de mon indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) – même si cette question ne figure pas dans la lettre de mission de la commission Jospin. Mais quand j'entends que l'on va mettre au point des mécanismes pour contrôler ce que je pourrais être amené – comme vous tous ici – à dépenser, ou à ne pas dépenser, lors de l'exercice de ce mandat, j'y suis violemment opposé ! Aucun fonctionnaire ne devrait être en situation de contrôler ou d'apprécier l'opportunité d'action d'un parlementaire. Cela me paraît contraire à l'esprit même de la Constitution et au fondement de la démocratie représentative.

J'ajouterai que l'article du code électoral qui définit actuellement les régimes d'incompatibilité est équilibré.

Je n'accepte pas l'idée que les parlementaires seraient, par principe, un peu plus malhonnêtes que les autres, ce qui justifierait qu'on leur applique des règles de contrôle supérieures à celles qui s'appliquent à n'importe quel autre concitoyen. Je n'accepte pas non plus l'idée qu'un président d'association puisse diriger une autre association et être vice-président d'une troisième, mais que les parlementaires français soient les seuls à être considérés comme incapables d'exercer correctement plusieurs responsabilités à la fois. Je ne vois pas pourquoi.

Il convient sans doute de faire évoluer les textes relatifs à la déontologie de la vie publique. Pour autant, faut-il accroître la précision chirurgicale de la déclaration de patrimoine ? Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela veut dire. J'ai rempli la mienne, comme l'ont fait tous mes collègues. Il n'empêche que je trouve la méthode franchement intrusive et que je déplore le soupçon de principe qui pèse sur nous au motif que nous aurions des fonctions parlementaires.

Je me suis dit que nous vivions dans un drôle de pays le jour où Mme Marisol Touraine a été épinglée par un journal – qui n'est pourtant pas politiquement son ennemi – au motif qu'étant elle-même ministre de la Santé et son frère professeur de chirurgie dans un hôpital parisien, on pourrait imaginer des conflits d'intérêts. Ira-t-on jusqu'à la troisième, quatrième ou cinquième génération ? Attention : un peu d'équilibre ne nuit pas, et un peu de liberté personnelle non plus !

S'agissant enfin du cumul des mandats, je pense que l'exercice d'un mandat local et d'une fonction exécutive locale enrichit les missions d'un parlementaire – ce qui ne disqualifie pas ceux qui n'en exercent pas.

Nous sommes sans doute nombreux ici à avoir monté les marches une par une, d'abord comme conseiller municipal, puis adjoint, puis maire ou vice-président puis président. Nous savons qu'il y a un monde entre chacun de ces mandats, que l'expérience qu'ils procurent et la responsabilité qu'ils confèrent ne peut évidemment pas être comparée.

Je crois nécessaire de maintenir la possibilité de cumuler le mandat parlementaire et une fonction exécutive. S'il faut vraiment aller plus loin dans le sens de la restriction, je vous propose de réfléchir à cette solution : à partir du moment où une personne exerce un mandat parlementaire, une fonction exécutive et une seule est compatible avec ce mandat. Reste à savoir si, dans les fonctions exécutives, il faut inclure celles exercées dans les centres communaux d'action sociale, les syndicats mixtes, les centres d'incendie et de secours, les établissements publics, les établissements publics de coopération intercommunale, les sociétés d'économie mixte, etc.

Monsieur le président, j'en ai terminé. J'espère que, quelles que soient les conclusions sur lesquelles nous aurons à travailler, la liberté d'action des parlementaires et la préservation de l'image de leur mission resteront une préoccupation constante. Je crains en effet qu'en les soupçonnant systématiquement, nous ne finissions par affaiblir notre propre mandat.

1 commentaire :

Le 12/10/2012 à 10:31, YVAN BACHAUD (retraité) a dit :

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En matière institutionnelle, et constitutionnelle il est fondamental que le peuple DIT " souverain" puisse intervenir car comme le dit fort justement un " citoyen actif" Étienne CHOUARD ce n'est pas aux élus qui en bénéficient de faire les règles du jeu Constitutionnel.

Le peuple doit en tous cas pouvoir intervenir en provoquant un référendum s'il la preuve est apportée qu'une très large partie des électeurs le demande.

En matière de cumul des mandants c'est le cas. Plus de 80% des Français sont contre le cumul des mandats..

Un nouvelle association " ARTICLE 3 " propose justement une modification de l'article 3 de la Constitution que voici:

Article 3 de notre Constitution:( italique le texte ajouté.)

 « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières et notamment constitutionnelle et de ratification des traités; cet article ne peut être modifié que par voie référendaire. Si la loi organique fixant les modalités de ce référendum n’a pas été promulguée dans les six mois suivant l’adoption de cet article, l’assemblée nationale est dissoute; les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution."

Nous espérons les partis qui ont le RIC dans leur programme : EELV et FRONT DE GAUCHE mettrons bientôt le RIC à l'ordre du jour à l'occasion d'une niche parlementaire.

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