Intervention de Jean-Louis Destans

Réunion du 24 avril 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Destans, rapporteur :

Les trois projets de loi dont nous sommes saisis autorisent la ratification de traités en matière de coopération de défense avec la République de Djibouti, la Côte d'Ivoire et avec le Sénégal. Ces textes achèvent le processus lancé par le Président Sarkozy dans son discours du Cap en février 2008, dans lequel il avait annoncé son intention de réviser les accords de défense existants. Une première vague de révision avait été conclue assez rapidement, avec le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores et le Togo, et nous avons autorisé la ratification des nouvelles conventions bilatérales avec ces pays en 2011. Avec la ratification des trois textes aujourd'hui soumis à notre examen, l'ensemble de notre dispositif conventionnel en la matière aura donc été révisé.

Ces trois accords ne présentent pas une grande originalité par rapport aux précédents. Un rappel historique permettra de remettre en perspective ceux dont nous nous défaisons et le contexte, notamment sécuritaire, des trois pays concernés.

Nos accords de défense étaient obsolètes et ne correspondaient plus à rien, surtout pas aux intérêts actuels de notre pays qui risquait, entre autres, de se voir impliqué dans des conflits internes, les gouvernements intéressés pouvant notamment faire appel aux forces françaises pour des opérations de maintien de l'ordre en cas de troubles politiques. Ces textes définissaient les axes de notre coopération militaire, et les liens maintenus entre nos forces armées et celles de nos partenaires par ce biais étaient très étroits et traduisaient la manière dont notre pays envisageait ses relations avec eux au moment de leur indépendance.

Depuis plus de 50 ans, notre coopération de défense s'est développée dans ses diverses modalités sur la base de ces textes. Elle a comporté une dimension logistique importante, destinée à fournir à nos partenaires l'aide nécessaire à la constitution de leurs forces armées, moyennant l'assistance de personnels militaires français pour leur organisation, leur entraînement et leur instruction ; l'aspect technique est le deuxième volet important de cette coopération, puisque les pays devaient s'adresser prioritairement à la France pour leur équipement et leur maintenance et se tourner vers d'autres fournisseurs uniquement si celle-ci ne pouvait répondre à leurs demandes. En ce qui concerne la formation des hommes, c'est également à la France que ces pays devaient tous faire appel. Sous réserve de quelques différences marginales, les différents accords reprennent le même genre de dispositif, à savoir la mise à disposition d'officiers français pour l'instruction et l'encadrement des forces armées locales et, d'autre part, la possibilité pour des officiers africains d'être formés dans les grandes écoles militaires de notre pays, soit dans les filières communes, soit sur des contingents réservés.

Les accords incluaient enfin un ensemble de dispositions sur les conditions de stationnement des troupes françaises sur place, et détaillaient les facilités et les aides nécessaires que les pays bénéficiaires s'engageaient à leur apporter. Le statut des personnels intéressés, civils ou militaires, faisait l'objet de dispositions particulières, concernant leurs droits et obligations, les aspects disciplinaires, fiscaux, douaniers, etc. Vous trouverez d'amples précisions dans le rapport sur les actions que nous avons menées au long de ces décennies, tant en matière de coopération opérationnelle, gérée par le ministère de la défense, qu'en ce qui concerne la coopération structurelle, conduite par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères.

Les questions de l'évolution de notre coopération et des contextes régionaux qui pèsent sur l'état des forces armées des pays se posent. Sur le premier point, notre coopération n'a pas attendu la rénovation des textes bilatéraux pour évoluer et que des inflexions importantes ont été introduites, il y a maintenant plus de 15 ans. La France a ainsi été parmi les principaux promoteurs de la montée en puissance des forces africaines, en initiant le concept de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), européanisé par la suite, qui a pour but de donner aux pays africains les moyens de concevoir et de mener à bien des opérations de maintien de la paix sur le continent et de manière autonome. La France a résolument soutenu cette dynamique, en premier lieu avec l'Union africaine et, peu à peu, notre politique de coopération de défense a pris une dimension régionale. En parallèle, nos positionnements en Afrique, depuis la publication du Livre blanc en 2008, évoluent ; d'une manière générale, les moyens de notre coopération sont aujourd'hui orientés à la baisse, même s'ils restent encore relativement conséquents. Le second aspect, celui des contextes, ne doit pas être laissé de côté, et conduit à l'analyse que l'on peut faire du bilan de notre coopération.

Si l'on regarde uniquement les capacités actuelles des forces armées ivoiriennes, sénégalaises ou djiboutiennes, la conclusion peut être assez critique, cf. les récents commentaires, peu amènes, du Pentagone sur les capacités des forces de la Cédéao au sein de la MISMA. Néanmoins, la prise en compte des contextes politiques et régionaux est importante. En Côte d'Ivoire, l'une des tâches prioritaires du président Ouattara est de réussir la réconciliation nationale qui passe entre autres par la reconstruction d'un outil militaire sorti totalement détruit de 10 ans de crise et de guerre civile ; il s'agit donc de réussir la démobilisation, le désarmement et la réinsertion civile des ex-combattants, entre 75 000 et 100 000, aujourd'hui encore. Deux ans après la chute de l'ancien président Gbagbo, la lenteur avec laquelle ce chantier avance est inquiétante, les observateurs et les analystes sont unanimes sur ce point, mais le défi est considérable. A Djibouti, les forces armées nationales ne sont capables de faire face qu'à des menaces faibles, mais l'environnement régional a été continûment troublé depuis l'indépendance en 1977 : à l'action délétère de l'Erythrée s'ajoute la question somalienne et l'explosion de la piraterie dans la région, indépendamment d'une situation interne délicate. Le Sénégal se voit handicapé par la mobilisation d'une partie de ses forces en Casamance depuis une trentaine d'années. En d'autres termes, les trois pays dont nous parlons aujourd'hui évoluent dans un environnement interne et régional complexe ou délicat qui a sans doute pesé sur la situation de leurs armées et leur consolidation, le cas de la Côte d'Ivoire étant évidemment l'exemple extrême.

Pour autant, mesurée à l'aune de l'ambition régionale, le bilan de la coopération de défense n'est pas négligeable : malgré leurs moyens limités, notamment en équipements, ces pays commencent à participer, même très modestement, à des opérations de maintien de la paix, OMP : le Sénégal est le pays africain francophone le plus engagé et le 4e contributeur du continent ; au sein de la CEDEAO, il réussit à jouer un rôle de leader au niveau du bataillon Est de la Force africaine en attente, et montre sa volonté de respecter ses engagements auprès de la communauté internationale et régionale en y participant autant que possible. En 2013, il est présent dans quatre OMP de l'ONU et dans deux de la CEDEAO, avec un total de 1 500 militaires et 700 gendarmes. Les forces armées djiboutiennes pour leur part restent sur un théâtre plus régional, mais sont néanmoins engagées dans le cadre de l'AMISOM, et vont l'être prochainement au Darfour ; enfin, malgré sa situation présente, le président Ouattara a tenu à ce que les forces ivoiriennes participent à la MISMA et Licorne a achevé au début avril, la formation de 230 hommes qui vont être affectés au sein du bataillon logistique. Participation modeste, donc, mais qui traduit malgré tout une volonté politique d'implication dans la résolution des crises régionales. Et c'est précisément de cela dont il est question, ce qui est recherché, et que l'on essaie de faire monter en puissance moyennant notre coopération de défense.

Tous les textes sont bâtis sur une même architecture, le modèle de convention que la France a proposé à ses partenaires pour cette question lorsqu'elle a décidé de ces révisions, et il n'y a pas de grandes différences entre ces trois accords et les cinq qui ont été précédemment ratifiés. Y figurent les mêmes principes généraux et, en premier lieu, l'inscription des accords dans des perspectives régionales désormais clairement affirmées : référence explicite est faite à l'accord de partenariat stratégique entre l'Afrique et l'UE, étant précisé que la coopération qui s'instaure entre les Parties contribue à rendre opérationnelle l'architecture africaine de paix et de sécurité sous la conduite de l'Union africaine et qu'elle soutient les mécanismes africains de sécurité collective et de maintien de la paix dans leurs dimensions continentale et régionale. C'est la raison pour laquelle les Parties se donnent la possibilité d'associer les contingents d'autres pays africains à certaines activités menées dans le cadre de ces accords, en concertation avec les organisations régionales ou les mécanismes de coordination agréés par l'Union africaine. En d'autres termes, on entend avec ces conventions contribuer à aider l'Afrique à mettre sur pied son propre système de sécurité collective, la Force africaine en attente et ses pôles régionaux étant clairement identifiés.

Disparaissent des accords conclus avec le Sénégal et avec la Côte d'Ivoire les clauses de défense qu'on trouvait systématiquement dans ceux qui seront abrogés. Il n'y a qu'avec Djibouti qu'une clause relative à la défense du territoire est maintenue. En effet, l'accord avec Djibouti se distingue par la présence d'un article 4 aux termes duquel « En cas de menace visant la République de Djibouti, et à la demande de la Partie djiboutienne, les Parties procèdent à l'évaluation de cette menace et définissent les mesures diplomatiques et militaires qu'elles jugent appropriées pour prévenir et dissuader ladite menace ; c) : Dans le cas où la République de Djibouti fait l'objet d'une agression armée au sens des dispositions de l'article 51 de la charte des Nations unies, les Parties se consultent immédiatement en vue de définir les moyens appropriés à mettre en oeuvre conjointement pour la défense de la République de Djibouti ». On a donc aujourd'hui dans notre dispositif conventionnel, si l'on prend en compte l'ensemble des huit accords de défense, une « exception djiboutienne », qui mérite une explication et me ramène aux questions de contexte que j'évoquais plus haut : Djibouti est dans une position géostratégique unique et aujourd'hui particulièrement sensible. De nombreuses puissances s'y intéressent aujourd'hui et sont de plus en plus présentes. Après les Etats-Unis, le Japon y a ouvert une base sur laquelle il a d'ores et déjà déployé un millier d'hommes, sans parler de l'Allemagne ou de l'Italie, surtout, qui est sur une même approche, avec déjà 300 hommes. Il serait paradoxal que nous nous mettions en retrait, d'autant plus que le maintien de cette clause de sécurité s'est fait à la demande de la partie djiboutienne.

Les trois accords définissent aussi les axes de notre coopération de défense, laquelle prendra essentiellement trois formes : l'échanges de vues, d'informations et de renseignements relatifs aux vulnérabilités, aux risques et aux menaces à la sécurité nationale et régionale ; l'organisation, l'équipement et l'entraînement des forces, le cas échéant par un soutien logistique et des exercices conjoints et enfin, un volet Formation, qui sera mis en oeuvre par l'accueil ou l'admission des personnels des forces armées nationales en qualité de stagiaires ou d'élèves dans les écoles de formation militaires françaises ou soutenues par la France.

Les accords contiennent aussi les dispositions statutaires, c'est-à-dire relatives aux conditions d'entrée et de séjour des membres du personnel dans les pays concernés, au port de l'uniforme, au permis de conduire des véhicules militaires, au port et à l'utilisation d'armes, à la discipline, à la santé des personnels et des membres de leurs familles, aux dispositions fiscales, etc. On trouve également des dispositions traitant des infractions commises par un membre du personnel ou un membre de sa famille, ou des dispositifs juridictionnels.

Ces accords ont à mon sens trois mérites : tout d'abord, celui de contribuer à la stabilité des pays concernés et, au-delà, à celle de l'Afrique, et consécutivement, à notre sécurité ; ensuite, de rénover les relations de notre pays avec ses anciennes colonies africaines et donc de se défaire d'un héritage encombrant et obsolète qu'il serait inopportun de maintenir ; enfin, d'inscrire notre coopération de défense dans une perspective bilatérale et régionale de partenariat qui répond à la demande des parties prenantes et de leur environnement. Nous sommes aujourd'hui dans un cadre nettement plus conforme avec les exigences contemporaines, tout en gardant un lien étroit avec nos partenaires historiques, lien qui est d'autant plus nécessaire que nous sommes aujourd'hui en concurrence avec de nouveaux acteurs qui ne viennent sans doute pas sans intention.

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