Intervention de Thierry Tuot

Réunion du 24 avril 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Thierry Tuot :

En préambule, je rappelle que, en tant que fonctionnaire, le Gouvernement ne m'a, à aucun moment, demandé de me prononcer pour ou contre l'exploitation du sous-sol, pour ou contre la défense de l'environnement, et sur la façon de choisir entre les deux. Je suis chargé de trouver un consensus sur la fabrication d'un nouvel outil, sans préjuger de la façon dont on utilisera cet outil ni des objectifs qu'on cherchera à atteindre en le maniant. Officiellement, je n'ai pas le moindre avis sur telle ou telle exploitation.

Mon objet est d'entourer une exploitation - que le Gouvernement déciderait - des conditions répondant à des exigences juridiques, sociales et politiques. Ce n'est pas la décision prise qui doit être satisfaisante mais la procédure au terme de laquelle elle a été prise, qui ne doit être ni excessivement formaliste ni trop instable et qui doit donner suffisamment de sécurité et de satisfaction à l'ensemble des intérêts. C'est dans cet esprit que nous travaillons, dans la recherche permanente d'un compromis entre la poursuite qui peut parfois apparaître nécessaire d'une exploitation et les exigences de protection de l'environnement et des populations. Nous essayons de donner un nouvel équilibre à cette conciliation, pas de préempter les décisions qui seront prises ultérieurement. Je réponds donc d'emblée aux questions particulières au permis « Limonade », à l'extraction de sable coquillier en baie de Lannion ou autre que, personnellement, je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire. (Sourires)

S'agissant de la participation du public, l'idée est de la rendre générale, c'est-à-dire qu'il y ait une information et une participation pour toutes les décisions. Afin que cela n'apparaisse pas comme la réitération permanente d'une procédure longue et compliquée, nous proposons de fonder cette participation sur plusieurs principes.

Premier principe, la proportionnalité. Un géologue qui veut regarder le paysage n'a pas besoin d'autorisation ; il n'y a donc pas non plus de participation. S'il veut se livrer à une recherche académique sans finalité d'exploitation, il n'y a aucune raison d'ouvrir un débat sur l'intérêt de l'exploitation. À chaque cas, sur la base d'une transparence totale – qui fait quoi à quel moment, qui veut demander quoi à qui –, il faut pouvoir proportionner l'effort d'information, d'expertise, de débat et de participation. Il va de soi que la délivrance d'un permis de recherche exclusif, qui emporte naturellement le droit exclusif de demander à exploiter, devra entraîner l'examen de l'opportunité d'exploitation à ce moment-là. Il va de soi aussi que, à ce stade, on sera incapable de dire où on va exploiter, en quelles quantités et à quelles fins. Ces points ne seront donc discutés que plus tard.

D'où le deuxième principe, que, pour l'instant et faute de mieux, nous appelons d'incrémentation, selon lequel à chaque fois qu'on délivre une autorisation, on tient compte de la précédente et on ne va pas plus loin que ce qui est demandé. Cela veut dire que, à chaque instant, on tient le débat nécessaire dans la mesure des connaissances disponibles. Pour des autorisations extrêmement longues de vingt-cinq ou cinquante ans, par exemple pour des stockages, on pose le principe de leur durée et de leur réévaluation permanente. À chaque occasion de réalisation de nouveaux travaux, de modification d'un périmètre, une procédure proportionnée devra être lancée, tenant compte des précédents mais renouvelant le débat.

Dans cette perspective, le schéma national minier doit jouer un rôle de réducteur d'incertitudes. Si l'évolution des cours mondiaux, dans la manipulation desquels certains pays comme la Chine ont une grande pratique, conduisait à envisager l'exploitation de la fluorine en France, il faudrait pouvoir se référer à ce schéma national minier. Celui-ci pourrait indiquer que l'exploitation de la fluorine est considérée, en principe, comme satisfaisante en France sans donner de précision de lieu ou de technique. Cela éviterait de refaire la bataille de Gravelotte à chaque fois que quelqu'un voudrait ouvrir une exploitation de fluorine, et au moins un principe serait acquis.

Le schéma national minier ne doit être que ceci : un document partiel à horizon glissant, en permanence actualisé au gré des techniques, des découvertes, de l'acquisition de savoirs et soumis à une participation. Document de planification, il doit non pas être contraignant mais donner des orientations stratégiques, des voeux que le Gouvernement aura soumis à validation par une participation du public et dans lesquels il aura impliqué le Parlement selon des modalités qu'il aura choisies – communication, association, validation, débat, évaluation impliquant votre office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces choix seront discutés au sein du groupe mais ne feront pas l'objet de recommandations à proprement parler parce qu'ils relèvent vraiment de l'organisation politique. Il s'agit bien, dans notre idée, d'avoir un document réducteur d'incertitudes, non pas un instrument de limitation des activités ou normatif sur les territoires, ce qui priverait de tout sens la notion même de participation territoriale ; un document qui donne de grandes orientations et qui valide des choix collectifs quant aux ressources, quant aux usages.

S'agissant de la fiscalité, nous n'avons pas encore travaillé sur les dispositions, mais notre idée est de les mettre toutes dans le code minier d'abord, même si certaines iront dans le code général des impôts qui sera un code dit suiveur. En lisant le code minier, on saura tout sur l'équilibre économique et financier. Nous proposons comme principe de base de bien distinguer entre redevances et fiscalité. La fiscalité n'est pas un instrument de compensation des dommages ou de réparation, c'est un instrument de financement du budget de l'État et des collectivités territoriales. Tout ce qui est lié au financement des conséquences et des impacts doit être versé sous forme de redevance. Il nous faut donc imaginer des redevances couvrant l'ensemble des conséquences et se fondant sur une évaluation des conséquences de l'exploitation, des externalités positives et négatives comme des coûts et des dommages, qui s'attache à prendre en considération non seulement ce qui se passe sur le territoire communal d'assiette, mais aussi sur l'ensemble du bassin de population et des infrastructures impactées.

Il faut avoir plusieurs mailles d'examen territorial : communale, intercommunale, départementale, régionale et plus quand il s'agira d'offshore, où la notion de collectivités intéressées couvrira des façades ou des collectivités riveraines d'un bassin. L'examen doit être adapté, les redevances également. Par exemple, en cas de conséquences sur des charges de formation professionnelle pour une région, c'est une redevance qui y sera attachée plutôt qu'une fiscalité compensatoire dont on finit par oublier pourquoi on l'a créée.

Il appartiendra au Gouvernement de déterminer comment il alloue les revenus fiscaux entre l'État et les collectivités territoriales. Nous proposons que les titres miniers soient délivrés en fonction d'un équilibre économique de l'exploitation, dont il serait tenu compte pour la fixation des redevances et l'évolution de la fiscalité. Ainsi, dans un contexte d'effondrement des cours mondiaux, on ne maintiendrait pas une fiscalité élevée mais, inversement, tout effet d'aubaine dû à des envolées de cours donnerait lieu à la révision des prélèvements de fiscalité ou de redevances. L'idée est d'assortir les titres miniers d'une trajectoire fiscale variable à la hausse ou à la baisse permettant de conserver un équilibre économique. C'est relativement facile à décrire, un peu plus difficile à écrire.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la France est un pays minier jeune, pas ancien. Un pays minier jeune doit avoir une fiscalité minière modérée pour permettre la mise en exploitation. Tous les pays miniers très anciens, comme le Canada ou l'Australie, ont des fiscalités relativement élevées ; tous les pays qui ne sont pas encore matures ont des fiscalités qui accompagnent et facilitent la recherche et, le cas échéant, le début de l'exploitation. Il faudra en tenir compte au moment de la fixation des niveaux de pression fiscale, qui relèvera de la loi de finances et non pas du code minier, conformément à la Constitution.

Pour orienter la recherche de l'équilibre entre l'économie et le social, nous proposons d'introduire, dès le début du nouveau code minier, une définition de l'intérêt général reposant sur trois piliers : l'obligation de l'État de préserver et de valoriser le sous-sol comme richesse nationale dans le respect des principes du code civil – le sous-sol appartient au propriétaire du dessus et l'État intervient au titre des autorisations administratives ; les exigences environnementales ; les exigences du développement territorial et des populations. L'intérêt général sera entendu comme la conciliation de ces trois exigences ; l'équilibre des décisions tiendra à la prise en compte des trois piliers à la fois. Nous tentons par-là de ramener l'intérêt général à trois points clairs plutôt qu'à la liste infinie que l'on trouve aujourd'hui dans le code de l'urbanisme, qui ne constitue pas un instrument permettant de trouver le bon équilibre.

Dans le domaine de l'exploitation en mer, nous avons choisi de décliner les dispositions débordant du tronc commun du code minier, technique par technique, milieu par milieu, matière par matière. La géothermie a des besoins qui ne sont pas les mêmes que ceux du stockage de gaz souterrain, eux-mêmes différents de ceux de l'exploitation de granulats. Chaque industrie se verra dédier un chapitre qui en indiquera les spécificités, de même que chaque territoire ou collectivité d'outre-mer et chaque milieu. Il y aura donc un chapitre offshore. Chaque chapitre décrira ce que l'on doit entendre par collectivité intéressée pour la procédure d'enquête, ou par infrastructure impactée par le développement en matière de choix économique, ou par autorité environnementale pour l'appréciation de l'impact sur le milieu, en l'adaptant à chaque fois, notamment pour l'offshore qui est un problème tout à fait particulier.

S'agissant du calendrier, je ne suis pas habilité à vous dire quoi que ce soit sur ce que le Gouvernement fera. Je peux seulement vous indiquer qu'on m'a demandé de remettre la copie à la fin du mois de mai. Pour la suite, les délais m'échappent. Je continuerai à tenir votre président informé de l'avancée de mes travaux et reviendrai devant vous dès que vous le souhaiterez. Nous avons tous à coeur de trouver le bon compromis entre la vitesse d'exécution, la rapidité de mise en oeuvre et la nécessité de construire quelque chose qui tienne debout. Aujourd'hui, le groupe de concertation proteste plutôt de ce que nous allons trop vite.

J'aurais dû commencer par vous le dire, le gaz de schiste ne figure pas dans mon mandat. Que les choses soient claires, je n'ai pas le droit d'en parler et je n'ai pas d'avis sur la question. (Murmures)

Bien entendu, l'ombre portée des gaz de schiste plane sur nos travaux, mais le débat politique a déjà eu lieu et ce n'est pas à une commission de fonctionnaires de le remettre en cause.

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