Intervention de Thierry Tuot

Réunion du 24 avril 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Thierry Tuot :

Je vous remercie de m'accueillir pour me permettre de vous présenter l'état des travaux que je conduis depuis la fin du mois d'août sur la refonte du code minier. Depuis l'adoption de la Charte constitutionnelle de l'environnement, ce code pose en effet un problème structurel qui réside dans la non-conformité aux exigences de participation du public des modalités conduisant aux décisions d'exploitation et de gestion des mines. La difficulté avait été soulevée par la Commission supérieure de codification à la suite d'une opération de modernisation à droit constant du code minier, et signalée comme susceptible de nous exposer à des embarras juridiques de grande ampleur.

Les trois ministres intéressés – écologie, industrie et outre-mer – avaient souhaité, dans un premier temps, qu'un groupe de concertation examine les enjeux de la modernisation du code minier. Le groupe constitué est un échantillon de parties prenantes ; il ne vise pas la représentativité mais s'efforce d'entendre tous les secteurs de la vie publique intéressés : syndicats de salariés, organisations patronales, associations environnementales, experts, scientifiques, juristes mais aussi collectivités territoriales et principales administrations concernées.

Très vite, nous nous sommes rendu compte que, au-delà de la question de la participation du public qui n'aurait nécessité qu'un toilettage mineur, nous étions devant un instrument juridique qui reflétait un passé depuis longtemps révolu et ne répondait en rien aux exigences contemporaines. Si bon nombre de ses dispositions, datant de 1810, sont parfaites pour permettre à un maître de forge d'exploiter du charbon dans l'est de la France, elles sont très insuffisantes sur les plans technique et économique, tant en matière de valorisation du sous-sol et d'accès à des ressources dont on n'imaginait pas l'exploitation au moment de son écriture – par exemple, l'utilisation des cavités du sous-sol pour le stockage d'hydrocarbures ou de gaz ou l'exploitation des terres rares ou d'autres matières – que dans la recherche d'un équilibre entre le droit environnemental profondément modernisé, les exigences beaucoup plus importantes de la société et celles des collectivités territoriales depuis la décentralisation. Nous nous sommes donc engagés peu à peu vers des propositions de refonte, dans l'idée d'écrire un code accessible décrivant de façon claire selon quelle procédure on peut exploiter les richesses du sous-sol, qu'il s'agisse d'extraire, d'utiliser ou d'injecter, dans des conditions satisfaisantes de participation, de protection de l'environnement et de respect des intérêts des populations et des territoires.

Pendant quatre mois, à raison d'une séance de travail par semaine, nous avons essayé de dégager des orientations communes, que nous avons ensuite exposées, au cours d'une réunion particulière au ministère de l'outre-mer, à des représentants nationaux et locaux des territoires et collectivités d'outre-mer concernés. Sur la base de ces travaux, j'ai proposé au Gouvernement des orientations de travail dont le Premier ministre, par une lettre de mission du début du mois de février, m'a demandé d'écrire les dispositions législatives correspondantes dans le cadre du même groupe de travail. Avec un petit groupe de rédacteurs issus à la fois du Conseil d'État, de la direction des affaires juridiques du ministère chargé de l'écologie et de la direction des affaires juridiques du ministère du redressement productif, nous avons commencé à rédiger le nouveau code dont près de 80 % des articles seront conservés. Sur les 20 % de dispositions novatrices, je peux maintenant vous donner quelques indications et de contenu et de calendrier.

La philosophie générale du code est inchangée : il s'agit de régir la totalité des usages du sous-sol, hors aménagement, car, bien évidemment, la construction de parkings souterrains relèvera toujours du code de l'urbanisme. Sont visées les activités minières au sens large tel qu'il est entendu aujourd'hui, qui recouvre à la fois les matières qu'on peut extraire, celles qu'on peut injecter mais aussi les usages qu'on peut faire du sous-sol, notamment de ses cavités et de la chaleur qui s'y trouve, en vue de l'exploitation à des fins de stockage ou de géothermie. C'en est fini de l'image du chevalet de mine et de l'extraction du charbon.

De façon générale, le code est envisagé comme un instrument permettant à la nation de décider de l'utilisation de son sous-sol dans des conditions assurant à la fois une parfaite participation de l'ensemble des parties prenantes et un bon équilibre entre l'intérêt économique et les exigences environnementales et de développement territorial, tenant compte de l'intérêt des populations. Nous nous efforçons d'atteindre cet équilibre en proposant un certain nombre d'évolutions. Sans rentrer dans les détails, j'en donnerai quelques exemples qui, pour l'instant, font consensus. Toutefois, le diable se niche dans les détails, et nous ne parviendrons pas à trouver un équilibre partout. Au final, c'est au politique qu'il incombera de trancher entre les différentes versions qui seront soumises à son examen.

D'abord, nous proposons que la nation réfléchisse à l'orientation générale qu'elle souhaite donner à l'utilisation de son sous-sol, autrement dit qu'elle élabore un schéma national minier. Pour cette opération, il faudrait avant tout reprendre le travail de recensement de nos richesses, délaissé depuis 1980 et effectué aujourd'hui pour à peine un tiers du territoire et, la plupart du temps, pour des matières ou des usages extrêmement limités. Ainsi, les fameuses terres rares, dont vous savez combien nous dépendons sur un plan stratégique, ne font l'objet d'aucun recensement. Nous ne savons pas si notre sous-sol en recèle, donc si nous pourrions recourir ou pas, et dans quelles conditions, à la ressource nationale en cas de crise. Un plan d'exploration, à la fois public et privé, est donc à dresser pour mettre à la disposition du public des connaissances scientifiques aujourd'hui inexistantes ou mal exploitées.

Le schéma national devrait aussi être l'occasion d'ouvrir des débats sur les techniques et les modalités d'exploitation des différentes matières, de façon à ce que, à mesure de l'avancée des découvertes et du savoir, on puisse se prononcer au niveau national sur ce qui paraît acceptable, ce qui l'est moins et ce qui est complètement exclu. Comme pour l'amiante, dont nous savons aujourd'hui qu'il ne doit pas être exploité, il serait bon d'établir une cartographie claire de ce que l'on veut ou pas exploiter, et comment.

Dernière vocation possible du schéma national, le recensement des titres miniers délivrés, qui n'a jamais été fait. Aujourd'hui, nous ne savons pas où sont et quels sont les titres miniers délivrés par le passé, ce qui pose, pour la gestion de l'après-mine, des difficultés tout à fait considérables. Une bibliothèque universelle des titres miniers délivrés permettrait d'assumer dans de bonnes conditions la responsabilité et le suivi des titres antérieurement octroyés.

Nous proposons, ensuite un deuxième type d'innovation qui concerne les principales autorisations. En plus des permis de recherche et des permis d'exploitation, les fameux titres miniers, qui existent actuellement, serait créée une nouvelle catégorie de titres visant la recherche purement académique sans vocation à l'exploration. Écho de la nécessité de recenser les richesses, cette autorisation permettra de conduire des travaux sans finalité économique définie, l'identification des richesses du sous-sol par la recherche scientifique pouvant conduire à débattre du principe de l'exploitation avant de confier à quelque demandeur privé le soin de rechercher à titre exclusif.

Nous proposons également que la totalité des décisions soient prises à l'issue d'une procédure d'évaluation environnementale, donc de participation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dans l'esprit du groupe de concertation, cet enrichissement des garanties environnementales doit être complété par une plus grande sécurité et une plus grande rapidité des procédures. À l'heure actuelle, de très nombreuses procédures sont totalement opaques, pour les demandeurs comme pour les populations. Les élus locaux parmi vous savent qu'un élu local n'est jamais informé d'une demande de titre, qu'il la découvre au hasard des informations qu'on veut bien lui donner. Beaucoup de titres sont donnés sans enquête, lesdites enquêtes intervenant soit prématurément, soit, au contraire, trop tardivement. Nous proposons donc une remise en ordre générale, avec des procédures à délais fixes, transparentes et donnant lieu à une information. Nous posons le principe, au niveau législatif, de la transparence absolue. Toutes les données devront être sur la table à tout instant, sous réserve du secret industriel et commercial, et dans les limites posées par la loi de 1978. C'est donc un principe d'accès extrêmement large et d'information à la fois précoce et constante pour l'ensemble des populations et des parties intéressées. En contrepartie, les procédures seront ramenées à des délais plus raisonnables et toujours fermés. Aujourd'hui, beaucoup de procédures sont à délai ouvert et le fait de ne pas en connaître le terme rend toute contestation impossible.

Pour ne pas ajouter à la complexité d'un droit environnemental que, par ailleurs, le Gouvernement a annoncé vouloir simplifier, nous proposons de calquer, par défaut, toutes les procédures du code minier sur la procédure des installations classées. Celle-ci a l'avantage d'être connue de tous les industriels et de toutes les associations de défense de l'environnement, d'être parfaitement rôdée, moins coûteuse que beaucoup d'autres, et d'être enserrée dans des délais et des pratiques fixés par la jurisprudence de façon extrêmement simple. Toutefois, nous sommes aussi en train de travailler à une procédure spéciale, beaucoup plus ouverte, destinée à ne pas enfermer les grands débats dans des exigences de moyens qui camouflent le fond : il s'agirait d'une procédure à la fois plus ouverte, plus souple et plus courte, assortie de garanties juridictionnelles plus exigeantes. Nous envisageons notamment la possibilité de purger les procédures de leur vice de forme par un recours juridictionnel volontaire. Cela permettrait, dès lors qu'un titre a été délivré, de s'assurer très vite devant un juge de sa validité et d'éviter ainsi ces annulations qui interviennent quelquefois dix années plus tard en déstabilisant, aussi bien économiquement que socialement, les conditions d'une exploitation.

Nous proposons de consacrer un livre entier du nouveau code à l'après-mine, en rassemblant les dispositions éparses nées au gré des circonstances et des difficultés survenues, notamment en Lorraine et dans les départements du Nord, de façon à mettre en place un régime de solidarité nationale très clair. Celui-ci poserait le principe que l'après-mine doit être géré et que la responsabilité en incombe à l'exploitant. Des systèmes très encadrés permettraient à ce dernier d'assumer cette responsabilité, par le biais d'assurances notamment, et de s'en dégager dans des conditions également de transparence complète. La levée de la police minière serait ainsi considérée, elle aussi, comme une procédure de participation transparente. Par ailleurs, la création d'un fonds national de solidarité minière, alimenté par la fiscalité de l'exploitation minière, permettrait de suppléer les carences ou les défauts de l'exploitant, y compris lorsqu'il n'y a plus d'exploitant de bonne foi. Nous proposons notamment, pour assurer la responsabilité de l'exploitant, une clause dite Metaleurop, qui a l'assentiment des industriels et qui permet de rechercher la responsabilité, à défaut de l'exploitant, de celui qui a bénéficié de l'exploitation ou qui en assuré la conduite effective. Le cas échéant, nous pourrons remonter aux actionnaires des actionnaires, comme on le fait de façon très classique en matière fiscale. Ce n'est pas là une très grande novation juridique.

Le Gouvernement serait favorable à ce que ce régime d'après-mine soit élargi. À l'heure actuelle, seule la propriété de la résidence principale peut être indemnisée. Nous proposerons d'élargir l'indemnisation, conformément aux exigences constitutionnelles, à l'ensemble des propriétés. Bien que cela n'incombe pas aux rédacteurs du code minier, nous ferons également des propositions pour régler définitivement l'après-mine de la période antérieure à 1994, à l'origine de situations humaines extrêmement douloureuses qu'un effort financier très modeste permettrait de traiter. Je précise que deux associations défendent, dans le groupe de travail, les intérêts des titulaires de l'après-mine.

Voilà, brossées à très grands traits, les innovations auxquelles nous travaillons. Nous espérons avoir achevé nos travaux avant l'été, ce qui devrait permettre au Gouvernement, s'il se prononce rapidement sur nos choix, de transmettre le dossier au Conseil d'État en vue d'un examen que j'espère rapide. Le projet de texte du Gouvernement, à la place duquel je ne suis pas censé m'exprimer, pourrait alors être transmis au Parlement durant l'été.

Je précise, mais ne le répétez pas au vice-président du Conseil d'État, que nous nous efforçons de rédiger un code qui ne comporterait que des dispositions législatives. N'appelant pas de mesures d'exécution réglementaire pour entrer en vigueur, il pourrait donc être applicable dès le lendemain du vote, à quelques exceptions près. Nous proposerons au Gouvernement que vous puissiez l'habiliter à prendre par voie d'ordonnance les mesures de transition nécessaires pendant une période de quelques années. De très nombreuses situations d'exploitation ou d'après-mine relèvent encore de l'ancien univers et appelleront des mesures de transition pour basculer dans le niveau système. Il faudra les régler pratiquement exploitant par exploitant, territoire par territoire, ce qu'il paraît plus facile d'opérer par ordonnance.

L'outre-mer n'est pas à proprement parler dans mon mandat, mais c'est un point tout à fait central. Dans les cas de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, nous n'aurons rien à dire puisque la loi organique a déjà prévu un transfert complet des compétences au profit des collectivités. Dans d'autres cas, les enjeux miniers sont tout à fait essentiels : en Guyane, à la fois sur le territoire continental, avec l'or, et sur le domaine maritime, avec les hypothèses de ressources pétrolières ; aux Antilles, avec la géothermie. D'autres collectivités ou territoires d'outre-mer pourraient être concernés. Nous avons retenu comme méthode de travail d'écrire le tronc commun de notre code et de laisser au ministre de l'outre-mer le soin de discuter avec chacune des collectivités de la façon de tenir compte de leurs spécificités. C'est un travail qui dépasse les responsabilités d'un fonctionnaire puisque le ministre devra veiller, tout en respectant les nécessités de la décentralisation, à ne pas mettre ces collectivités dans une situation où elles devraient assumer les responsabilités de police ou de surveillance, d'indemnisation et de protection de l'environnement sans en avoir les moyens, comme c'est le cas aujourd'hui. Il devra trouver un équilibre entre les compétences de l'État et celles de ces collectivités, et le négocier avec chacune d'entre elles.

Voilà, en quelques mots et à titre d'introduction, l'état de nos réflexions.

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