Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du 27 mars 2013 à 11h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA :

Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant votre commission et suis sensible à l'honneur qui m'est fait.

La commission ayant été partiellement renouvelée l'an dernier, il m'a paru utile de vous présenter un exposé de portée générale sur la DAM, sa contribution à la dissuasion et les retombées de celle-ci.

J'aborderai successivement cinq points : l'organisation de la dissuasion en France, le CEA et la place de la DAM en son sein, la dissuasion et le programme de simulation, l'emploi de nos ressources et enfin les retombées de la dissuasion.

La dissuasion française a sa propre doctrine, qui repose à la fois sur des fondamentaux intemporels – qui sont les mêmes depuis cinquante ans – et sur une part variable. De son côté, la stratégie américaine a évolué au fil des Nuclear posture reviews (NPR), pour tendre finalement à se rapprocher de notre doctrine. Celle-ci se fonde depuis l'origine sur l'idée que la dissuasion fonctionne tous les jours : c'est une fonction stratégique qui a vocation à défendre nos intérêts vitaux contre toute menace d'origine étatique, quelle qu'en soit la forme, en faisant redouter – c'est ce terme qui est important – à l'adversaire des dommages inacceptables pour lui. La dissuasion est d'abord une arme diplomatique : l'important est que l'adversaire vienne à la table des négociations et que l'intérêt de la France soit préservé.

La part variable de notre doctrine est la politique des moyens, qui a considérablement évolué dans le temps. Après une montée en puissance culminant en 1990, à la fin de la guerre froide – son budget dépassait alors 1 % du PIB –, elle a été adaptée à la baisse à partir de 1991. Les moyens de recherche et de développement industriel du CEA ont ainsi été limités au strict minimum. La part de la dissuasion est aujourd'hui nettement inférieure à 0,2 % du PIB.

La France n'a jamais été en reste par rapport à ce qu'a proposé le président Obama dans son discours de Prague. Elle a mis en oeuvre depuis longtemps, et sous tous les présidents qui se sont succédé, les deux volets qu'il évoquait alors. Notre doctrine a toujours été strictement défensive, liée à la seule protection de nos intérêts vitaux. Elle repose sur le concept de « stricte suffisance » : le nombre de nos armes a constamment été adapté à ce que le chef de l'État estime être le strict minimum. Enfin, nous avons mis fin aux essais nucléaires et conçu un programme de simulation.

En outre, la France respecte strictement le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Elle a été l'un des premiers pays dotés de l'arme nucléaire à signer et à ratifier le Traité d'interdiction complet des essais nucléaires (TICE), qui a eu pour corollaire le lancement du programme de simulation. Elle a également cessé de produire des matières fissiles utiles aux armes, et démantèle ses usines, ce que vous pouvez constater sur place à Pierrelatte et à Marcoule. Enfin, elle a fortement diminué le nombre de ses armes nucléaires, aujourd'hui inférieur à 300.

J'en viens à la gouvernance de la dissuasion. Le Conseil des armements nucléaires, qui est une partie du conseil restreint de défense et de sécurité nationale, est présidé par le Président de la République et décide des grandes options. Il se réunit au moins une fois par an, voire davantage ; à la date d'aujourd'hui, le président Hollande l'a déjà réuni deux fois. Ses décisions sont traduites en actions concrètes par le Comité nucléaire militaire, présidé par le ministre de la Défense. Les programmes nucléaires sont ensuite conjointement mis en oeuvre par la direction générale de l'armement (DGA) et le CEADAM. C'est une oeuvre commune : la DGA est responsable de toute la partie non nucléaire du programme, autrement dit tout sauf la chaufferie et les armes, et le CEADAM de la chaufferie, des armes et de l'approvisionnement en matières nucléaires. Pour ce qui est du fonctionnement au quotidien, le Premier ministre promulgue tous les cinq ans, depuis 1961, une directive dite « l'oeuvre commune », qui met en place tous les mécanismes permettant de piloter le CEA – donc la DAM – pour les programmes de défense et de suivre leur exécution. Une fois par an, le suivi global est assuré par le Comité de l'énergie atomique, présidé par le ministre de la Défense. Un jour par mois, enfin, le comité mixte armées-CEA se réunit pour suivre à la fois nos plans stratégiques, nos propositions d'action, nos budgets et leur exécution – bref l'avancement de tous les programmes qui nous sont confiés.

Le CEA est un établissement public industriel et commercial, qui emploie 15 900 salariés en contrat à durée indéterminée. Il est organisé en cinq pôles, respectivement tournés vers la recherche fondamentale en physique, la recherche fondamentale en biologie « par et pour le nucléaire », l'énergie nucléaire, la diffusion technologique et enfin la défense, avec la DAM.

La DAM compte 4 700 salariés. Ses missions sont au nombre de six. La première a trait aux armes : elle a la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage déléguée des armes, mais aussi de leur conception, de leur fabrication, de leur maintien en condition opérationnelle et de leur démantèlement. La deuxième mission, la propulsion nucléaire, recouvre la responsabilité des 12 chaufferies embarquées à bord de 11 bâtiments, sachant que le porte-avions nucléaire en compte deux, et celle de la conception des futures chaufferies et des combustibles embarqués. La troisième mission recouvre principalement la responsabilité stratégique de l'approvisionnement des matières. Pour les armes, nous n'approvisionnons plus : nous recyclons celles qui existent déjà. Pour la propulsion, nous assurons l'approvisionnement en uranium des chaufferies des sous-marins et du porte-avions au profit de la défense auprès de l'industrie française. La quatrième mission est relative à la sécurité et à la non prolifération, la cinquième à la défense conventionnelle, et la sixième à la valorisation des connaissances que nous avons acquises et des technologies que nous avons mises au point, à condition qu'elles ne soient pas proliférantes.

La DAM compte cinq centres : le Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine (CESTA), près de Bordeaux, le centre DAM Île-de-France, à côté d'Arpajon, celui du Ripault, près de Tours, celui de Valduc, près de Dijon, et enfin celui de Gramat, dans le Lot. Chaque ligne de programme – propulsion nucléaire, matières et environnement, sécurité et non prolifération, armes nucléaires et défense conventionnelle – est pilotée par un directeur de programme.

La DAM a bien sûr évolué depuis cinquante ans, en particulier depuis la fin de la guerre froide. Dans la décennie 1990-2000, nous avons consenti un effort significatif pour réduire notre empreinte géographique, en fermant le Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) et en réduisant le nombre de nos centres, qui est passé de sept à quatre. Le centre d'études de Gramat nous a été confié en 2010, sur décision du ministre de la Défense. Nos effectifs sont ainsi passés de près de 6 500 personnes en 1990 à 4 500 en 2009, auxquelles sont venus s'ajouter en 2010 les 270 personnels de Gramat.

Le budget total de la DAM pour 2013 s'élève à 1 775 millions d'euros taxes comprises. Il se répartit entre les salaires et les frais de fonctionnement, pour 365 millions, les dépenses externes – essentiellement auprès d'industriels français – pour 1 200 millions, et la TVA, pour 200 millions.

Une part importante de ce budget – 1 490 millions – est consacrée aux armes et à la simulation, aux matières et à la propulsion nucléaire. 154 millions proviennent par ailleurs du Fonds dédié défense pour le démantèlement des anciennes installations. 26 millions sont consacrés aux travaux de défense conventionnelle, et une centaine de millions à la valorisation.

J'en viens à la stratégie mise en oeuvre par la France, qui a joué un rôle pilote en ce domaine, pour pérenniser sa dissuasion en lançant le programme de simulation. Notre pays s'est montré volontariste en arrêtant les essais nucléaires, en fermant le CEP, en signant et en ratifiant le TICE, avec « l'option zéro », c'est-à-dire l'interdiction totale de dégager de l'énergie à l'aide de la fission. Simultanément, il a décidé de conduire une ultime campagne permettant de valider par un certain nombre d'essais une charge dite robuste, qui présente les mêmes fonctions militaires que toutes les charges nucléaires, mais a l'avantage d'être pardonnante, c'est-à-dire de présenter suffisamment de marge pour qu'on puisse la garantir par la simulation tout au long de sa vie. La mise au point de cette charge robuste est une originalité française : à ma connaissance, les autres États dotés de l'arme nucléaire n'ont pas eu cette démarche volontariste. En même temps, nous avons développé le programme de simulation, qui, lui, présente dans sa forme de nombreuses similitudes avec ceux des autres États dotés. La France a également décidé de limiter sa dissuasion à deux composantes, l'une aéroportée et l'autre océanique. Enfin, elle a, comme je l'ai dit, décidé d'arrêter la production de matières fissiles pour les armes et de démanteler totalement ses usines. Là encore, elle a fait preuve d'un grand volontarisme en réduisant au minimum les installations dont elle a besoin, c'est-à-dire pour la propulsion. Aujourd'hui, la matière des vieilles armes est recyclée à Valduc pour en fabriquer de nouvelles.

Le programme simulation est une démarche scientifique qui consiste à reproduire en laboratoire, par le calcul, le fonctionnement d'une charge nucléaire, au moyen de la physique, de la simulation numérique et de l'expérience, les trois volets étant complémentaires.

Je vais maintenant essayer d'illustrer la physique des armes et la simulation numérique. Lorsqu'une arme fonctionne, elle est le siège d'un certain nombre de phénomènes physiques. Je prendrai ici l'exemple de la turbulence des fluides. L'eau coule généralement de manière douce – ou laminaire, pour les scientifiques – dans un ruisseau ou une canalisation. Mais lorsqu'un certain nombre de paramètres évoluent, elle se met à tourbillonner : l'écoulement devient turbulent ou agité. Il faut savoir que la turbulence apparaît également lorsqu'une arme fonctionne. La modélisation physique consiste à traduire ce phénomène de fluide qui se met à bouger par un système d'équations. Nous ne savons pas résoudre celui-ci à la main : c'est donc l'ordinateur qui va fournir la solution. Ce sont ces phénomènes de turbulence et de mélange que nous calculons dans les armes, sachant qu'il est particulièrement complexe de les mettre en équations.

Il faut ensuite valider le résultat. En effet, une équation est une construction intellectuelle, et il y a en général plusieurs équations pour représenter un phénomène donné. La question qui se pose au scientifique est donc de savoir laquelle choisir. Pour cela, il faut les comparer à l'expérience, afin de trouver celle qui représente le mieux le phénomène à simuler. Une arme nucléaire est constituée d'un corps de rentrée qui lui permet d'être structurée et de voler, d'un bloc équipement qui est son cerveau, (qui est piloté par une puce électronique), d'une amorce et d'un étage qui vont dégager de l'énergie nucléaire. Cet ensemble contient de l'explosif, du matériau fissile et du matériau fusible. Les essais nucléaires permettaient de tester l'arme d'un seul coup. À présent que nous n'en faisons plus, il est nécessaire de découper les différentes phases de fonctionnement en deux parties. On peut analyser la première – explosifs et fission – en comprimant la matière (en fait, son substitut non nucléaire dans les expériences) et en observant l'aspect qu'elle prendrait au moment de la fission. Pour cela, on fait une radiographie : c'est l'objet de l'installation Epure. Pour la deuxième phase – fission et fusion (dite « haute densité d'énergie ») – nous procédons à des expériences élémentaires, qui restituent en laboratoire les grands phénomènes physiques qui se passent dans l'arme. Cette démarche est comparable à celle des ingénieurs en aéronautique qui placent une maquette d'avion dans une soufflerie pour affiner leur connaissance de l'appareil. Il faut regarder le Laser Mégajoule comme la soufflerie des spécialistes de l'arme nucléaire.

Revenons à la radiographie : elle s'apparente à celles qui sont réalisées dans le domaine médical, à ceci près que la matière à traverser est l'équivalent de 200 000 corps humains, et qu'il faut le faire en quelques milliardièmes de seconde. Nous avons donc besoin d'instruments spécifiques pour vérifier le comportement de la matière.

Supposons que ce que l'on cherche à voir ait la forme d'un flocon de neige – il est compliqué et a des contributeurs de taille différente. La radiographie d'Airix permet de vérifier qu'on a bien ce flocon de neige, comme cela est démontré sur la maquette d'évaluation de la machine Airix.

La construction de ces bâtiments et de ces machines radiographiques fait l'objet du projet Epure, qui sera mis en oeuvre en deux étapes. La première, qui doit être achevée en 2014, correspond au premier axe radiographique, au secteur d'exploitation et aux zones de préparation de l'engin de l'expérience réservés aux équipes françaises. La seconde, qui durera jusqu'en 2022, viendra la compléter. La première phase avait été décidée en 2008, avant les accords de Lancaster House. Elle est réalisée à 100 % par la France. La seconde a fait l'objet du Traité dit « Teutates ». C'est donc un projet commun et la dépense totale est partagée à 5050, qu'il s'agisse des coûts de construction, d'exploitation ou de démantèlement. Le droit d'utilisation est donc égal pour les Britanniques et les Français.

J'en viens aux expériences qui peuvent être faites avec le Laser Mégajoule (LMJ). Les expériences que nous envisageons de faire à partir de 2014 consistent à savoir comment le matériau d'étude va évoluer lorsqu'il est touché par le rayonnement laser, qui amène beaucoup d'énergie. Avec le rayonnement laser, la température dans la petite sphère servant de cible s'élève à près de 3 millions de degrés. Le matériau d'étude n'est donc plus une partie solide : il est devenu un gaz ou un plasma. L'expérience et le calcul sont donc confrontés en permanence pour faire progresser nos connaissances scientifiques. Le microballon de la cible sera placé au centre de la sphère d'expérience, qui permettra de mettre en oeuvre près de 100 mesures. Cette sphère est un élément du hall d'expérience où les lasers convergent, lequel est entouré de part et d'autre par les deux bâtiments laser. Le laser va fabriquer un rayon de lumière cohérent, c'est-à-dire dont tous les grains de lumière cheminent « en phase ». La différence entre la lumière d'un laser et celle de la salle où nous nous trouvons en ce moment est en effet comparable à celle qui peut exister entre une troupe qui marche au pas – tous les soldats ou grains de lumière avancent au pas, « en phase » – et une troupe qui arrive à un pont – les soldats arrêtent de marcher au pas. Le laser est une source de lumière cohérente, que l'on peut travailler pour l'utiliser dans de bonnes conditions.

Le projet LMJ est l'un des grands projets que conduit la DAM. Il est partagé par la plupart des grands industriels français de la défense. La chaîne laser part du pilote, fabriqué par Quantel, pour effectuer deux allers et retours, soit quatre passages par les plaques d'amplification – auxquelles participent Thales, EADS ou Alsyom – avant d'être envoyée dans la petite cible. De nombreux industriels participent à la réalisation de ce laser. Dans la mesure où ses spécifications sont un peu hors du commun, cela les a beaucoup fait progresser, chacun dans leur domaine de compétence respectif.

Le programme de simulation a été lancé en 1996. Sa construction s'est déroulée jusqu'à aujourd'hui. Tous ses jalons – qu'il s'agisse d'Airix, de la Ligne d'intégration laser (LIL), prototype du LMJ, ou des ordinateurs – ont été obtenus au moment où nous le souhaitions avec les performances requises et dans le budget alloué. Pour l'avenir, nous avons prévu d'exploiter le LMJ à partir de 2014, d'utiliser Teutates-Epure, et de continuer à progresser dans la physique, les équations et les ordinateurs, en suivant les étapes que je vous présente.

J'en viens à l'emploi des ressources de la DAM. Les taxes représentent environ 11 % de nos dépenses, la masse salariale et les frais associés 21 %, et les achats aux industriels français pour réaliser les programmes 68 %, soit 1 200 millions d'euros hors taxes. Vous noterez que cette répartition est à peu près constante : les deux tiers de notre budget vont à l'industrie française. Prenons l'exemple du LMJ, dont la construction va durer une douzaine d'années : le coût total du projet, soit 3,3 milliards d'euros, peut être ventilé entre les taxes – pour 13 % – le personnel – pour 18 % – et les achats – pour 69 %. L'équilibre n'est sans doute pas le même dans les autres organismes de recherche, y compris d'ailleurs la partie civile du CEA.

Permettez-moi maintenant de prendre quelques exemples de transferts technologiques du CEA vers l'industrie. Je prendrai tout d'abord le cas du BEFI, matériau qui sera utilisé dans les têtes nucléaires futures. Le CEA a fait la recherche et développement (R&D) : il a mis au point le matériau et défini la manière de le fabriquer, ainsi que l'instrument nécessaire. Il a ensuite transféré ce savoir-faire et la machine à un industriel. Il va enfin financer celui-ci pour qu'il industrialise le procédé et réalise la série pour les armes. Le savoir-faire acquis pourra ainsi être mobilisé pour d'autres utilisations que la défense ou la dissuasion.

Un autre exemple est celui du miroir M1, utilisé dans le LMJ, qui est capable de se déformer et donc d'assurer la correction de toutes les ondes de lumière qui devraient marcher à la même vitesse – pour reprendre la comparaison que j'ai employée tout à l'heure – dans le faisceau laser. Là encore, le CEA a mis au point ce miroir, pour un coût complet – personnel, taxes et fournitures – de R&D de l'ordre de 3 millions d'euros. Il a ensuite transféré le savoir-faire à une PME, Alsyom, qui a industrialisé le procédé et produit le miroir pour le CEA, pour un montant total de 20 millions d'euros.

Par ailleurs, nous pouvons aussi relever l'exemple de l'ordinateur Tera, que le CEA a fait fabriquer par Bull. Le CEA a spécifié quelles capacités devaient avoir les puces et les circuits électroniques de l'ordinateur, aidé le constructeur à faire des choix et évalué le prototype construit par celui-ci. Le coût total de R&D, partagé avec Bull, a été de l'ordre de 20 millions d'euros. La machine a ensuite été réalisée par l'industriel. Son coût unitaire est de l'ordre de 60 millions d'euros. Une fois le savoir-faire acquis, Bull a pu vendre dans le monde 25 ordinateurs fabriqués à partir de la même technologie, créer 250 emplois permanents et réaliser un chiffre d'affaires annuel d'un peu moins de 200 millions d'euros.

La DAM a développé une stratégie pour créer des écosystèmes de diffusion des savoirs et de la technologie autour des centres. Afin de produire des ordinateurs comme Tera en France, nous avons créé une sorte de pépinière d'entreprises ou de terrain favorable autour du centre de Bruyères-le-Châtel, qui réunit à la fois les entreprises informatiques capables de produire ces ordinateurs, des chercheurs et des universitaires pouvant faire progresser les industriels et les mathématiques, et des utilisateurs qui doivent transformer leurs applications pour les rendre capables d'utiliser ces ordinateurs.

Autre exemple, celui de la « Route des lasers » – que M. Rousset connaît bien – en Aquitaine. La région Aquitaine et l'État ont décidé d'accompagner le très grand investissement qu'est le LMJ, avec des partenaires régionaux – le conseil régional, le conseil général de la Gironde, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), des communautés de communes ou encore l'université de Bordeaux I… Une société d'économie mixte (SEM) a été constituée pour soutenir et accueillir les industriels. Nous avons développé la recherche, en particulier en créant avec le CNRS, l'université de Bordeaux I et l'École Polytechnique un laboratoire dédié, le Centre lasers intenses et applications (CELIA), ainsi que l'Institut lasers et plasmas (ILP). Nous avons mis en place un organisme de transfert technologique, AlphaNov, ainsi que des actions de formation dédiées pour ceux qui souhaitent utiliser les lasers, et une stratégie d'animation et de communication. Près de 1 400 emplois et 26 jeunes pousses ont ainsi été créés autour du LMJ, tandis que 22 sociétés se sont implantées en Aquitaine.

De même, nous avons lancé le projet « Alhyance » en région Centre. Il s'agit d'une application de nos savoir-faire dans le domaine du deutérium et du tritium – qui sont les isotopes fusibles de l'hydrogène. Dans ce projet Alhyance, l'hydrogène est en effet vu comme « l'isotope non radioactif du tritium ». Nous avons donc appliqué les technologies et les savoir-faire développés pour travailler le tritium à la fabrication de réservoirs à hydrogène embarquables et à la mise au point de procédés de fabrication que deux sociétés se sont ensuite appropriés. Une quarantaine d'emplois ont été créés, 47 brevets déposés et 21 thèses soutenues.

Le dernier exemple que je citerai concerne l'électronique. Dans les années 1985-1990, la DAM a eu besoin de définir pour ses futures armes une puce électronique – « cerveau de l'arme » – durcie aux rayonnements. De son côté, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) avait besoin pour le grand collisionneur de hadrons (LHC) d'un détecteur dont les puces avaient les mêmes besoins – puisqu'elles doivent résister aux rayonnements à l'intérieur du LHC. Le CEA a donc mis au point une filière d'électronique spéciale, qui est un nouveau procédé. Pour industrialiser ce dernier, nous avons encouragé la création de la société SOITEC (« spin off » du CEA), en mettant à sa disposition « l'implanteur » dans le silicium, autrement dit la machine qui permettait de réaliser la technologie dédiée, avec un cofinancement de la DGA et de la DAM. La production a été réalisée – pour les parties défenses – par la société ATMEL, en coopération avec SOITEC. Cette dernière diffuse aujourd'hui largement cette technologie. En 2012, elle employait plus de 1 000 salariés et a réalisé un chiffre d'affaires de 270 millions d'euros. Il s'agit d'une belle retombée des programmes de dissuasion et des programmes de recherche du CEA.

Dans un tout autre domaine, nous surveillons les essais nucléaires en écoutant les secousses dans le sol. Les savoirs et les moyens permettent aussi de détecter les séismes et d'évaluer la potentialité de provoquer des tsunamis. Cela nous permet – c'est encore une retombée positive – de piloter deux centres d'alerte aux tsunamis, dont l'un dans le Pacifique – qui a permis d'alerter la Polynésie lors du grand tsunami du 11 mars 2011, alors que la vague qui a traversé le Pacifique mesurait encore près de trois mètres à certains endroits de l'archipel. Suite aux séismes qui se sont produits en Méditerranée, nous avons également contribué, avec le Service hydrographique et océanographique de la Marine et le CNRS, à la mise en place d'un centre d'alerte en Méditerranée, avec un délai d'alerte de l'ordre du quart d'heure.

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