Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 17 avril 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Pour ce qui est de la livraison d'armes en Syrie, je ne voudrais pas que des propos qui ont pu être tenus ces dernières semaines ou ces derniers jours ni des miens aujourd'hui, vous retiriez le sentiment d'une contradiction. Le Président de la République a très bien résumé où nous en sommes. Si la situation actuelle se prolonge, on court au désastre, qu'il est donc légitime de chercher à éviter. Il faudrait que la situation évolue sur le plan politique, et la donne militaire peut être une composante de la donne politique. Nous y réfléchissons donc, pas seuls d'ailleurs, puisque toute décision devra être prise dans un cadre européen, avec une date-butoir fixée à la fin mai. Il existe des arguments dans les deux sens. En faveur d'une réaction permettant d'infléchir le cours des événements, militent le désastre humanitaire actuel – comment une puissance internationale de premier rang pourrait-elle se désintéresser d'un conflit qui a déjà fait plus de cent mille morts ? –, le risque très élevé de renforcement des éléments extrémistes et de déstabilisation de toute la région, mais aussi l'intérêt de déjouer les calculs de Bachar Al Assad. En sens inverse, on peut se demander s'il n'est pas illusoire de penser contrôler quoi que ce soit et si on ne risque pas de militariser encore davantage le conflit. Le problème est complexe : il faut notamment tenir compte de l'évolution de la situation sur le terrain. Mais soyez sûrs que le moment venu, notre pays tranchera.

Monsieur Myard, je comprends votre souci de mieux connaître l'Iran et de ne pas isoler ce pays. Mais il ne faut pas être naïf – ce qui n'est bien sûr pas votre cas. Quand des chercheurs français se rendent en Iran, des chercheurs iraniens se rendent parallèlement en France, qui n'y cherchent pas nécessairement ce que nous souhaiterions qu'ils y cherchent… La solution n'est pas tout ou rien, mais les pratiques iraniennes elles-mêmes interdisent de penser que c'est là en priorité que se joue le développement de la science française.

Mme Dagoma m'a interrogé sur l'influence économique de la France en Afrique. C'est moins notre influence qui décline que celle de la Chine qui grandit, serais-je tenté de lui répondre. La Chine, aujourd'hui deuxième puissance économique mondiale, qui, à la fois a énormément besoin de matières premières et possède des capacités de financement exceptionnelles, est très présente sur le continent africain. Son influence s'y accroît, comme dans le reste du monde. Pour autant, cela n'y explique pas à soi seul notre recul. Au Maroc, notre pays a été dépassé par l'Espagne ! Il nous faut donc être plus efficaces aussi bien dans notre organisation administrative que dans les pratiques de nos entreprises. Des initiatives doivent être prises – elles le sont – pour contrer cet affaiblissement.

Nous souhaitons qu'un accord de libre échange puisse être signé entre l'Union européenne et les Etats-Unis, pour autant que plusieurs conditions, vous les connaissez, soient respectées concernant les biens culturels, le secteur de la défense ou bien encore l'agriculture – sur ce dernier point, il s'agit moins de droits de douane que d'éléments non tarifaires comme l'absence d'OGM dans les produits ou la traçabilité alimentaire. Tous ces points devront être abordés pour définir le mandat de négociation.

Monsieur Terrot, si je vous répondais concernant la localisation de nos otages, cela supposerait tout d'abord que j'ai une certitude absolue. Ensuite, dire où, à mon avis, ils ne se trouvent pas donnerait une indication fâcheuse à leurs ravisseurs. Je vais donc vous décevoir en ne disant rien.

Monsieur Loncle, vous m'interrogez sur l'attitude des pays voisins du Mali, de la Mauritanie en particulier, d'où je rentre juste. J'ai pu y mesurer la détermination des autorités, très sensibles à nos préoccupations. Sous certaines conditions, le pays envisage de mettre à disposition de l'opération onusienne de maintien de la paix jusqu'à 1 800 hommes. Ses dirigeants sont conscients que l'insécurité entrave le développement économique de la zone. Ainsi le tourisme, qui s'était fortement développé en Mauritanie, s'y est-il effondré. De même, les entreprises sont de plus en plus réticentes à s'y s'installer pour exploiter les ressources minières, pourtant considérables, au vu des mesures de protection permanentes qu'il leur faudrait prendre.

Madame Ameline, la loi électorale malienne dispose que tous les Maliens, y compris ceux se trouvant à l'étranger, peuvent voter à l'élection présidentielle, sous réserve d'accord avec les pays concernés et si cela est possible sur le plan matériel. En revanche, les Maliens se trouvant hors du Mali n'ont pas droit de vote aux élections législatives. Pour les personnes déplacées, un système permettant de relier carte électorale et carte d'identité offre une solution.

La future MINUSMA sera une force de stabilisation, qui aura donc le droit d'utiliser la force dans certaines conditions que je ne rappelle pas. L'une des questions était de savoir quand débuterait cette opération de maintien de la paix. Il semble que l'on s'oriente, ce dont nous nous félicitons, vers un texte stipulant que le dispositif entre en vigueur « sauf si… », étant ici précisé que les hypothèses d'exclusion ainsi énoncées n'ont rien de subjectif.

Je dois m'exprimer après-demain devant la commission compétente du Parlement européen sur le Mali et la Syrie. S'il existait une politique européenne de défense, que vous êtes nombreux à souhaiter, cela se saurait ! Même si plusieurs pays nous ont aidés et si l'Union européenne en tant que telle nous aide, en finançant par exemple l'UETM, force est de reconnaître que notre pays a fait l'essentiel du travail. Certains, en France mais aussi ailleurs en Europe, se demandent pourquoi certains pays n'ont pas fait davantage. Ainsi va l'Europe actuellement, dirais-je. Nous sommes néanmoins sensibles à l'expression de toutes les bonnes volontés et accueillons bien volontiers toute aide.

J'ai toujours pensé qu'il nous fallait intervenir au Mali : la France était la seule à pouvoir le faire et si nous avions hésité, le Mali serait aujourd'hui un État terroriste – chacun en a convenu au Parlement, je vous en remercie. Mais, comme l'expérience d'autres interventions l'a montré, une armée extérieure ne peut pas stationner éternellement dans un pays. Il faut toujours prendre en compte les trois volets, indissociables, de la sécurité, de la démocratie et du développement. Un seul manque-t-il, et c'est l'échec assuré.

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