Intervention de Guillaume Sainteny

Réunion du 27 mars 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Guillaume Sainteny :

Je vous remercie pour votre invitation, M. le président. L'écofiscalité ou le rôle de la fiscalité dans la préservation de l'environnement sont effectivement propices à de nombreuses réactions. Afin de laisser le plus de temps possible aux questions, j'évoquerai rapidement les défauts de la fiscalité française par rapport aux politiques d'environnement, ainsi que trois points particuliers : le pôle énergie climat, l'artificialisation des sols et la biodiversité.

Les défauts de la fiscalité française sont à mon sens les suivants : il s'agit d'une fiscalité de rendement, et non une fiscalité écologiquement incitative qui modifierait les processus de production ou les modes de consommation ; son rendement est faible, car elle comprend de nombreuses niches, des taux réduits, des dépenses fiscales. Cette fiscalité s'apparente à un gruyère, si l'on me permet cette image, car les taux sont différents selon les catégories de produits taxés ; elle est complexe, donc inéquitable : les personnes qui connaissent bien le droit fiscal sont aptes à en tirer de nombreux avantages, au détriment des personnes moins informées. Sa complexité entraîne un coût de collecte très élevé, environ trois fois plus élevé que la moyenne des pays de l'OCDE. Elle est instable car elle souffre de changements à chaque loi de finances : les acteurs économiques ne bénéficient en conséquence d'aucun signal prix de long terme qui serait générateur d'un comportement écologique plus responsable.

De plus, il s'agit d'une fiscalité de l'offre, centrée sur la fourniture quantitative de biens et de services, plutôt que de réguler la demande. Si l'on prend l'exemple des transports, aucun dispositif ne favorise leur utilisation en heures creuses ou n'organise un report des modes de transport saturés vers d'autres modes ; le versement transport est orienté vers le financement de nouvelles infrastructures au gré des besoins, sans évaluation sociale ou écologique, puisqu'il s'agit d'un financement affecté. Enfin, elle n'intègre pas l'environnement alors que l'Union européenne rappelle l'importance de prendre en compte le développement durable dans toute politique.

Quelques exemples éclaireront ce débat. Quand le Gouvernement travaillait sur la taxe carbone, le rendement de celle-ci était évalué à 3 milliards d'euros sur la base de 17 euros la tonne de carbone. Dans le même temps, le Gouvernement réformait la taxe professionnelle, dont le produit était de 30 milliards d'euros. Personne n'a songé à « verdir » cette taxe alors que plusieurs de ses conséquences étaient dommageables pour l'environnement. Autre exemple : l'augmentation du taux de TVA sur la rénovation des bâtiments et sur les transports collectifs ne favorise pas la réalisation d'objectifs de développement durable.

Dans un autre domaine et à titre prospectif, le Gouvernement envisagerait d'étendre avec les futures lois de décentralisation le versement transport en province. C'est une bonne idée, mais comme ce versement est assis sur la masse salariale, il ira à l'encontre du choc de compétitivité souhaité et constituera une nouvelle charge pour les entreprises alors qu'il pourrait être calculé sur une base plus neutre, comme leur chiffre d'affaire ou, mieux encore, à partir des plans de déplacement en entreprise.

Le dernier point sur lequel je souhaite attirer votre attention est la fiscalité sur le foncier non bâti. La loi de finances pour 2013 a prévu, avec application à partir du 1er janvier 2014, une modification de la taxe sur les terrains non bâtis s'appliquant aux parcelles constructibles, qui est aujourd'hui assez basse. Si le taux de la valeur locative cadastrale est majoré de 20% et qu'il s'accompagne d'une taxe de 5 euros par mètre carré, le coût de l'hectare sera de 50 000 euros en 2014 et passera à 100 000 euros en 2016. Personne ne peut payer de pareilles sommes. Parallèlement, l'une des 20 mesures annoncées par le Président de la République lors de son récent déplacement en province me semble poser problème, à savoir la fin de l'abattement pour durée de détention des plus-values sur les terrains non bâtis, sauf en cas de promesse de vente. La conséquence est que tous ces terrains seront mis en vente pour échapper à l'impôt. Cette intention aura des conséquences sur les terrains classés U et AU. En Ile de France, 50 000 hectares agricoles et péri agricoles risquent d'être urbanisés. Cela signifie la disparition de l'agriculture de proximité, la fin des circuits courts entre producteurs et consommateurs, l'imperméabilisation des sols et l'augmentation du taux de CO2 dû à l'augmentation du transport des denrées alimentaires, en provenance de zones éloignées.

J'en arrive à la politique de transition énergétique et à ses effets sur le climat : à mon sens, la taxe carbone ne remédie pas au différentiel de prix et de taxation entre les différentes sources d'énergie et aux déductions dont bénéficient certaines catégories. La taxe carbone a une utilité si, après calcul du coût de l'externalité de chaque source d'énergie et de son taux de taxation, elle vient combler la différence pour orienter les comportements. Or, il suffit de rappeler les disparités de taxation de ces sources pour réaliser les limites de ce système : la tonne de supercarburant est taxée à 250 euros, le gazole à 160 euros, le fioul lourd à 6 euros, le gaz naturel combustible à 5 euros, le fioul domestique à 3 euros, le charbon à 3 euros également pour les entreprises. Le kérosène et le charbon à usage domestique ne supportent pour leur part aucune taxe. En conséquence, une taxe carbone à 32 euros ne corrige pas les effets environnementaux de ces disparités.

Il est un autre élément sur lequel je souhaite attirer votre attention. Nous affirmons souvent en France que l'électricité que nous produisons est la moins chère d'Europe. Il est vrai qu'elle est peu taxée. Son prix est deux fois moins élevé qu'en Allemagne dont les performances énergétiques sont toutefois supérieures aux nôtres. Le bas coût de l'électricité doit donc être relativisé si on le rapporte à l'ensemble de notre politique énergétique.

Cette électricité provient à 90% de sources non carbonées et à 10% de sources carbonées, ces dernières n'étant pas taxées alors qu'il s'agit d'énergies fossiles importées. Il n'y a donc pas de signal prix assis sur le carbone. Si l'on examine les sources non carbonées, l'on constate que l'énergie nucléaire est taxée, de même que l'eau pour le refroidissement des centrales ou encore les énergies renouvelables. L'hydroélectricité est également imposée, au titre du foncier bâti, y compris pour les passes à poisson. L'on voit mal dans ces conditions pourquoi détaxer les énergies fossiles qui permettent de fabriquer de l'électricité, alors que leur part est minoritaire dans notre bouquet énergétique. La majoration de la pression fiscale ne serait que marginale et n'aurait que peu de répercussion sur le prix de l'électricité. Le Président de la République souhaite que la France accueille en 2015 la conférence internationale annuelle sur le climat. Si notre pays conduisait cette réforme pour favoriser le développement durable, il serait plus à même de convaincre ses partenaires d'agir dans le même sens.

J'en reviens au gazole, pour souligner qu'il n'est pas sous-taxé – il subit au contraire de fortes taxes – mais qu'il est moins imposé que l'essence. L'objectif est de combler le différentiel de prix de manière à ne plus favoriser le gazole, nocif pour la santé. Une logique purement budgétaire conduirait à aligner d'emblée son taux sur celui du supercarburant, mais les obstacles politiques sont nombreux. Une autre solution consisterait à affecter un nouveau taux de taxation au gazole et au supercarburant pour que leurs prix se rejoignent. A titre de question complémentaire, il convient de s'interroger sur un taux particulier en faveur des professionnels. Utile économiquement, une telle mesure est dommageable pour l'environnement et pour la santé. Le rendement pour les finances publiques dépend de son élasticité. Il me semble en fait qu'il ne faut pas traiter ce sujet sous l'angle du carburant : nous avons en France un bonus-malus calculé uniquement sur le CO2 émis, mais qui ne tient pas compte des particules fines. C'est donc dès le moment de l'achat du véhicule que le consommateur est incité à choisir un moteur au diesel. Ce comportement est accentué par le régime de déduction de TVA, très favorable pour le propriétaire d'un véhicule utilitaire recourant au gazole (déduction à 100%) alors qu'un véhicule roulant au supercarburant ne bénéficie pas d'un tel régime.

Je souhaite maintenant vous alerter sur l'étalement urbain et l'artificialisation des sols. Notre pays bat un record en Europe avec 90 000 hectares par an. Nous avons longtemps été insouciants face à ce problème en raison de la faible densité de notre population mais une telle politique est intenable au regard des enjeux environnementaux et sociaux, restreint les espaces naturels et agricoles et empêche de réaliser la trame verte et bleue. Quelques propositions permettraient d'enrayer ce phénomène. La première consiste à réhabiliter les sols pollués, que nous négligeons actuellement, contrairement à un pays comme les États-Unis, où la densité de la population est pourtant plus faible qu'en France. La faible taxation de la détention d'un sol pollué n'incite pas à le réhabiliter ; la transmission d'un sol pollué est en revanche fortement imposée : il conviendrait en fait d'inverser les deux logiques et de majorer l'imposition d'un sol pollué, quitte ensuite à prévoir une fiscalité favorable pour les activités qui viendraient s'y implanter après réhabilitation.

Je terminerai avec la taxation de la biodiversité, en distinguant la biodiversité ordinaire et la biodiversité extraordinaire. Ce qui me frappe est que le foncier non bâti est bien plus imposé que d'autres biens. Cela conduit à ce que le rendement moyen annuel des valeurs mobilières soit d'environ 6%, celui de logements loués de 3 à 4% tandis que celui des espaces agricoles est à peine de 1%, soit une perte de valeur après inflation. La fiscalité incite à bâtir et non à conserver les espaces agricoles ou naturels. Pour changer cette situation, il faudrait augmenter les loyers ruraux (comme les fermages), mais c'est sans doute difficile pour des raisons politiques, ou l'on peut alléger la fiscalité des bailleurs de terres agricoles.

Je voudrais faire trois remarques concernant la biodiversité. D'abord, lorsque j'étais en poste au ministère de l'écologie, j'avais fait adopter deux réformes : l'exonération quasi-totale des droits de mutation à titre gratuit sur les espaces naturels bénéficiant de protections fortes (biotopes, zones Natura 2000, coeur de parcs nationaux), et le décalque du régime fiscal du patrimoine culturel sur celui s'appliquant au patrimoine naturel. J'ai toujours été frappé par le décalage qui existe entre ces deux régimes, sachant que la France reste la première destination touristique au monde, et que les deux premières motivations de nos visiteurs sont la richesse de notre patrimoine culturel et la beauté des paysages naturels.

J'avais obtenu que les gestionnaires de ces espaces naturels remarquables puissent déduire de leur revenu foncier les frais d'entretien et de restauration. Je rappelle qu'au titre de la directive « Habitats », nous avons une obligation d'entretien et de restauration de la qualité écologique de ces espaces, et qu'en cas de non-respect de celle-ci, nous encourons des condamnations de la Commission européenne. Plusieurs procédures sont d'ailleurs en cours. Comme cela existe pour les immeubles classés et surtout inscrits, j'avais également obtenu que ces déductions puissent se faire sur le revenu global, pour les propriétaires qui ne percevaient pas de revenus fonciers.

J'étais très content de ces réformes. Malheureusement, Bercy, quatre ou cinq ans après, et en plein Grenelle de l'environnement, « nuitamment » et avec l'appui de quelques sénateurs, a vidé cette mesure de son sens en la plafonnant à 18 % de 10 000 euros. Cela n'est absolument plus incitatif : je vous le signale parce que cette question revient en débat. Le dispositif que j'avais imaginé comportait deux filtres : un avis de la DREAL, sur lequel se fondait, sans la lier, la décision du ministère des finances, en fonction de l'intérêt du projet pour la collectivité, et un avis de la Fondation du patrimoine, qui accomplit un travail remarquable, dans les mêmes conditions que lorsqu'elle juge d'opérations portant sur le bâti. Les représentants de cette fondation, que j'ai rencontrés récemment, sont écoeurés : après avoir formé leurs délégués régionaux et départementaux à ce nouveau type d'expertise, ils envisagent de l'abandonner. En effet, les contraintes administratives pesant sur les propriétaires porteurs de projet sont telles que bien souvent, ils préfèrent se passer des 2 500 euros d'exonération et ne pas déposer de dossier.

La question des servitudes me paraît mûre pour avancer : comme vous le savez, en droit anglo-saxon, le droit de propriété peut facilement se démembrer, et l'imagination juridique est bien plus grande que la nôtre. Une entreprise, une fondation, une collectivité locale, une ONG peuvent acquérir non pas la propriété pleine et entière d'un terrain, mais une servitude, par exemple une servitude non aedificandi. Cela permet de démultiplier les moyens de protection, avec un rapport coût-efficacité beaucoup plus favorable. Le droit français n'autorise les servitudes que de façon très restrictive : il faut un fonds servant et un fonds dominant, ce qui implique la mitoyenneté des deux. Rien ne s'oppose à l'introduction dans notre droit de servitudes visant à la protection de l'environnement : il faudrait sans doute commencer par des espaces spécifiques, et j'en verrai bien le bénéfice octroyé au Conservatoire du littoral. Cela rejoint une observation faite à plusieurs reprises par la Cour des comptes, qui voyait dans cet outil juridique un moyen d'accroître ses capacités d'intervention. Il faudrait naturellement que les propriétaires en soient indemnisés, mais cela coûte moins cher qu'une acquisition, puisqu'il n'y a pas de transfert de propriété, et permet au public d'avoir accès à des espaces remarquables. Cette option permet également de laisser ouverte la possibilité d'une cession ultérieure en pleine propriété.

Je voudrais attirer votre attention sur l'actualité de la Corse, marquée d'abord par la révision du plan d'aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC), équivalent du SDRIF. Dans ce cadre, les communes dans leur globalité ont manifesté le souhait de doubler leur surface urbanisable, notamment pour satisfaire la demande de résidences secondaires et du tourisme, au détriment pour l'essentiel d'espaces agricoles. De plus, la décision du Conseil constitutionnel, portant sur la loi de finances pour 2013, et qui a mis fin au dispositif d'exonération des droits de mutation à titre gratuit, permet de faire deux choses : lancer une campagne de dation en paiement au profit du Conservatoire du littoral, ce qui n'avait pu jusqu'à présent être réalisé. Et, en arguant de la spécificité de la Corse, du caractère exceptionnel du littoral corse, de la richesse de sa biodiversité terrestre et marine, et des menaces qui pèsent sur lui, proposer que la dation en paiement puisse aussi, de façon temporaire - pendant cinq ou dix ans - être acceptée au titre du règlement de l'impôt sur les sociétés, y compris au bénéfice des SCI, et en particulier de celles qui sont imposables au titre de l'impôt sur le revenu. En dehors de l'intérêt écologique, il y a là un intérêt juridique, règlementaire et politique : compte de sa situation, l'île de beauté compte énormément de propriétés en indivision, les propriétaires indivis ne se connaissant bien souvent pas, pour avoir émigré en Amérique latine ou ailleurs il y a cent ou cent cinquante ans. Acheter un terrain sur place implique de retrouver tous ces propriétaires et de les mettre d'accord : cela reste souvent difficile, voire impossible. Bref, cette option permettrait de mettre un peu d'huile dans les rouages.

J'en viens à une dernière question qui vous concerne car vous êtes pour beaucoup d'entre vous élus locaux. Imaginons que le président Jean-Paul Chanteguet soit maire d'une commune littorale, qu'il décide de mener une politique de protection de son territoire extrêmement active et donc de ne plus rien construire, et que je sois moi maire d'une commune voisine, que j'ai entièrement bétonnée pour y édifier casinos, hôtels, marinas, galeries marchandes… Ma commune va connaître un afflux de touristes et d'activité économique, donc de recettes fiscales : taxe sur le foncier bâti, taxe d'habitation, cotisation économique territoriale, taxe sur les casinos, parkings payants, redevance d'occupation, de concessions de plage. Les touristes qui séjournent dans ma commune vont avoir envie de nature, car ils sont en vacances, et ils vont donc se rendre dans la commune du président Chanteguet pour profiter de son cadre de vie agréable et écologique. Le soir, ils rentreront chez moi pour consommer. Au bout d'un ou deux ans, le président Chanteguet me fera valoir que les touristes qui viennent de chez moi profitent de ses efforts de préservation du patrimoine naturel et me demandera donc de lui reverser une partie des recettes fiscales générées par eux. Je lui opposerai un refus, au motif que lui aussi pouvait « bétonner » sa commune.

Vous voyez bien que nous nous trouvons dans une situation qui est très injuste : le maire qui fait des efforts de protection de son environnement non seulement n'est pas récompensé mais il est pénalisé. Il faut absolument envisager une péréquation entre les communes qui tirent des recettes d'une artificialisation des sols et celles qui ne peuvent pas le faire. Le contexte me paraît porteur, du fait de l'imminence du dépôt du projet de loi dit « acte III » de la décentralisation, mais aussi du fait de la diminution du concours de l'État aux collectivités territoriales, qui permet d'envisager non de porter non un coup de rabot uniforme mais bien de récompenser les bons élèves et pas les mauvais. J'ai bien conscience du côté provocateur de ma réflexion, compte tenu des difficultés que vous connaissez sur le terrain.

Je prendrai deux exemples : en premier lieu, plus d'un quart de siècle après le vote de la loi littoral en 1986, plus de 50 % des communes n'ont toujours pas mis en conformité leur POS avec ses dispositions. Il y a là un petit sujet dans un État de droit : le fait que les communes qui ont fait l'effort d'une mise en conformité touchent autant de dotation globale de fonctionnement (DGF) que celles qui ne l'ont pas fait est peut-être questionnable. En second lieu, et même si le recul est moins long, il semblerait que les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) adoptés après la loi Grenelle n'en intègrent pas les nouvelles obligations en matière d'urbanisme. Un rapport du CGEDD doit sortit bientôt sur cette question.

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