Intervention de Benoît Muracciole

Réunion du 13 mars 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Benoît Muracciole, président d'Action sécurité éthique républicaines :

C'est un plaisir pour moi d'être auditionné par la commission des affaires étrangères, devant laquelle je n'étais pas revenu depuis février 2002.

J'aimerais tout d'abord présenter un bref historique de la campagne pour un traité international sur le commerce des armes, lancée en 2003 par les ONG et qui a débouché sur une dynamique vertueuse au sein de l'ONU.

L'idée de régulation des armes est apparue à la fin du xixe et au début du xxe siècle, avec la conférence de Bruxelles, puis le traité de Saint-Germain et le projet de la SDN. Il s'agissait alors de protéger les colonies. Ce rappel peut nous éclairer sur les problèmes de compréhension qui peuvent se poser aux ONG comme aux États. Car, aujourd'hui, le sujet n'oppose pas les ONG aux gouvernements, mais certaines ONG et certains gouvernements à d'autres.

C'est en 1982 que l'on a commencé à réfléchir au contrôle des armes. Chez Amnesty International, dont je faisais partie à l'époque, nous nous interrogions sur l'outil le plus adapté pour protéger et faire respecter le droit international humanitaire et les droits de l'homme. Constatant que les armes étaient impliquées dans plus de 90 % des cas de violation des droits de l'homme, nous avons donc jugé opportun de privilégier la prévention. Tel est le sens de notre travail : parvenir à un traité préventif, et non punitif ou d'interdiction. Le principe est donc à la fois très simple – pas d'armes pour commettre des atrocités – et très complexe : comment organiser la régulation de manière à susciter l'accord de la majorité des États ? Il s'agit de prévenir les trafics illicites et les graves violations des droits de l'homme. La colonne vertébrale du traité, qui demeure dans le texte adopté en juillet, est le principe suivant : les États ne doivent pas exporter d'armes s'il existe un risque prédominant que celles-ci servent à de graves violations des droits de l'homme ou du droit international humanitaire.

Jusqu'en 2006, on pensait, au sein de la grande coalition internationale des ONG dont ASER est membre, que les États n'étaient pas prêts à accepter une telle proposition et qu'il en résulterait une convention du type de celle d'Ottawa. Mais, en 2006 – moment historique –, quelque 150 États ont voté pour le traité et nous avons obtenu le coparrainage de 116 pays, ce qui était inédit dans l'histoire de l'ONU s'agissant de cette question. Autre précédent : les ONG étaient dans la salle ; j'y étais avec Didier Destremau, qui représentait Caritas. Depuis 2004, nous avons réussi à convaincre le gouvernement français de l'intérêt que présentait pour lui le fait de s'investir dans ce projet et, surtout à partir de l'Assemblée générale de 2006, nous l'avons aidé à en être l'un des moteurs.

À l'époque, la situation était simple : il s'agissait d'être pour ou contre un traité sur le commerce des armes. Aujourd'hui, l'on s'oppose sur le type de traité à adopter. Plusieurs États continuent de penser en termes d'interdiction, ainsi que certaines ONG même si elles parlent de régulation. Je suis tout à fait d'accord avec M. l'ambassadeur : du 18 au 28 mars, il ne sera pas question de négocier – comment le faire en neuf jours ? – mais de finaliser les négociations du mois de juillet. À cette fin, il faut aller à l'essentiel pour ne pas laisser aux États sceptiques ou opposés l'occasion de bloquer le processus. Nous avons besoin d'un texte qui soit une première pierre. Au rugby, quand il y a un temps fort, il faut marquer l'essai ; nous vivons aujourd'hui un temps fort que nous ne devons pas manquer. L'ONU obéit à des cycles de vingt ans. Si aucun traité n'est obtenu le 28 mars, nous risquons de repartir pour vingt ans.

Un second point essentiel est la vie du traité. Je songe tout d'abord à la liste des armes, qui n'est pas complète, qui n'est pas celle que nous, ONG, voulions, notamment s'agissant des munitions. Rappelons toutefois que les quarante plus gros exportateurs dans le monde – à l'exception de la Chine –, dont la France, la Russie et les États-Unis, sont parties à l'arrangement de Wassenaar, qui se fonde sur une liste beaucoup plus complète ; il leur serait difficile de faire varier leurs pratiques en la matière d'un traité à l'autre. Tel est aussi le sens du texte, sur le modèle de la position commune de l'Union européenne : peu à peu, en tissant des liens de confiance, en débattant, les États en viennent à une évaluation plus précise des risques d'usage.

En 2001, j'ai fait partie d'une mission d'Amnesty International en République démocratique du Congo, où cinq millions de personnes ont péri dans un silence assourdissant – et ce n'est pas terminé. Nous nous sommes rendus à Kisangani, théâtre de la guerre dite des six jours qui avait opposé l'Ouganda et le Rwanda l'année précédente ; parmi les armes et munitions que nous y avons récupéré, nous avons trouvé un obus de 104 millimètres fabriqué en 1975 par les Poudreries réunies de Belgique et utilisé en 2000 contre les populations civiles. Nous sommes alors parvenus à appeler l'attention des États sur le fait que les armes qu'ils vendaient de bonne foi – ce qui n'est pas toujours le cas –, ou sans en avoir suffisamment évalué les risques d'usage, peuvent être utilisées de cette façon cinq ou dix ans plus tard. C'est cette responsabilité des États que le traité consacre. C'est historique, et cela ne pourra qu'influencer les traités à venir. Aucun État ne pourra plus dire, comme l'a fait l'Italie au sujet de l'Algérie : « Je ne savais pas. » Sur ce point, nous ne céderons pas. Tous les États l'ont compris.

En ce qui concerne le processus à l'oeuvre à l'ONU, je rejoins l'analyse de M. l'ambassadeur. J'ajoute que, depuis 2001, date à laquelle j'ai commencé à intervenir à l'ONU, je constate une importante redistribution des rapports de force qui régissent les relations internationales. « Autrefois », m'ont confié les délégués africains, « nous courions après les États-Unis et la Chine pour tenter de les rencontrer ; la dernière semaine, ce sont eux qui nous couraient après ! ».

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