Intervention de Jean-Hugues Simon-Michel

Réunion du 13 mars 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Hugues Simon-Michel, ambassadeur auprès de la Conférence du désarmement :

Vous avez rappelé, madame la présidente, les principaux éléments de la procédure.

J'ajouterai que ce traité arrive sur une table rase juridique : à l'échelle mondiale, aucune règle universelle ne régit le commerce des armes. Il n'existe que des embargos décidés au cas par cas pour résoudre un problème particulier posé par le commerce des armes depuis ou vers certains pays. L'interdiction de l'importation et de l'exportation d'armes fait ainsi partie du régime de sanctions visant l'Iran. Quelques engagements politiques, et non juridiques, à faire preuve de transparence ont été pris depuis le début des années 1990 et un dispositif – également politique – d'incitation à coopérer à la lutte contre la dissémination des armes légères et de petit calibre a été mis en place. Si nous parvenons à conclure ce traité, la communauté internationale aura donc fait oeuvre novatrice : quand on part de zéro, toute avancée est un pas de géant. Il nous faudra nous en souvenir au moment d'apprécier le texte qui sera adopté.

Par ailleurs, aucun traité universel n'a été conclu dans le domaine du désarmement et de la maîtrise des armements depuis 1996, date du traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires. Les traités sur l'interdiction des mines antipersonnel, en 1997, et des armes à sous-munitions, en 2008, n'ont pas été conclus dans le cadre des Nations Unies et plusieurs pays ont refusé de participer aux négociations et, pour le moment, de signer le texte, dont les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde et le Pakistan. De ce point de vue également, un succès constituerait une avancée considérable.

Au niveau international, en revanche, certaines régions ont adopté un régime de contrôle du désarmement comportant des règles communes. La CEDEAO l'a fait en Afrique de l'Ouest pour les armes légères. Mais l'Union européenne se distingue par l'existence de règles portant sur tous les armements conventionnels et communes à tous ses Etats membres, qui forment un code de conduite devenue position commune – ce qui lui confère une valeur juridique – en 2008, sous la présidence française.

Voici quelle est, dans ses grandes lignes, la position de la France. Nous voulons un traité, et non, à la différence d'autres pays, un texte politique. Nous voulons que ce traité aborde clairement les deux dimensions du sujet : premièrement, la régulation du commerce légitime, d'État à État ; deuxièmement, la prévention du trafic illicite. Si la seconde est relativement consensuelle parmi les États membres, qui ne souhaitent pas prendre le risque d'armer des groupes rebelles ou terroristes, la première est plus sensible car elle engage la souveraineté des États ainsi que la paix et la sécurité au niveau interétatique.

Nous voulons que le champ d'application du traité soit le plus large possible. Un traité qui n'aurait pas inclus les armes légères et de petit calibre n'aurait pas eu de sens puisque ce sont ces armes qui font le plus de victimes dans le monde. Cette inclusion, désormais acquise, ne l'était pas avant la conférence de juillet et a représenté une concession majeure de la part de certains pays, dont la Chine. Nous estimons également que le traité doit porter sur les munitions. Des armes sans munitions ne sont pas utilisables ; en outre, s'il faudra beaucoup de temps pour éliminer le stock d'armes légères et de petit calibre qui circule hors de tout contrôle, notamment en Afrique, celui des munitions s'épuise et se périme s'il n'est pas alimenté. En somme, le texte doit couvrir tout le champ des armes non conventionnelles – mais aussi toute la chaîne des transferts, de l'exportation à l'importation. Naturellement, l'on n'attendra pas des importateurs qu'ils se contraignent mais qu'ils soient responsables de ce qui entre sur leur territoire. Il convient également de tenir compte des étapes intermédiaires dans les pays de transit et du problème du courtage.

Nous souhaitons enfin des critères exigeants, qu'il s'agisse du respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, de l'effet sur la paix et la sécurité internationales, du respect des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies ou de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Cela étant, c'est aux États qu'il incombera d'appliquer le traité et de prendre les décisions relatives aux exportations. En effet, le texte ne sera pas d'exécution directe : chaque État devra le ratifier puis adopter une législation nationale détaillée afin de le mettre en oeuvre.

Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur plusieurs aspects plus techniques mais importants, dont la transparence et le processus de suivi, lequel inclut des réunions régulières entre les États parties. Car loin de se réduire à un instrument juridique qui crée des règles, un traité est un mécanisme vivant dont l'application peut être améliorée.

Dans le même ordre d'idées, n'oublions pas que la plupart des grands traités sont courts. Le traité de non-prolifération nucléaire ne dépasse pas une à deux pages, selon la police de caractères utilisée, et ne comporte que dix articles. Sur ce modèle, nous devons parvenir à un traité incluant d'emblée tous les grands principes – dont il serait difficile de compléter la liste après coup –, plutôt que des stipulations trop détaillées, à propos desquelles il serait excessivement ambitieux et illusoire d'espérer parvenir à un consensus entre les 193 États membres de l'ONU.

Que s'est-il passé en juillet dernier et à quel stade de la procédure en sommes-nous aujourd'hui ? L'idée était d'aboutir à un traité lors de la conférence de juillet, et nous y étions presque : nous étions parvenus à un texte certes imparfait, mais qui convenait à la plupart des pays. S'il n'a pu être adopté, c'est officiellement parce qu'un pays, le premier exportateur d'armes, a dit avoir besoin de temps, non parce que la substance du traité lui posait un problème particulier mais afin d'en améliorer la rédaction du point de vue juridique. Tel est le sens de la déclaration écrite à laquelle il est parvenu à rallier de nombreux pays, dont la Russie et l'Inde. Selon les commentateurs, ce blocage de la négociation le dernier jour s'explique par le contexte politique que connaissait alors ce pays, qui s'apprêtait à vivre des élections générales – élection présidentielle et au Congrès – et qui a probablement craint que ce dossier n'interfère avec la campagne électorale. En effet, certaines associations se sont efforcées d'entretenir une forme d'amalgame entre le sujet qui nous occupe et la question, pourtant totalement différente, d'une éventuelle réglementation interne sur la détention des armes à l'intérieur du pays.

La résolution adoptée fin 2012 par l'Assemblée générale afin de convoquer la conférence finale n'a pas pour objet de rouvrir le dossier, mais bien de reprendre le travail là où il a été interrompu en juillet, avec le même texte et les mêmes règles de procédure.

Rien n'a changé concernant la position française sur les questions de fond. Il convient cependant de préciser que nous ne souhaitons pas rouvrir la boîte de Pandore, d'autant que quelques pays, certes peu nombreux, restent sceptiques et ne souhaitent pas nécessairement le succès de la conférence. Toutefois, nous sommes forts d'un soutien très majoritaire et qui s'étend à toutes les zones géographiques : l'on ne constate pas de clivage entre les Occidentaux et les non-alignés sur cette question.

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