Intervention de Jean Jouzel

Réunion du 13 mars 2013 à 10h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean Jouzel, co-rapporteur de l'avis du CESE sur la transition écologique :

J'ai participé à la commission Rocard et je regrette vraiment que la contribution énergie-climat n'ait pas été réellement actée à l'époque. Nous n'en serions pas là aujourd'hui et j'y suis vraiment attaché. Si on ne donne pas un prix au carbone, le piégeage et le stockage du gaz carbonique ne seront jamais compétitifs, puisqu'ils coûtent de l'argent sans rien rapporter. Ce qui me rend optimiste, c'est le rapport du GIEC qui montre que la transition est techniquement possible, que nous ne sommes pas obligés de rester accrochés aux combustibles fossiles. Techniquement, nous pouvons développer, au plan mondial, une économie sur les renouvelables. Le rapport dit clairement qu'en 2050, 50 % de l'énergie mondiale, électricité et chaleur, pourraient provenir de sources renouvelables. Mon avis personnel est qu'il faut, en plus, aller vers la sobriété et l'efficacité, car si l'on ne couvre pas l'ensemble des champs énergétiques, on n'y arrivera jamais. C'est parce que nous n'avons pas su faire cela que nous avons, en France, des consommations de pointe équivalentes à la consommation de la moitié de l'Europe, ce qui est ahurissant. Ce qui l'est plus encore, c'est que nous sommes en train de construire notre système énergétique sur cette base que nous avons nous-mêmes créée.

La recherche sur l'hydrogène, avec la méthanation, offre beaucoup d'ouvertures. Je suis aussi très sensible à la biomasse, sans doute en raison de mes origines bretonnes, ainsi qu'à toutes les énergies marines. Cela dit, les énergies matures dont nous parlons sont, pour le moment, l'éolien terrestre et le photovoltaïque. L'éolien en mer reste cher, mais on sait qu'on n'atteindra pas nos objectifs d'énergies renouvelables en 2020 sans développer l'éolien, terrestre comme marin.

Nous avons parlé du gaz de schiste plutôt en creux, disant que nous étions favorables à un effort de recherche dans tous les domaines, sans limitation. La discussion sur le sujet a été assez rude, car le gaz de schiste n'est pas un gaz naturel et il pose beaucoup de problèmes environnementaux. Je pense que le débat national actuel en traitera. En tout cas, il faut savoir qu'en cas de fuite, le gain par rapport au gaz naturel, au pétrole et au charbon serait totalement perdu.

Vous voulez connaître ma position personnelle sur le nucléaire. D'abord, travaillant au CEA depuis quarante-cinq ans, je ne suis pas un antinucléaire convaincu. Mais je suis aussi de ceux qui pensent qu'on doit accentuer le développement des énergies renouvelables et ne pas commettre l'erreur de mettre toutes les disponibilités en R&D sur le nucléaire. En 2050, quand 50 % de l'énergie mondiale seront issus de sources renouvelables, le nucléaire n'en représentera que 6 % au maximum. Si nous ne savons pas acquérir, comme est en train de le faire l'Allemagne, des compétences – y compris à l'exportation – dans le domaine des énergies renouvelables, nous aurons encore raté une marche de compétitivité. Il faut donc réserver une part de notre effort de recherche aux hydroliennes, aux énergies marines et autres. Ensuite, toutes les questions que suscite le nucléaire sont légitimes, tant celles touchant au coût que celles liées aux risques. Gardons en tête que, dans les vingt ou trente ans, tout accident nucléaire, par exemple dans une vieille centrale d'un pays de l'Est, signera la fin du nucléaire. C'est pourquoi je suis d'accord avec l'invitation que nous lançons à un débat ouvert et serein sur cette énergie. Si j'ai toute confiance et que la sécurité ne me pose pas de problème, je m'intéresse également de près au développement des énergies renouvelables. Je ne tiens pas à opposer les deux. Il y a beaucoup à faire, par exemple en matière de recherche sur les biocarburants de deuxième génération.

Le GIEC se soucie de la demande des décideurs politiques de projections à échéance relativement brève, de quelques décennies, et très régionalisées. Dans le cinquième rapport du GIEC, qui sortira en septembre, le chapitre « Projections » est scindé en une partie « Projections à court terme », plus régionalisées et avec beaucoup de cartes, et une partie « Projections à long terme », d'ici aux trois prochaines décennies et au-delà. Le groupe II s'est aussi scindé en deux gros ouvrages, dont l'un est réellement consacré aux aspects régionaux des impacts et de l'adaptation. L'inconvénient est que cette réduction d'échelle de temps et d'espace rend les projections scientifiques moins précises. Elle a donc ses limites. Si l'on a besoin de projections pour comprendre à quoi on doit s'adapter, encore faut-il s'y préparer. Je me suis engagé avec Dominique Meyer dans un rapport sur l'adaptation au réchauffement climatique, pas du tout pour remettre en cause le plan national d'adaptation dans lequel je me suis moi-même beaucoup investi, mais plutôt pour voir s'il se met en place correctement. L'adaptation doit être menée de front avec la lutte contre le réchauffement climatique. C'est ainsi que, dans le pourtour méditerranéen, il faudra se préparer non seulement au réchauffement, mais aussi à un problème de ressource en eau. Cela dit, il ne faut pas attendre trop de nous. On arrive à décliner quelques caractéristiques régionales qui rendent les problèmes du sud de la France distincts de ceux du Nord ou des régions montagneuses ou côtières, mais on n'ira jamais au-delà de ce que l'on sait.

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