Intervention de docteur Jean-Louis Montastruc

Réunion du 27 février 2013 à 9h30
Commission des affaires sociales

docteur Jean-Louis Montastruc, directeur du centre régional de pharmacovigilance de Toulouse :

Je représente également ici la Société française de pharmacologie et de thérapeutique, dont je suis le correspondant « pharmacovigilance ».

Comme l'a rappelé le docteur Mallaret, les effets indésirables des médicaments sont une pathologie extrêmement fréquente. Ils sont même responsables du plus grand nombre d'hospitalisations chaque année dans notre pays, 150 000 leur étant imputables. Plus de patients entrent à l'hôpital victimes d'effets indésirables médicamenteux que d'infarctus, de maladie d'Alzheimer ou d'autres maladies pourtant plus souvent citées dans les médias.

Le dispositif de pharmacovigilance repose en France sur un maillage régional – cette organisation a d'ailleurs été copiée dans beaucoup de pays. Les centres régionaux ont ainsi une triple mission.

Tout d'abord, détecter les signaux d'alerte. Ce n'est pas chose facile, comme on l'a encore vu récemment : pour passer d'une rumeur à un fait établi, il faut du temps. Cette détection repose sur les notifications spontanées, c'est-à-dire les déclarations effectuées par les professionnels de santé mais aussi désormais, je m'en réjouis, par les patients eux-mêmes. Les médecins et pharmaciens des centres régionaux travaillent à établir le lien causal entre les effets rapportés et le médicament incriminé. Ce maillage régional, garant de proximité, doit impérativement être préservé. Il ne suffit pas, comme l'ont prétendu certains grands professeurs parisiens retraités, « d'appuyer sur un bouton pour recevoir les signaux ». Il faut être au contact des médecins et des patients pour les repérer.

La deuxième mission des centres régionaux est d'évaluer et de quantifier les effets indésirables. La pharmaco-épidémiologie est aussi une dimension nouvelle de leur activité.

Leur troisième mission est d'assurer l'information tant des patients que des médecins, au plus près du terrain. À soi seul, cela justifierait leur maillage régional.

Un mot maintenant des pilules de troisième et quatrième génération. Contrairement à ce qui a été allégué, les événements rapportés les concernant ne témoignent nullement d'un dysfonctionnement de notre dispositif de pharmacovigilance car le signal d'alerte pour les contraceptifs oraux était connu, depuis 1995 au moins – je me souviens de réunions sur le sujet à l'Agence européenne du médicament voici plus de vingt ans. Ils révèlent en revanche une double lacune dans la sécurité sanitaire du médicament en France.

Première de ces lacunes : l'absence de structure d'information indépendante sur le médicament. Il y a certes les communiqués de l'ANSM, les bulletins des centres régionaux de pharmacovigilance, les articles de la revue Prescrire mais tout cela est, hélas, inaudible, noyé dans le bruit de fond émis par la toute-puissante industrie pharmaceutique dont l'information sur le rapport bénéfices-risques des médicaments est à tout le moins partiale. Il faudrait que les dispositions relatives à la visite médicale hospitalière de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament entrent en vigueur sans tarder. Bien qu'elles constituent une réelle avancée, elles ne sont encore appliquées dans aucun CHU.

Deuxième lacune : le développement des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (hors AMM), comme cela a été le cas pour le Mediator mais aussi l'anti-acnéique Diane 35. Les caisses régionales et la caisse nationale d'assurance maladie devraient travailler en partenariat avec l'ANSM et les centres régionaux de pharmacovigilance pour détecter ces prescriptions « hors AMM ». Il faudrait ensuite enseigner aux étudiants en médecine et rappeler aux médecins en exercice que la prescription hors AMM peut être dangereuse pour le patient – en psychiatrie, la moitié des prescriptions se ferait hors AMM ! Parallèlement, l'ANSM et l'agence européenne devraient se saisir du problème et délivrer une nouvelle autorisation de mise sur le marché quand cela se justifie.

Seuls 5 % à 10 % des événements indésirables liés aux médicaments seraient notifiés, alors même que les professionnels ont l'obligation de les déclarer aux centres régionaux de pharmacovigilance. Il est certes tenu compte de cette sous-notification dans les évaluations, mais la situation ne peut perdurer. Il faut de façon volontariste sensibiliser les professionnels à l'obligation de notification. Au-delà du rappel de la loi, il conviendrait de développer, à l'instar du Pharmacopôle Midi-Pyrénées qui sera prochainement mis en place, des réseaux d'attachés de recherche clinique (ARC) afin de recueillir les effets indésirables dans les hôpitaux et les cabinets libéraux. Des gratifications devraient sans doute être prévues et l'obligation de notification incluse parmi les critères retenus pour la certification.

L'objectif est d'éradiquer la sous-notification, notamment pour les médicaments récents et les effets indésirables graves. Il est facile de critiquer les instances de pharmacovigilance mais si les effets indésirables ne sont pas déclarés, comment pourraient-elles les inventer ? Les professionnels de santé et les patients doivent être nos partenaires.

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