Intervention de Philippe Vigier

Séance en hémicycle du 26 février 2013 à 15h00
Débat sur la sécurité sanitaire du médicament

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la sécurité sanitaire du médicament est progressivement devenue un véritable impératif de santé publique sous l'effet conjugué de drames sanitaires et humains et de la demande croissante de transparence de nos concitoyens.

En 1991, le scandale du sang contaminé faisait voler en éclat la confiance aveugle du patient en la fiabilité de la médecine et contribuait à ouvrir dans la douleur le vaste chantier de la sécurité sanitaire.

Les Français et les Françaises prennent alors subitement conscience qu'un accès facilité aux options thérapeutiques disponibles engage leur sécurité et que les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités afin de garantir la santé des usagers.

Vingt ans après l'affaire du sang contaminé, le drame du Mediator, dont on estime qu'il pourrait être à l'origine de près de 2 000 morts en France, vient démontrer que la sécurité sanitaire du médicament n'est toujours pas garantie et demande une vigilance permanente.

Des failles subsistent et démontrent régulièrement que les mailles de notre filet sont encore trop larges pour empêcher que des risques jusqu'à présent inédits ne se réalisent : l'incohérence des décisions du Gouvernement sur le déremboursement des pilules de troisième génération et ses hésitations coupables sur la pilule Diane 35, ainsi que vient de l'indiquer Mme Bérengère Poletti, en sont des exemples récents et marquants.

Hier encore, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé lançait sur son site une alerte sur les risques du détournement de l'anti-ulcéreux Cytotec, que certaines maternités utilisent pour déclencher les accouchements.

Le débat organisé sur l'initiative de nos collègues du groupe écologiste doit par conséquent être l'occasion de poser les bonnes questions et d'apporter des réponses concrètes et, je l'espère, consensuelles, afin d'améliorer la gouvernance de notre système d'évaluation et de contrôle du médicament.

Le médicament, mes chers collègues, n'est pas et ne sera jamais un produit comme les autres. Il est au coeur de la prévention, de la thérapeutique et de la guérison. Il est au coeur de la relation de confiance entre le professionnel de santé et le patient. Notre devoir est donc de conforter cette confiance et de faire en sorte que le médicament soit accepté et son usage compris par nos concitoyens.

Nous sommes en effet confrontés à un triple défi. Tout d'abord, les Français détiennent le record européen de la consommation de médicaments sans que cela se justifie par des indicateurs de morbidité ou de mortalité différents des autres pays. Ensuite, le lien qui unit les malades à leur médecin s'affaiblit progressivement avec la multiplication des alternatives thérapeutiques à la médecine et la désertification médicale. La confiance qui constitue la base de la relation entre un médecin et son patient en est nécessairement affectée. Enfin, cela a été dit, la montée en puissance d'Internet crée un climat de suspicion avec des patients surinformés, souvent désinformés.

La sécurité sanitaire du médicament n'est pas une problématique nouvelle mais un défi qui a déjà beaucoup mobilisé les uns et les autres, sur quelque banc qu'ils siègent dans cet hémicycle ; les gouvernements qui se sont succédé ont dû s'y atteler.

Au fond, c'est un sujet qui donne à voir le monde dans lequel nous vivons : la fulgurance du progrès technique et la rapidité avec laquelle il trouve une traduction marchande, l'intrusion d'Internet qui change comportements et usages, l'ampleur de vastes réseaux de production et de distribution dont la dimension dépasse largement les frontières et les compétences nationales, sont autant de questions auxquelles nous devons trouver des réponses.

Quand nous parlons de sécurité sanitaire et du médicament en particulier, le problème que nous avons à traiter est donc celui de la gouvernance. Une nouvelle gouvernance doit être imaginée et mise en oeuvre : elle doit permettre de préserver l'accès aux traitements les plus adaptés et les plus innovants et de garantir que les autorités sanitaires soient véritablement en capacité d'anticiper les risques futurs liés aux médicaments.

Nous nous inscrivons donc de ce point de vue dans un long cheminement, dont la première étape fut marquée par l'affirmation du rôle prépondérant de l'État dans la politique du médicament avec la création, quelques années seulement après les catastrophes causées par la Thalidomide et le Distilbène, de la Direction de la pharmacie et du médicament, à laquelle est rattachée la Commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments.

Adoptée à la suite du scandale du sang contaminé, la loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament desserre l'emprise de l'État sur les décisions concernant la sécurité sanitaire du médicament. L'État délègue ainsi à cette époque une partie substantielle de ses prérogatives à une agence du médicament. Le poids de l'expertise médicale se renforce alors pour mieux prévenir les dysfonctionnements.

Cette orientation stratégique est confirmée par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dotée des pouvoirs de police administrative en matière de produits de santé destinés à l'homme et d'expertise scientifique est ainsi créée.

La loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie complète ces avancées successives en créant la fameuse Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique qui coordonne les missions de plusieurs agences.

C'est dans ce contexte que survient le scandale du Mediator, qui met en exergue l'inefficacité du système d'évaluation et d'autorisation de mise sur le marché des médicaments. Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales de janvier 2011 sur le sujet montrait qu'il y avait des efforts considérables à accomplir dans ce domaine.

Face à ce drame, le gouvernement précédent n'est pas resté les bras croisés : le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté sous l'impulsion de Xavier Bertrand, constituait me semble-t-il une réforme majeure. Il visait à améliorer la gouvernance, la transparence et l'indépendance de notre système de sécurité sanitaire ainsi que la coordination de ses acteurs, à consolider un dispositif de pharmacovigilance jugé comme l'un des plus performants en Europe, à mieux former et informer les professionnels de santé, à réévaluer régulièrement la balance des bénéfices et des risques de l'ensemble de la pharmacopée, à mieux identifier les responsabilités des laboratoires, des professionnels de santé et du politique, enfin à remettre les patients au coeur du système.

Cette réforme a permis de rendre plus transparente notre système de sécurité sanitaire. Il appartient à l'ensemble de la représentation nationale de poursuivre le travail ainsi engagé et d'assumer nos responsabilités.

L'enjeu, vous l'avez compris, est vital et nous ne pouvons pas attendre, nous ne pouvons pas nous permettre le statu quo alors que la santé des Français et des Françaises est en jeu.

Dans cette perspective, le groupe UDI souhaite saisir l'opportunité de ce débat pour mettre sur la table quelques propositions.

Madame la ministre, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a donné ces derniers temps la très désagréable impression d'être non pas devant les événements mais derrière eux. Or, être derrière les événements est une cause importante d'accidents. Les pilotes, pour ceux qui connaissent la pratique aérienne, disent qu'avoir l'esprit derrière l'avion peut être mortel. Les modalités de déclaration des différentes vigilances méritent par conséquent d'être simplifiées et unifiées pour rendre le système plus performant.

Il me semble nécessaire que les autorités sanitaires puissent mieux contrôler et évaluer les prescriptions hors autorisations de mise sur le marché et, de manière générale, développer l'évaluation post-autorisation de mise sur le marché afin de circonscrire les risques susceptibles de survenir entre-temps. Gérard Bapt le disait : nous devons, de toute façon, travailler dans un cadre européen, car le cadre français est trop restreint.

Le second point sur lequel je souhaite insister concerne l'expertise. Il n'est d'expertise que de femmes et d'hommes : chacun sait que l'expertise nécessite une gestion efficace des ressources humaines. Les agences nationales devraient donc bénéficier d'un quasi-statut des personnels. En contrepartie, il apparaît nécessaire que les mobilités fonctionnelles soient mises en oeuvre de façon positive. La politique de ressources humaines du ministère de la santé et de ses agences serait ainsi plus prospective et plus attentive aux enjeux de la santé et de la sécurité des soins, ainsi qu'à leurs évolutions constantes.

Troisièmement, les travaux sur l'expertise interne et l'expertise externe, et la connaissance que ces travaux nous apportent à propos de la sécurité sanitaire du médicament, doivent servir de base à des avancées pratiques. L'expertise interne doit être indépendante des fabricants. Dans le domaine des médicaments, l'expertise interne à l'agence ne doit pas être trop centrée sur la seule pharmacie, et doit s'étendre à plus de médecins au sein de l'ANSM. Le quasi-statut permettrait de recruter de médecins de valeur, ce qui permettrait d'enrichir l'expertise et d'en conforter la légitimité. Il me semble également que l'expertise externe mériterait d'être doublée sur les questions les plus importantes.

Quatrièmement, la sincérité des rapports de pharmacovigilance des laboratoires pharmaceutiques ne peut plus se concevoir d'une manière restrictive. Elle ne peut consister en la description exacte, ligne à ligne, des effets indésirables relevés pour les produits de santé. L'analyse des événements doit donc être complète et sincère, et cette sincérité doit être régulièrement vérifiée ex post.

Enfin, je veux souligner que tous les accidents sanitaires survenus récemment concernaient des médicaments dispensés sur prescription médicale. À mes yeux, le constat est clair : l'information objective des médecins est insuffisante et la formation continue médicale a pris un retard fautif. Ce point est crucial.

Vous l'aurez compris, la sécurité du médicament va de pair avec la sécurité prouvée des pratiques médicales et des prescriptions. Le système que nous mettons en place dans notre assemblée, en lien avec le Sénat, concernant la biologie médicale, repose avant tout sur un système reconnu internationalement d'évaluation par les pairs. Cette réflexion avait débuté dans un cadre national avec la création de la Haute autorité de santé. Il convient à présent de réfléchir à un renforcement des modalités d'évaluation de la qualité des pratiques médicales.

La prise du médicament sur prescription débute avec la prescription. Toutefois, soyons des bâtisseurs pragmatiques. Le renforcement des exigences vis-à-vis des médecins doit s'accompagner d'une meilleure reconnaissance de leur métier, pour que les jeunes continuent à s'engager dans cette profession.

Nous avons donc besoin de mener une réflexion large et cohérente. Dépenser mieux sans dépenser plus, de manière plus efficace et plus efficiente : telle est aujourd'hui la nécessité en matière de santé.

En conclusion, ce débat est utile et même indispensable. Je souhaite que les propositions formulées par chacun des groupes parlementaires – elles sont riches – constituent une partie du socle sur lequel nous pourrons construire ensemble, je l'espère, une sécurité sanitaire du médicament plus efficace. La santé des Françaises et des Français en dépend. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

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