Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 25 juillet 2012 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Serge Lepeltier :

Madame Gaillard, vous avez estimé que j'étais pessimiste quant au respect des objectifs. Le pessimisme empêche d'avancer. Or ma nature me porte plutôt à considérer que les négociations avancent et que, même si c'est trop lentement, la prise de conscience progresse, y compris pour les pays les moins avancés et pour les pays émergents, qui ont compris qu'on ne pourrait pas rester sans rien faire. La Chine, par exemple, est bien consciente qu'elle doit agir, pour son économie, pour la vie quotidienne de ses habitants, car le charbon n'induit pas seulement le changement climatique, il contribue à une pollution de proximité extrêmement forte. Certes, Doha sera une conférence de transition, mais toutes les conférences des Parties n'ont pas été des références. Le plus important, c'est que la prise de conscience des divers pays ait bien eu lieu.

Vous avez eu raison d'évoquer la question de la démographie, car le sujet n'est jamais évoqué. La population mondiale comptera bientôt de neuf à dix milliards d'individus. L'Afrique est le continent dont la démographie évolue le plus rapidement. Il est évident que les questions d'énergie vont s'y poser avec acuité, et c'est pourquoi je disais que le processus d'accès à l'énergie propre y est très important. Si nous laissons s'y développer des accès à l'énergie traditionnels, les émissions de gaz à effet de serre ne cesseront d'augmenter en proportion de la croissance démographique.

Vous m'avez également demandé si Paris et Berlin étaient sur la même longueur d'onde. Vous avez compris qu'ils ne peuvent l'être tout à fait sur un sujet énergétique : le fait que l'Allemagne ait décidé de se passer totalement du nucléaire, en particulier, est une différence fondamentale. Toutefois, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, nous avons une grande proximité en ce qui concerne la fixation du niveau des émissions ou la méthode à suivre.

Vous avez demandé s'il était opportun, du point de vue de l'image, de réunir une conférence à Doha. Certains pays se sont en effet interrogés à ce sujet. Pour ma part, je ne regrette pas la décision qui a été prise, car le pays qui reçoit – en l'occurrence le Qatar – préside des groupes de travail et est impliqué dans les négociations. Lors d'une récente réunion au niveau ministériel à Berlin, que coprésidaient l'Allemagne et le Qatar, nous avons pu constater que le responsable qatari était complètement investi dans le sujet. Le pays qui reçoit n'a pas intérêt à ce que la conférence des Parties échoue. Ainsi, l'année dernière, l'Afrique du Sud, pays émergent, s'est sentie investie d'une mission et, désireuse de voir la conférence de Durban se conclure par un succès, a entraîné à sa suite le groupe des pays BASIC dont elle fait partie avec le Brésil, l'Inde et la Chine.

En effet, le changement climatique a des conséquences importantes sur les ressources en eau. Les deux grands sujets concernant les financements sont la question de l'atténuation du changement climatique, c'est-à-dire la limitation des gaz à effet de serre, et celle de l'adaptation. Or le premier thème de l'adaptation sera l'eau. J'ai présidé le processus « Autorités locales et régionales » du Forum mondial de l'eau et je n'ignore pas l'importance du sujet. Toutefois, je peux dire, à titre personnel, que la France, pays tempéré, ne devrait pas connaître de problèmes d'approvisionnement en eau, si elle sait gérer la ressource. Mais, si elle fait du maïs là où il n'y a pas d'eau, il est évident qu'elle connaîtra des problèmes. Le tout est de bien organiser l'implantation des cultures. Je n'ignore pas que cela déplaît à certains agriculteurs et à certains parlementaires élus de circonscriptions très rurales : nous devons néanmoins faire des efforts de pédagogie en la matière. Il faut que notre système agricole évolue. Je sais ce qu'il en est, car mon département est très céréalier, ma ville a été touchée par des problèmes de nitrates et je n'ignore pas que le niveau des nappes phréatiques baisse, mais, si nous savons gérer cette question dans le moyen et dans le long terme, nous n'aurons pas de problèmes de quantités d'eau.

La France a adopté, il y a un an, un plan national d'adaptation au changement climatique qui comporte des mesures spécifiques pour l'eau. Je peux dire, en tant que président du comité de bassin de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, qu'il est possible de faire des retenues d'eau, mais pas pour irriguer les champs de maïs dans des régions qui manquent d'eau. Il faut prévoir une évolution des types de culture. Permettez-moi enfin de vous dire, en tant qu'ancien député d'une zone très rurale, que les parlementaires ont à jouer un rôle pédagogique, qu'ils ne doivent pas être à la traîne de tous les groupes de pression et qu'ils doivent expliquer les enjeux et répandre les idées.

En ce qui concerne le Fonds vert et les effets d'annonce, il faut en effet de la transparence. Du reste, le site internet de la CCNUCC explique fort bien les actions menées dans le cadre du fast-start. C'est un début, mais, j'en conviens, la transparence doit être renforcée.

Il a été dit, à juste titre, que la biodiversité était un sujet un peu négligé par les débats. C'est la France qui a pris l'initiative de créer un GIEC de la biodiversité, à l'occasion d'une grande conférence présidée, à l'UNESCO, par le Président de la République de l'époque. De même, elle va contribuer à renforcer le lien entre les questions climatiques et celles touchant à la biodiversité : il s'agit là de l'un des principaux objectifs du ministère.

M. Albarello a évoqué une pétition portant la signature de 31 000 scientifiques – ou prétendus tels – affirmant qu'il n'y a pas de changement climatique. Il pourrait bien y en avoir 50 000 que cela ne prouverait rien ! Tout démontre au contraire la réalité du changement climatique. Le GIEC est un groupe de savants qui débattent entre eux, qui ne sont pas d'accord sur tout. Il ne publie que ce qui est accepté par l'ensemble de ses experts. Certes, ses rapports ont pu comporter quelques erreurs, notamment sur les glaciers de l'Himalaya, mais, bien que le GIEC les ait reconnues, tous les lobbies américains, sautant sur l'aubaine, ont amplifié l'information sur Facebook et autres sites afin de décrédibiliser le GIEC. Nous sommes en relation permanente avec cet organisme. Pour ma part, j'ai une relation directe avec son président, M. Pachauri. Ces experts ne sont pas des lobbyistes, ce sont des savants qui veulent vraiment comprendre. Ils n'ont pas inventé le changement climatique pour faire avancer le GIEC.

Du reste, à l'issue d'une réunion de tous les scientifiques, voulue par le ministre de l'époque, la personnalité française qui s'est le plus battue contre l'idée même du changement climatique a signé le rapport en reconnaissant la réalité. Il faut se montrer sérieux vis-à-vis de la population. Sans doute, nous-mêmes n'en subirons pas les conséquences, mais il faut penser à ce que vivra la France dans cinquante ou dans cent ans.

M. Sermier, il existe à l'université de Brest – où a eu lieu, il y a un peu plus d'un an, une réunion du GIEC – un observatoire spécialisé dans la surveillance du niveau des mers. J'ai rencontré ses responsables scientifiques qui sont les premiers à confirmer la réalité de la menace. Certains constats sont irréfutables : les plages d'Aquitaine diminuent d'un mètre par an en longueur et on évacue déjà certains bâtiments situés en bord de mer.

On peut, en effet, s'interroger sur le prix de la tonne de carbone dans le cadre des marchés de quotas pour les entreprises : que se passera-t-il s'il est trop bas ou, à l'inverse, s'il est trop élevé ? Dans le rapport que j'évoquais tout à l'heure, j'avais étudié les différents outils économiques et fiscaux pour lutter contre le changement climatique. Il est délicat d'imposer des quotas dans les secteurs très ouverts sur l'international : il faut que ces quotas ne concernent pas que la France, qu'ils soient internationaux. Or, aujourd'hui, les quotas ne fonctionnent réellement qu'au niveau européen. Le précédent gouvernement a défendu l'idée d'une taxe à l'importation, qui serait certes très compliquée à mettre en oeuvre dans le cadre des règles de l'OMC. Mais d'autres secteurs, tel le bâtiment, ne sont pas très ouverts à l'international. Il s'agit de trouver un équilibre entre, d'un côté, un système des quotas d'émission très libéral et un système de taxe carbone qui pourrait toucher des secteurs beaucoup plus domestiques, moins ouverts sur l'extérieur.

Le cas de la production de ciment a été évoqué. En effet, la question est plus complexe pour cette industrie, car, pour des raisons physiques, la transformation de la matière première en ciment émet un certain pourcentage de gaz à effet de serre qu'il est impossible d'éviter. Une importante usine de ciment est installée dans mon département et j'ai moi-même travaillé dans ce secteur, que je connais très bien. Bien sûr, il ne s'agit pas de le tuer, mais des efforts ont permis des diminutions considérables de consommation d'énergie, qui se traduisent par des diminutions de coût. Il faut être prudent, cependant, et ne pas aller trop loin, sinon nous n'aurons plus que du ciment de Turquie.

Mme Errante, je vous signale que la France s'est beaucoup battue, à Durban, pour que l'agriculture ait toute sa place dans la négociation. Un groupe de travail a été constitué. Certains pays y sont très opposés, et le Brésil freine de toutes ses forces sur ces questions. Mais il est très important de faire comprendre qu'un travail sur l'atténuation des effets du changement climatique sur l'agriculture peut être bénéfique pour elle.

On peut, en effet, se poser la question, éminemment politique, de savoir pourquoi nous devrions faire quelque chose si la Chine n'agit pas et si l'Inde ne fait rien non plus. Essayons toutefois de ne pas nous dédouaner. Si vous considérez le douzième plan quinquennal en cours d'application en Chine, vous constatez que les Chinois ont parfaitement intégré l'idée qu'il fallait limiter la consommation d'énergie. L'Europe compte 500 millions d'habitants. En engageant des politiques ambitieuses dans ce domaine, elle oblige le monde industriel à évoluer dans le même sens. Lorsque les usines d'un grand groupe sont obligées de consommer moins d'énergie pour respecter les règles européennes, elles transmettent ces règles à d'autres unités de production dans le monde. Si nous sommes les premiers à agir – ce que certaines entreprises considèrent comme un handicap et qui est au contraire un atout –, nous entraînerons le reste du monde, y compris les entreprises américaines qui, elles aussi, lorsqu'elles veulent s'implanter sur le marché européen, sont obligées de respecter les règles européennes. C'est ainsi que nous pouvons les entraîner vers des actions positives pour la lutte contre le changement climatique.

La question des gaz de schiste et de l'indépendance énergétique est un enjeu politique majeur. Comme nous ne pouvons guère nous attendre à des avancées importantes dans les années à venir, il nous faut passer par le multilatéral pour fixer des contraintes qui limitent globalement les émissions de gaz à effet de serre, qui incitent à se tourner vers des énergies moins émettrices. Le sujet est international : le Canada dispose d'importantes ressources, notamment en Alberta, comme les États-Unis. Je n'ai pas retiré de mes conversations avec les représentants de ces différents pays le sentiment qu'ils imaginent de limiter leur production de gaz de schiste ou d'autres gaz bitumineux. Il nous faudra donc limiter les émissions globales, car les pays n'accepteront pas d'être contraints dans leur politique énergétique.

M. Leroy, la technicité de votre question sur les deux annexes et sur la possibilité de créer une troisième annexe démontre votre connaissance du sujet. Tous les négociateurs pensent qu'il faut sortir de la catégorisation des pays et qu'un accord global doit concerner tous les pays. Toutefois, si les catégories de pays devaient perdurer, il ne pourrait plus y en avoir que deux ; il faudrait qu'elles ne soient pas figées pour vingt ans et que l'on puisse passer d'une catégorie à l'autre. Aujourd'hui, la Chine émet plus de gaz à effet de serre par tête d'habitant que la France. Or la Chine compte 1,36 milliard d'habitants. Dès lors qu'elle émet davantage de gaz à effet de serre que la France, elle figure dans la non-annexe I. Il faut introduire de la flexibilité dans le système. Il s'agirait plutôt de renoncer aux catégories et de se reposer sur le système des indicateurs d'émission par tête d'habitant ou par PNB, et que les engagements soient pris en fonction de cela.

Est-ce le consensus ou l'unanimité qui prévaut dans les négociations ? Il se trouve qu'un pays s'est opposé à l'accord de Cancún : on a pourtant considéré que, juridiquement, le consensus était valide. Toutefois, personne ne sait ce qu'implique le consensus en termes de pourcentage. On peut imaginer qu'il reste valable si d'autres pays s'opposent à l'accord, mais combien et lesquels ? Si le premier pays du monde en termes d'émissions ne l'acceptait pas, on ne pourrait plus parler de consensus.

On peut imaginer une coopération renforcée entre groupes d'États, dont la taxe carbone est le meilleur exemple, dans le cadre du paquet Énergie-climat de l'Europe. J'ai évoqué les accords d'aide que nous avons passés avec certains pays, et notamment de l'initiative Paris-Nairobi prise par la France et le Kenya : il faut la renforcer et la prolonger.

Il est vrai que la question de la réciprocité entre les pays se pose à propos de la taxe carbone. De même, il ne sera pas facile de mettre en oeuvre la taxe aux frontières. Mais, là aussi, nous ne devons pas nous empêcher de mener une politique sous prétexte que tous ne les pays ne le font pas. Il faut toutefois voir à quoi s'appliquent les taxes à l'importation : si c'est sur des chemises venant de Chine, cela peut créer des problèmes de pouvoir d'achat.

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