Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du 21 février 2013 à 15h00
Contrôle et simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme beaucoup d'entre vous ici, j'ai exercé des mandats locaux en tant qu'adjointe au maire de Saint-Denis de La Réunion et présidente de la communauté intercommunale du Nord de La Réunion. Je mesure l'intérêt du texte que nous examinons aujourd'hui, qui vise à simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales.

Nous savons en effet que la France est un État de droit, de tradition jacobine, centralisatrice, bien antérieure à la fondation de notre République.

Nous avons voulu, tous ou presque, lancer un grand mouvement de décentralisation qui, s'il a commencé sous Mitterrand avec les lois Defferre, s'est poursuivi sous Chirac avec la réforme de 2003, malgré les lacunes de celle-ci, qui pèsent durablement sur les finances de nos collectivités. C'est donc, chers collègues de l'opposition, un projet que nous avons eu en commun, si ce n'est dans la lettre, au moins dans l'esprit. C'était un attachement à nos territoires qui nous a poussés, tous, à vouloir renforcer au nom de l'efficacité les pouvoirs de nos collectivités territoriales.

Ce faisant, nous avons entraîné les pouvoirs publics dans des domaines encore inexplorés et avons constitué le désormais fameux « millefeuille administratif ». À bien des égards, nous aurions rencontré de grandes difficultés dans l'administration au jour le jour de nos collectivités si nous n'avions pas bénéficié de la grande plasticité du droit administratif, qui a su s'adapter malgré tous les mauvais traitements que nous lui avons fait subir en raison de son caractère prétorien. Mais cela a ses inconvénients puisque, tiraillées entre des partages de compétences parfois peu clairs entre personnes publiques, les changements de jurisprudence et une inflation normative encore aujourd'hui mal maîtrisée, les collectivités locales ont fait les frais du brouillard juridique dans lequel nous les avons maintenues.

La fin de la tutelle administrative des préfets sur les exécutifs locaux, et en particulier la mise en place d'un contrôle de légalité des actes a posteriori par les lois Defferre, ont fait peser sur les collectivités la responsabilité de l'éventuelle illégalité des actes administratifs adoptés par elles. Le contrôle a posteriori, c'est d'abord, en effet, le référé préfectoral, cet instrument qui permet aux préfets de poursuivre devant les tribunaux administratifs les collectivités pour les actes qu'ils pensent illégaux. C'est là une responsabilité énorme qui a été transférée aux collectivités par l'État, puisque les collectivités se voient exercer un contrôle qui ne pesait pas sur l'État tout en n'ayant pas les moyens de ce dernier.

En effet, malgré le développement de l'administration territoriale dont je suis moi-même issue, les collectivités, notamment les plus petites, n'ont pas l'expertise juridique de l'État. Et pourtant, elles en auraient besoin, car leurs missions se sont développées au fil des années, incluant des pans entiers et nouveaux d'activité, donc de normes à concevoir et de risques juridiques liés. Comment le maire d'une petite commune pourrait-il connaître toutes les subtilités de l'ensemble des compétences qui lui sont dévolues, alors que nous-même, législateurs, les modifions régulièrement ? Et ce maire bénéficie-t-il vraiment de la liberté d'administration qui lui est garantie par l'article 72 alinéa 3 de notre Constitution, si on ne lui donne pas les moyens de prévoir les conséquences juridiques – y compris, trop souvent, personnelles – de ses décisions ?

De fait, cette extension progressive de leurs compétences a eu un coût, difficilement chiffrable, en termes de personnel, de temps passé à décoder les arcanes des différents codes, d'assurances à souscrire en tant que collectivité ou parfois directement en tant qu'élu... Pour remédier à cela, nous avons – assez paradoxalement, d'ailleurs – promu les regroupements de communes sous diverses structures, afin de bénéficier des fameuses « économies d'échelle ». Mais, ce faisant, nous avons également rajouté un nouvel étage au millefeuille et un nouveau degré à la complexité juridique.

Loin de moi, cependant, l'idée que changer les normes soit toujours nocif. Il est en effet nécessaire de les faire évoluer pour tenir compte de problématiques nouvelles ou d'évolutions de la société. Je note ainsi que cette proposition de loi contient des dispositions ouvrant la possibilité de publier une part des documents administratifs par voie électronique, réforme attendue depuis longtemps par nos concitoyens. De même, les intercommunalités ont objectivement beaucoup fait pour l'efficacité de l'administration française et demeurent un levier d'action à privilégier dans le cadre de nos travaux sur la politique locale.

Simplement, il ne faut pas oublier que les collectivités ne vivent pas en vase clos. Les normes qui s'appliquent à elles ont des conséquences directes sur leurs administrés, y compris à ceux d'entre eux qui veulent s'impliquer plus dans la vie politique locale. La simplification des normes applicables aux collectivités, c'est donc aussi un travail de clarification du droit pour une plus grande transparence de la vie politique et administrative.

C'est en raison de cette double nécessité de sécurisation juridique des collectivités et de plus grande proximité avec nos concitoyens que nous ouvrons ce débat aujourd'hui. Nous ne devons pas, cependant, et malgré tout le respect que je porte au travail du sénateur Doligé, surestimer ses apports : la simplification du droit est un tonneau des Danaïdes. Nous nous y sommes souvent attelés au fil des années et avons toujours dû remettre l'ouvrage sur le métier.

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