Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Séance en hémicycle du 21 février 2013 à 15h00
Contrôle et simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier :

Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, je veux assurer à Mme Escoffier que je ne serai pas désagréable dans mes propos et que je respecterai ce que nous avons fait en Lozère, où vous êtes venue récemment. (Sourires.)

Nous devons examiner aujourd'hui, devant la représentation parlementaire, une proposition de loi émanant du sénateur Doligé. Malheureusement, cette proposition de loi a été très largement vidée de sa substance.

L'article 1er visait à consacrer le principe de proportionnalité des normes et de leur adaptation à la situation financière des collectivités locales. Il a malheureusement été rejeté par la commission des lois du Sénat. Le dispositif consistait à conférer au préfet le pouvoir de prendre des décisions visant à adapter les mesures réglementaires requises pour l'exécution des lois. Cette possibilité était ouverte dans deux cas : lorsqu'il apparaissait que la mise en oeuvre de ces normes se serait heurtée à des impossibilités techniques avérées, ce qui est fréquent, et lorsqu'elle aurait eu des conséquences manifestement disproportionnées au regard des objectifs recherchés et des capacités financières des personnes assujetties à ces normes.

La commission des lois du Sénat n'a pas adopté, comme je l'ai dit, cet article, malgré la bonne présentation qu'en avait faite Mme Jacqueline Gourault, au prétexte que poser un principe général n'est pas opportun en cette matière et qu'il convient d'en rester à un examen cas par cas.

En réalité, la commission des lois a opposé à cet article les mêmes arguments que ceux développés à l'encontre de ma première proposition de loi, elle-même rejetée le 11 octobre 2012 par la commission des lois de l'Assemblée nationale aux prétextes que le principe d'adaptabilité ne serait pas constitutionnel, que la ruralité serait un concept vague et que, de toute façon, il fallait attendre la future loi de décentralisation.

Or, si j'en crois l'avant-projet élaboré par le ministère de la décentralisation, il apparaîtrait « un principe général de proportionnalité des normes concernant les collectivités territoriales ». C'est curieux : si je le dis, cela ne passe pas ; si le Gouvernement le dit, il semblerait que ce soit constitutionnel.

En réalité, votre Gouvernement, mesdames les ministres, ne veut pas régler le problème, comme le souligne La Gazette des communes, des départements et des régions en parlant de « capharnaüm », de « lutte contre l'inflation normative qui crée des instances enchevêtrées ». Intéressant…

Et c'est pour cela que je me permets de revenir sur le contexte. On fait souvent remonter la prise de conscience de la prolifération des normes au rapport public du Conseil d'État de 1991.

Ce rapport établissait le constat suivant : la surproduction normative, l'inflation des prescriptions et des règles, ne sont pas des chimères, mais des réalités. De substantiels développements venaient étayer la démonstration.

Plus de vingt ans après, le constat est le même et se révèle particulièrement préoccupant pour les collectivités territoriales, comme le montrent le rapport de M. Claude Belot, le rapport de M. Doligé, le rapport que Yannick Favennec, Étienne Blanc, Daniel Fasquelle et moi-même avons rédigé. Au plan international, en 2010, une étude de l'OCDE avait été consacrée aux moyens permettant de mieux légiférer en France. Les États généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat le 5 octobre 2012 ont également souligné la nécessité d'alléger le poids des règles.

Dans cette même perspective, le Premier ministre a confié une mission à Alain Lambert et à Jean-Claude Boulard. Ceci étant, force est de constater que perdurent la prolifération, la logorrhée, certains ont parlé d'incontinence, la surproduction, les excès, le harcèlement textuel, l'étau normatif… Les chiffres sont éloquents : 8 000, 400 000 normes. Des normes complexes, des normes trop nombreuses, des normes coûteuses.

Face à ce constat, certaines initiatives ont été prises à travers le développement progressif des études d'impact – une bonne idée –, la création de la Commission consultative de l'évaluation des normes – très bonne idée – constituée au sein du Comité des finances locales, un moratoire du Premier ministre sur l'adaptation des mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, la désignation d'un commissaire à la simplification. Parallèlement, l'action législative s'est traduite par de nombreuses lois de simplification, en 2007, 2009, 2011 et 2012, grâce à Jean-Luc Warsmann et à Étienne Blanc qui a été très actif en la matière.

Pour ma part, j'ai pris plusieurs initiatives à travers le rapport que Yannick Favennec et moi-même avons remis au Président de la République et une première proposition de loi portant création des principes d'adaptabilité et de subsidiarité en vue d'une mise en oeuvre différentielle des normes en milieu rural, de nature à répondre à ce que Yannick Favennec a dénommé « le sentiment d'exaspération », et que nous avons rencontré dans les territoires ruraux.

Discutée à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi n'a pas été adoptée. Pour vous, mesdames les ministres, la question principale était celle de la constitutionalité. Le Gouvernement, d'ailleurs, avait saisi le Conseil d'État pour savoir si le législateur pouvait, sans méconnaître l'article 21 de la Constitution et le principe d'égalité, renvoyer directement au pouvoir réglementaire des collectivités territoriales le soin d'édicter des mesures d'application d'une loi. Le Conseil d'État, dont l'avis a été rendu public par Mme Lebranchu, a répondu que l'attribution d'un pouvoir réglementaire aux collectivités par la loi n'est pas, par elle-même, contraire au principe d'égalité.

C'est pourquoi j'ai redéposé, en novembre dernier, une nouvelle proposition de loi devant l'Assemblée nationale, proposition que je soumets aujourd'hui à la représentation parlementaire par la voie d'un amendement.

Le temps n'est plus aux rapports ni aux missions, mais à l'action. Madame la ministre, vous avez aujourd'hui l'occasion de justifier de votre action politique en créant le principe d'adaptabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

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