Intervention de Jacques Myard

Séance en hémicycle du 20 février 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l'union européenne et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard :

Monsieur le président, mes chers collègues, puisque je parle le dernier, je peux avoir l'illusion que j'aurai le dernier mot. Mais je sais bien que le combat continuera encore quelques mois, voire quelques années.

Monsieur le ministre, je vous présente mes condoléances attristées, car, en tant que ministre des affaires européennes, vous allez désormais accompagner la lente agonie d'une Europe à bout de souffle dont le système épuisé va vous épuiser.

Sur le budget, tout a été dit. Toutefois, on peut rappeler que, dans l'Europe originelle, il n'était pas une nécessité. Les États prenaient en effet un certain nombre de décisions à Bruxelles, mais c'étaient eux qui les mettaient en oeuvre. Il ne faut donc pas croire que le budget est incontournable, madame Grelier.

Monsieur le ministre, je n'aurai pas l'insolence de vous rappeler que vous nous avez dit un jour, devant la commission des affaires européennes, que le budget devait augmenter, selon une théorie néo-keynésienne de relance. Eh bien, pour vous, ce budget est une gifle ! Vous avez été pris en étau entre un euro-réaliste qui n'a pas toujours tort, M. David Cameron – et je ne le cite pas par nostalgie des faits d'armes de la légion étrangère (Sourires) – et Angela Merkel, qui tient, certes, de beaux discours européens, mais dont le pragmatisme tout saxon est bien loin des utopies des « euro-béats ». À cet égard, je souhaiterais savoir où en est l'affaire du veto allemand sur la livraison des essieux à la France, essieux qui devaient équiper des chars vendus à l'Arabie Saoudite. Le couple franco-allemand a excellé dans cette affaire : les Allemands ont bloqué des exportations françaises, prouvant une nouvelle fois que les États n'ont pas d'amis et que l'« euro-béatitude » a des limites.

En réalité, les péripéties de l'élaboration de ce cadre financier pluriannuel – qui sont loin d'être terminées, puisque le processus de co-décision nous promet de belles empoignades – illustrent la crise du système européen et de l'Europe. Il est impossible de gouverner cette véritable usine à gaz, composée de vingt-sept États aujourd'hui, de trente États demain, qui se mêle de tout ; une étude allemande nous apprend ainsi que 85 % de nos lois viennent de Bruxelles. Dès lors, l'Europe, devenue obèse, a atteint le seuil de l'impotence et de la paralysie – il va de soi que la subsidiarité est un mot vide de sens, un véhicule ignoré et foulé aux pieds – et s'aliène les peuples d'Europe. C'est extrêmement grave, car, même si je suis très critique vis-à-vis de ce qui se passe en Europe, je crois que nous avons besoin par ailleurs d'une construction européenne et que le danger qui nous guette est celui du rejet complet d'une Europe qui s'éloigne de la réalité.

Au-delà de son impotence asphyxiante, l'Europe souffre d'un mal encore plus grand : l'idéologie utopique, coupée des réalités.

La politique monétaire en est l'illustration la plus parfaite. Souvenez-vous, mes chers collègues – ce n'est pas si vieux, cela date de dix ans : avec l'euro, on allait raser gratis, la croissance était assurée, on allait connaître une ère triomphante pour l'Europe… Les résultats catastrophiques sont à la hauteur de la bévue structurelle de la monnaie unique. Il en est toujours ainsi quand l'idéologie l'emporte sur les réalités. La crise de la zone euro est structurelle, monsieur le ministre, car c'est celle d'un instrument intégriste, inadapté à des économies divergentes et qui s'éloignent les unes des autres.

Face à une telle situation, les idéologues refusent de regarder en face cette loi d'airain et pratiquent l'acharnement thérapeutique avec l'austérité généralisée, confondant les conséquences et les causes. Les déficits budgétaires ne sont pas à l'origine de la crise de la zone euro : la cause, c'est la perte de compétitivité des économies. Bruxelles impose l'austérité et la dévaluation interne, c'est-à-dire qu'on taxe ici et qu'on sabre là. Cette politique est suicidaire, monsieur le ministre, car les effets multiplicateurs de ces baisses forcées de dépenses entraînent la récession. L'étude récente d'Olivier Jean Blanchard, du FMI, montre combien elle l'a accélérée dans tous les pays d'Europe puisque les effets multiplicateurs que l'on croyait de 0,5 sont à 1,5 et même davantage : la récession économique s'aggrave moitié plus que l'augmentation des coupures forcées dans les dépenses.

On voit donc bien que ce ne sont pas les 20 milliards que vous nous proposez, à travers d'ailleurs le plan Gallois que vous avez repris à votre compte, qui permettront de retrouver de la compétitivité en France. Une récente étude de Goldman Sachs recommande, pour y parvenir, que la France baisse de 30 % ses salaires, ses prestations sociales et ses retraites ! Laval n'aurait pas fait mieux ! On est en pleine politique déflationniste d'avant-guerre, celle qui nous a menés dans le mur. Voilà où conduit le carcan d'un instrument inadapté et qui va véritablement provoquer un choc : la révolte des peuples. Cela est grave car, je l'ai dit, nous avons besoin de l'Europe, nous avons besoin de coopération. Mais voilà où conduit l'aveuglement idéologique.

Il est temps de remettre tout à plat car les peuples grondent et, croyez-moi, il est plus tard que vous ne le pensez.

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