Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 25 juillet 2012 à 21h30
Recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la fin de vie des navires est restée longtemps un sujet tabou. La tonalité du débat qui a lieu ce soir dans notre hémicycle montre, et je m'en félicite, que ce sujet est enfin pris en compte, et de manière beaucoup plus large qu'auparavant.

Comme l'a rappelé tout à l'heure Noël Mamère, le démantèlement des navires constitue une activité extrêmement dangereuse pour l'homme et la nature, dans laquelle les pratiques honteuses sont encore légion – des pratiques qui, pour nous écologistes, sont insupportables. Se débarrasser des navires en fin de vie représente une dépense importante pour les armateurs. De plus, les bâtiments concernés ont été construits avec des matériaux extrêmement nocifs. Aussi les armateurs ont-ils développé une logique de « décharge » environnementale et sociale vers des pays où la main-d'oeuvre est peu coûteuse, et les mesures de protection de la santé et de l'environnement inexistantes.

On estime ainsi que 60 % des ouvriers du démantèlement en Asie sont exposés à l'amiante. Des explosions se produisent régulièrement dans les cales et les fonds, provoquant des morts dont personne ne se préoccupe. L'air, l'eau et les sols sont saturés de produits toxiques et de substances chimiques et de polluants – PCB, plomb, arsenic et j'en passe.

Or, les pavillons de complaisance autorisent tous les abus. Rappelons-le ici, 40 % de la flotte mondiale appartient à des compagnies européennes. Pourtant, en 2011, les deux tiers des navires européens en fin de vie battaient un autre pavillon. Cette réalité entrave la mise en place de la nécessaire logique pollueur-payeur.

La convention de Bâle aurait dû contraindre les armateurs peu scrupuleux à « nettoyer » de leurs substances les plus dangereuses les navires envoyés à la casse. Force est de constater que cette convention ne s'est pas révélée suffisamment adaptée à l'industrie navale. C'est pourquoi la convention de Hong Kong a vu le jour. Elle représente, à nos yeux, un espoir et une chance – même si, comme cela a été dit à plusieurs reprises, elle n'est pas suffisante.

Premier outil international dédié au recyclage des navires, elle concerne l'ensemble du cycle de vie des navires, du berceau à la tombe – rien que pour cette raison, elle est d'une importance fondamentale. Cette convention prolonge et complète utilement la convention de Bâle, qui ne concernait que les navires en fin de vie.

Parmi les avancées proposées, soulignons la création d'un certificat international sur l'inventaire des matériaux dangereux, qui doit accompagner le navire tout au long de sa vie, ainsi que la nécessité pour le chantier de démantèlement d'établir un plan de recyclage.

Par ailleurs, la convention impose aux États de mettre en place des contrôles et des inspections et s'est dotée de mesures contraignantes afin d'infliger des sanctions en cas de manquements aux dispositions prévues. Or, nous le savons tous, manier la carotte et le bâton est ce qu'il y a de plus efficace.

Il faut cependant souligner la nécessité d'articuler la Convention de Hong Kong avec celle de Bâle, puisque la définition du recyclage retenue ne couvre ni l'interdiction de mouvements transfrontaliers de matières dangereuses, ni le traitement de ces matières après le démantèlement du navire.

Selon la plate-forme des ONG mobilisée sur ce sujet, la convention « n'empêchera pas les déchets dangereux tels que l'amiante, les PCB, les hydrocarbures et les métaux lourds d'être exportés vers des pays en voie de développement où les communautés les plus pauvres et les travailleurs les plus désespérés en seront victimes. »

En effet, la Convention de Hong Kong ne condamne pas la méthode de l'échouage sur plages, où les navires sont découpés au chalumeau sur le sable. Pratiquée sur toutes les côtes d'Asie du Sud, là où les marées connaissent une grande amplitude, cette technique ne permet ni d'utiliser des grues, ni de faire intervenir facilement des équipes de sauvetage lorsque des travailleurs se retrouvent bloqués sous les immenses plaques de tôle qu'ils sont amenés à découper. Elle expose également les ouvriers à des substances toxiques relâchées à l'air libre. Aussi l'Organisation internationale du travail considère-t-elle qu'il s'agit de l'un des métiers les plus dangereux du monde.

Sur le plan environnemental également, cette technique se révèle extrêmement nocive, puisque les polluants se déversent directement dans le biotope marin. Les dommages sanitaires et environnementaux commis ne sont pas chiffrables et ils sont pour la plupart irréversibles. Pourtant, cet échouage restera autorisé dans le cadre de la convention, sacrifiant hommes et environnement sur l'autel du profit.

À cet égard, on lit dans une note des Armateurs de France : « Inclure des mesures d'interdiction du démantèlement sur les plages dans la Convention de Hong Kong aurait voué celle-ci à l'échec : une large majorité du tonnage mondial est actuellement démolie de cette manière. Le principe de réalité a conduit les participants à ne pas prendre de mesures explicites sur ce thème. »

C'est vous dire ce que pèse la vie d'un homme pour ces armateurs ! En effet, 80 % des navires sont ainsi démantelés. Face au principe de réalité des armateurs, le principe pollueur-payeur ne fait toujours pas le poids et ce sont des vies humaines qui en paient le prix.

Certes, nous mesurons bien les limites de la Convention de Hong Kong, qui, par ailleurs, ne règle pas la question des épaves – je pense à l'Erika et plus récemment au Costa Concordia – et ne s'applique ni aux navires de guerre ni aux navires utilisés uniquement à l'intérieur des États.

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