Intervention de Gérard Rameix

Réunion du 24 juillet 2012 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérard Rameix :

Je suis très honoré de me présenter devant vous ce matin. Pressenti pour prendre la présidence de l'AMF, j'ai donné une réponse positive en quelques secondes. J'ai en effet passé presque douze ans dans la régulation financière, tout d'abord à la COB, puis à l'AMF, à la mise en place de laquelle j'ai activement participé avec mes collègues du Trésor.

Pour être franc, c'est avec des sentiments partagés que j'ai quitté l'AMF. Certes, j'avais à mon actif un certain nombre de réalisations. Nous avons organisé la fusion entre la COB, le Conseil des marchés financiers – CMF – et l'instance de sanction dans le domaine des organismes de placement collectif en valeurs mobilières – OPCVM –. Nous avons aussi élargi le recrutement, en faisant appel à de nombreuses compétences du secteur privé, et mis à niveau le processus répressif – certains ont peut-être en mémoire la série de décisions judiciaires qui avaient obligé à une révision complète des textes réglementaires et législatifs organisant le pouvoir de sanction de la COB, puis de l'AMF. Beaucoup a donc été fait.

Je gardais cependant – et garde encore – deux regrets. Tout d'abord, j'ai le sentiment que nous avons collectivement échoué à protéger véritablement l'épargnant, celui qui investit en produits financiers, et à lui donner confiance dans le marché financier. Michel Prada m'a recruté en tant que directeur général de la COB fin 1997 ; nous avons vécu de nombreuses opérations très réussies, et une euphorie dans le domaine boursier, avec la formation d'une bulle – avant son éclatement d'un seul coup. À l'époque, les entreprises faisaient presque la queue devant nos bureaux pour essayer coûte que coûte d'introduire en Bourse des sociétés dont le chiffre d'affaires était encore très faible et qui se fondaient avant tout sur une idée ; leurs titres se vendaient malgré tout comme de petits pains. Il était désagréable d'instruire ces dossiers, non qu'ils fussent inintéressants, mais parce que nous pressentions que cela allait mal tourner. Nous multipliions alors les avertissements – à l'époque, la COB avait le droit de formuler des avertissements sur les documents qu'elle enregistrait. Malgré cela, les prix ne cessaient de monter. Lorsque tout s'est écroulé, le niveau général des cours a considérablement baissé. Nous avons repris confiance en essayant de « serrer les boulons » : souvenez-vous de la loi qui a créé l'AMF et réorganisé le contrôle des comptes. Nous semblions repartir du bon pied. Je me souviens pourtant avoir lu dès le printemps 2007 des articles d'économistes prédisant que les prix de l'immobilier américain allaient atteindre leur sommet, puis baisser ; ce que nous n'avions pas compris, c'est à quel point les conséquences de cette baisse seraient terrifiantes. Nous avons eu un deuxième choc, qui a brisé la confiance des épargnants. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'elle soit revenue aujourd'hui.

En quittant l'AMF, j'avais donc le sentiment que, malgré tous nos efforts, le régulateur avait lui aussi été victime des forces du marché – qui avaient été plus fortes que lui.

J'avais également pris conscience des limites du rôle de régulateur. Une grande ambiguïté subsiste en effet sur la notion de régulation financière. Il est des contraintes, dont j'ai fait l'expérience, qu'il importe de garder à l'esprit lorsqu'on parle de régulation financière. Au moindre dérapage, on a tendance à dire qu'il aurait fallu mieux réguler. Ce n'est que partiellement vrai. Tout d'abord, le terme « réguler » n'a pas le même sens en français et en anglais. En français, on voit un système sophistiqué de poids et de contrepoids permettant d'assurer un ajustement. En anglais, « réguler » signifie simplement réglementer. Dans régulateur, il y a d'ailleurs règle, et qui dit règle dit juristes : si vous n'avez pas de position juridique parfaitement sûre, vous pouvez être attaqué et voir vos décisions annulées. Lorsqu'on parle de régulation, il faut donc être capable de définir des règles.

Par ailleurs, la règle suit toujours le fait – elle ne le précède jamais. Vous ne pouvez énoncer une règle, en mesurer la portée et l'ajuster que si vous avez déjà une pratique. C'est une constante que vous ne pouvez réguler que quelque chose que vous avez déjà mesuré. Dans un univers aussi frénétiquement mobile que celui de la finance, cela peut devenir très difficile.

Autre difficulté, la finance est internationale – global, comme disent les Anglo-Saxons, ce qui veut dire mondiale. Elle est au minimum européenne, alors que les structures de régulation restent encore largement nationales.

Si je suis candidat à la présidence de l'AMF, c'est d'abord parce que la fonction est passionnante. C'est aussi parce que j'ai pris la mesure d'un certain nombre d'obstacles, et que je pense avoir – au moins autant que d'autres – la capacité de les surmonter. C'est, enfin, parce que je suis attaché à cette maison. Je l'ai vérifié l'autre jour lors de la réception de départ de Jean-Pierre Jouyet, les trois quarts des personnels de l'AMF ont été recrutés au temps où j'étais secrétaire général. On dit toujours qu'il ne faut pas revenir sur le lieu de ses … agissements : je prends le risque ! La fonction de président est d'ailleurs différente de celle de secrétaire général. La loi créant l'AMF a organisé une dualité entre secrétaire général et président du collège. Je l'ai toujours dit lorsque j'étais secrétaire général, la légitimité d'un régulateur repose sur son collège, et les deux doivent être solides.

Mon expérience me permettra, je crois, de ne pas me laisser déstabiliser trop facilement. Dans cette fonction, l'expérience compte évidemment beaucoup.

J'ai bien sûr des idées sur chaque domaine de compétence de l'AMF, même si j'entends m'inscrire dans la continuité et si une grande partie des enjeux se situent au niveau européen, voire mondial.

Ne doutez en tout cas ni de mon intérêt, ni de ma motivation, ni de ma force de caractère devant les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser sur la route du régulateur.

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