Intervention de Christophe Caresche

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Caresche, rapporteur :

C'est un sujet que nous ne découvrons pas totalement puisqu'il a été traité dans la législation française, à travers la loi bancaire. La France, à travers cette loi, a mis en place des mesures pouvant aller jusqu'à la séparation des activités bancaires. Nous avons déjà, à cette occasion, travaillé sur ces questions.

Michel Barnier, alors commissaire européen, a voulu compléter la régulation financière et bancaire par un nouveau volet : le volet dit « structurel », qui est en cours de discussion actuellement. Vous savez qu'au niveau bancaire, nous avons avancé sur l'Union bancaire, avec une supervision européenne, qui permet de surveiller ce que font les banques, avec un mécanisme de résolution européen, qui permet de prévoir des modalités de recapitalisation des banques lorsqu'il y a une difficulté. Est prévu également, un troisième texte sur la garantie des dépôts au niveau européen. Ce texte connaît un certain nombre d'oppositions, notamment de la part de l'Allemagne. Le Bundestag s'est exprimé il n'y a pas très longtemps là-dessus de manière assez négative. Enfin, il est aussi prévu toute une série de dispositions au niveau international avec le renforcement des ratios prudentiels, d'ores et déjà effectif avec Bâle III. D'autres dispositions ont également été prises et le G 20 vient d'adopter des dispositions spécifiques aux banques dites « systémiques », qui permettraient aussi de prévoir un certain nombre de dispositions lorsqu'une banque est en difficulté.

Le volet relatif à la réforme structurelle des banques s'inscrit dans un paysage global où l'objectif est simple : éviter qu'une banque, lorsqu'elle fait faillite, entraîne une faillite du système ou entraîne des États à être obligés - ce qui a été le cas lors de la crise financière - de recapitaliser ces banques.

Sur le volet « structurel » dont nous parlons, la Commission européenne a présenté un règlement qui a été ensuite examiné au Conseil ECOFIN et il est en discussion aujourd'hui au Parlement européen. Pourquoi une résolution aujourd'hui ? Parce qu'un certain nombre d'éléments nous inquiètent dans cette réforme telle qu'elle a été présentée, même si cette résolution intervient à un moment où le processus n'est pas totalement terminé, bien évidemment. Le Parlement européen ne s'est pas encore formellement prononcé et il y aura ensuite le trilogue. La discussion va donc se poursuivre.

Simplement, d'ores et déjà - et c'est ce qu'a fait le Sénat -, il nous a paru important de prendre date sur ce texte, notamment sur une question principielle qui est la question juridique que pose ce règlement. Nous avons rencontré à la Commission Monsieur Guersent, qui était le chef de cabinet du commissaire Barnier et il nous a expliqué dans quelles conditions la Commission européenne avait choisi de faire un règlement.

Le problème est que ce règlement prévoit un certain nombre d'exemptions et deux types de mesures. Il y a des mesures qui interdisent à toutes les banques de faire un certain nombre d'activités - dites « de marché » - , qui sont des activités risquées : l'idée est d'interdire les activités de marché que sont les opérations pour compte propre. C'est-à-dire que les banques, qui sont des banques d'affaires et des banques de dépôt, ne pourraient pas faire un certain nombre d'activités. C'est d'ailleurs tout à fait le même principe que ce qui figure dans la loi bancaire française donc il n'y a, sur ce point, pas vraiment de sujet. C'est aussi ce que la règle dite « Volcker » a fait aux États-Unis.

Je mentionne toutefois un élément : dans la loi bancaire française, nous avions inclus, dans les activités de marché, ce que l'on appelle les actifs dits « souverains », c'est-à-dire les dettes, et la Commission européenne les a soustraits du champ d'application du règlement. Les titres souverains ne sont donc pas comptabilisés dans les activités de marché qui pourraient être soumises à régulation et à la séparation. Avec, quand même, un sujet d'interrogation pour nous, c'est que l'on a vu, notamment avec la Grèce, que les dettes pouvaient être aussi des instruments de spéculation tout à fait actifs. Nous avons donc une légère incompréhension sur ce point mais, pour l'essentiel, cette dimension ne nous pose pas problème.

La deuxième dimension qui est prévue dans le texte, c'est que pour les très grosses banques, les banques systémiques, on puisse aller jusqu'à séparer les activités de marché pour compte propre mais aussi une partie des activités dites « de tenue de marché ». Je ne vais pas rentrer dans le détail, nous avions longuement discuté ici de ces questions-là mais la séparation des activités aboutirait à ce qu'une banque concernée soit obligée de créer une entité totalement distincte de son entité propre pour mener ce type d'activités.

Le problème qui est posé est que, dès le début, la Commission européenne a prévu des exemptions. La première exemption, principale, est que les banques anglaises ne sont pas soumises au règlement. Pourquoi ne sont-elles sont pas soumises au règlement ? Il faut avoir l'honnêteté de le dire, il existe au Royaume-Uni la « règle Vickers » qui prévoit déjà une certaine séparation des activités des banques car la règle Vickers a pour objectif de cantonner les dépôts. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a estimé que, dans ces conditions, il n'était pas nécessaire de soumettre les banques anglaises à cette obligation.

Je rappelle quand même que les banques anglaises sont, évidemment, parmi les principaux opérateurs et les plus grandes banques systémiques qui existent en Europe. Lorsque l'on regarde les quelques pays qui ont des banques systémiques, l'Angleterre est un pays très important.

Le deuxième point, qui a été décidé, non pas par la Commission européenne mais dans le compromis du Conseil, est la sortie du champ d'application du règlement des filiales européennes des banques américaines. Là, je pense que c'est un élément beaucoup plus difficile à comprendre. Nous avons de très grosses filiales américaines avec des banques qui sont très importantes et qui ont été sorties au sein du Conseil du champ de la régulation, estimant que la règle dite « Volcker » s'appliquait à elles et qu'il n'y avait pas nécessité de les inclure dans le règlement. En réalité ce qui s'est passé, et il faut avoir l'honnêteté de le dire car ce n'était pas la position de la France, c'est qu'il y a eu un accord entre l'Allemagne et l'Angleterre au sein du Conseil pour sortir d'un côté les banques anglaises et de l'autre pour faire que les seuils retenus pour la séparation augmentent de telle sorte que les banques allemandes ne s'y retrouvent plus. Au départ, dans le texte proposé par la Commission européenne, le règlement couvrait environ une dizaine de banques. Pour mémoire, l'OCDE considère qu'il y a environ onze banques systémiques en Europe. En sortant du Conseil, le texte ne concerne plus que cinq ou six banques, compte tenu des négociations accords qui sont intervenus au Conseil.

Cela pose des problèmes importants et met un doute sur le fondement du règlement. La Commission a deux outils à sa disposition, le règlement ou la directive. L'objectif du règlement est d'avoir le plus haut degré d'harmonisation possible au niveau de l'Union européenne. Là, nous avons un règlement qui a des trous. Il est quand même très compliqué de comprendre pourquoi nous avons un règlement avec des exemptions. Il était possible pour la Commission européenne d'avoir une autre approche, par une directive, ce qui aurait peut-être effectivement permis d'avoir plus de souplesse et de tenir beaucoup plus compte des législations nationales. L'essentiel de la résolution vise à soulever ce problème en disant que nous considérons que le règlement, tel qu'il est pensé aujourd'hui, n'est pas conforme à l'esprit de ce que doit être un règlement au niveau européen.

Le deuxième point, c'est le cheminement dans le circuit européen. Le texte est arrivé au Parlement européen, où il y a eu des discussions extrêmement vives entre les partisans d'une régulation forte et ceux qui étaient pour la régulation conforme à ce qui avait été discuté au Conseil. Pour parler clairement, le compromis qui avait été esquissé au Conseil a été battu. Le rapporteur, Monsieur Hökmark, qui est un suédois, a été battu en commission ECON, qui a considéré que le texte n'allait pas assez loin, notamment en raison de l'opposition du co-rapporteur Monsieur von Weizsäcker, que j'ai rencontré hier et qui considérait que ce règlement n'était pas suffisant.

Le compromis qui avait été trouvé entre Monsieur Hökmark et Monsieur von Weizsäcker était aussi assez inquiétant dans son champ d'application notamment parce que Monsieur von Weizsäcker a mis sur la table d'autres critères que ceux qui avait été retenus par le Conseil pour distinguer les banques systémiques, c'est-à-dire pour déterminer quelles seront les banques qui seront soumises à d'éventuelles mesures de séparation et les autres.

La Commission européenne, comme le Conseil, avait retenu un critère sur l'importance du bilan et Monsieur von Weizsäcker a mis sur la table non plus un seul critère mais trois critères, qui ne sont pas cumulatifs, sur les dérivés, sur la part des revenus tirés des activités de banque d'investissement et sur l'importance des prêts non bancaires. Il y a donc trois critères qui sont proposés mais qui n'ont pas été rendus publics. L'analyse qui en est faite, et qui est assumée par Monsieur von Weizsäcker, est que ces trois critères aboutissent à ne capter que trois banques, qui seraient Deutsche Bank, BNP Paribas et Société Générale.

Il faut savoir par ailleurs que la Deutsche Bank a d'ores et déjà indiqué qu'elle revoyait sa stratégie et donc a prévu, comme l'a fait le Crédit Agricole en France, de se recentrer sur d'autres activités que les activités de marché. Pour parler clairement, la Deutsche Bank ne serait donc pas concernée puisqu'elle a décidé, d'elle-même, d'avoir une autre stratégie. Si l'on retenait ces critères, ne seraient captées que Société Générale et BNP Paribas.

Évidemment, ces banques sont françaises. Cela n'est pas totalement étranger à notre réflexion, mais ce n'est pas le problème principal. Le problème principal, c'est que si l'on suivait ces critères, le règlement ne concernerait finalement que très peu de banques systémiques, et que l'on appliquerait des mesures de séparation à seulement quelques banques, alors que l'on sait très bien qu'il existe d'autres banques en Europe qui présentent un risque systémique. Sur ce point, le règlement nous paraît inopérant. Ce problème est abordé dans la résolution mais ne représente pas son coeur. Encore une fois, à ce stade, le coeur de la résolution est, en réalité, de soulever la question juridique sur la nature du règlement et sur le fait qu'il n'est pas, selon nous, conforme à un instrument qu'aurait dû utiliser la Commission européenne.

J'ai vu, hier, Monsieur von Weizsäcker qui est le co-rapporteur de ce règlement. Tout d'abord, il faut savoir qu'au Parlement européen, le rejet d'un rapport est très rare, surtout en commission ECON. De ce fait, il y a eu un débat est assez vif au sein du Parlement européen. Selon moi, il faut le laisser se dérouler. Compte tenu de la tournure des choses, nous pouvons exprimer un certain nombre d'inquiétudes.

Monsieur von Weizsäcker n'a absolument pas contredit l'analyse que je viens de vous faire. Il est tout à fait d'accord avec nos arguments et reconnaît que son système ne capte pas suffisamment de banques. Il ne nie pas, et c'est un point très important, les réserves que l'on peut exprimer sur la méthode. Simplement, il m'a exprimé qu'il ne pouvait pas faire autrement car il n'aurait pas la majorité s'il réintégrait dans le champ du règlement les banques systémiques italienne, suédoise et espagnole. Voilà à quelle difficulté nous devons faire face. Il est alors difficile pour des banques d'être stigmatisées et discriminées car le règlement n'est pas assez large. J'ai souligné cette difficulté qu'encore une fois, il ne nie pas.

Le co-rapporteur tient à quelque chose d'important : la règle de départ était que les banques dont le niveau était considéré comme devant donner lieu à d'éventuelles mesures de séparations, devaient faire la preuve elles-mêmes du caractère non risqué de leurs activités. Il y a donc, dans la règle qui avait été précisée, une inversion de la charge de la preuve. C'est-à-dire que ce n'était pas le superviseur qui évaluait si les activités étaient risquées, c'était à la banque de faire la démonstration de l'absence de risques. En réalité, ce système aboutit à une quasi automaticité et ne laisse pas d'appréciation.

Je le souligne car nous avons eu ce débat au niveau de la loi bancaire en France et finalement nous avons tranché par un amendement adopté par le gouvernement qui prévoit in fine la possibilité pour le ministre de décider d'une mesure de séparation. Cette position laissait à l'appréciation du ministre la possibilité ou non de séparer. Le système qui nous est proposé par la Commission européenne et qui a été repris par Monsieur von Weizsäcker est un système qui limite considérablement la marge d'appréciation du superviseur puisqu'il est évident qu'un superviseur n'ira pas dire que la BNP, compte tenu des informations données, ne présente pas de risques. Il est très difficile pour un superviseur d'expliquer qu'une banque de ce type ne présente pas de risque car dans la réalité, il en existe toujours bien évidemment.

En réalité, il y a là un débat important sur cette règle à laquelle Monsieur von Weizsäcker est extrêmement attaché. Il considère, et c'est un peu surprenant, qu'une fois que la règle serait appliquée à quelques banques, elle finirait par s'appliquer aussi aux autres grosses banques : le processus enclenché, les banques se débrouilleraient pour que d'autres soient concernées. J'ai trouvé que ces réponses étaient, à ce stade, difficiles à recevoir parce que séparer telle ou telle une banque en particulier et pas d'autres a un impact qui peut être difficile. Voilà l'état de la négociation.

Encore une fois, la résolution porte surtout sur la question du règlement et de ses exemptions. Il faut savoir que la loi bancaire française a eu un certain nombre de conséquences : les banques françaises ont aujourd'hui beaucoup réduit leurs expositions par rapport aux activités de marché. Dans les dix-huit derniers mois, lorsque nous regardons les introductions en bourse qui ont été faites, la plupart ont été faites aujourd'hui par des banques américaines et il y a aujourd'hui un enjeu économique important, notamment sur le marché européen.

Il y a donc une grande interrogation sur un règlement qui, si on suivait Monsieur von Weizsäcker, aboutirait à ne capter que deux banques. Il y aurait une fragilité juridique très forte du fait que le règlement a vocation à concerner l'ensemble des pays européens ayant des banques systémiques.

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