Intervention de Jérôme Léonnet

Réunion du 19 mai 2016 à 11h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Jérôme Léonnet, chef du service central du renseignement territorial, SCRT :

La montée en puissance du SCRT est récente. En 2008, une réforme essentielle a opportunément désigné un leader en matière de renseignement antiterroriste en France – la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) devenue aujourd'hui DGSI –, car la situation antérieure à 2008 s'avérait davantage concurrentielle que collaborative entre les services. Cette réforme de 2008 a laissé affaiblie la nouvelle sous-direction de l'information générale par rapport à l'ancienne direction centrale des renseignements généraux (DCRG), puisque l'effectif de cette dernière comptait 3 500 personnes quand celui de l'information générale ne dépassait pas 1 600 agents. L'information générale, ancêtre du renseignement territorial (RT), souffrait d'un grave problème capacitaire, que les différentes missions d'inspection n'ont eu de cesse de signaler. En outre, en 2008, on a oublié la gendarmerie nationale, qui, fort légitimement compte tenu du déploiement de l'arme dans l'ensemble du territoire, souhaitait accéder à la mission de renseignement dans son acception la plus large. Entre 2008 et 2012, on a progressivement renforcé les moyens et les effectifs de l'information générale, puis on a accueilli les premiers gendarmes en 2012.

En 2012, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a lancé une réflexion sur le travail de l'information générale visant à renforcer quantitativement et qualitativement le service. Après une préfiguration en 2013, cette démarche a abouti à la création du RT en mai 2014. On a reconnu, à cette occasion, la mission du RT, notamment par le retour de l'appellation « renseignement » qui, pour les agents, revêtait une grande importance. Le nom de renseignement territorial présente la double vertu d'affirmer le travail de renseignement et l'ancrage territorial du service. En 2014, pour la première fois, le SCRT s'est doté d'une doctrine de fonctionnement et d'emploi, étape essentielle car on avait souvent reproché aux Renseignements généraux (RG) de faire un peu tout et n'importe quoi, sans guide et sans domaine de compétence défini – contrairement, sur ce dernier point à la direction de la surveillance du territoire (DST). Ce document balaie l'ensemble des thématiques que le SCRT traite.

Le SCRT a totalement intégré le concours de la gendarmerie au fonctionnement du service ; ainsi, un colonel de gendarmerie a été nommé adjoint du chef du SCRT en mai 2014. En outre, on a confié le commandement de deux divisions du service central et de trois services départementaux du RT à des officiers de gendarmerie. Un commissaire de police a été désigné à la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Depuis mai 2014, toutes les productions écrites du RT affichent le double sigle de la police et de la gendarmerie nationales et sont transmises en temps réel aux échelons central et territoriaux de la gendarmerie nationale.

L'effectif du RT atteignait 1 622 personnes en 2008, 1 870 en 2010, 1 880 en 2012, 1 976 en septembre 2014, et s'élève à 2 350 aujourd'hui. La force du RT ne réside pas, contrairement aux services du premier cercle de la communauté du renseignement, dans son échelon central, mais dans ses implantations dans le pays. Ainsi, seuls 150 de ses 2 350 agents sont affectés en centrale.

Nous avons développé deux nouvelles spécialités au RT : une division se trouve chargée de la veille sur internet et une autre effectue de la recherche, de la surveillance et de l'appui.

L'antiterrorisme n'appartenait pas au coeur du métier de l'information générale à sa création. En 2008, le pilotage du renseignement antiterroriste a été confié à la DCRI, devenue la DGSI. En revanche, l'information générale avait à connaître de la prévention du terrorisme sous trois aspects : la lutte contre les dérives urbaines, l'économie souterraine et la criminalité organisée par la surveillance du parcours de petits délinquants pouvant, comme Mohamed Merah, devenir terroriste ; le suivi des grandes religions dont l'islam de France, a conduit le RT à travailler avec des imams modérés, qui font l'objet d'attaques et de tentatives de déstabilisation de la part de prêcheurs salafistes et qui aident le service à obtenir le signalement de personnes en voie de radicalisation ; enfin, la plateforme de signalement de l'UCLAT permet d'indiquer au RT les cas de radicalisation. En septembre 2014, le RT était amené à s'intéresser à moins d'une centaine de radicalisés, ce chiffre ayant atteint 476 au 1er janvier 2015 et s'élevant aujourd'hui à 3 600.

Le suivi de la radicalisation, qui mobilisait 5 % des capacités du service et qui en absorbe aujourd'hui 40 %, s'inscrit dans la répartition des compétences avec la DGSI. Dès qu'un individu que nous suivons a le début d'un lien, même faible, avec un réseau terroriste ou commence à émettre l'idée de vouloir partir en terre de djihad, le dossier est transmis au bureau de liaison de la DGSI au sein du service central du RT – la DGSI est également présente au sein du RT dans l'ensemble des zones de défense et dans les grands centres. Entre le RT et la DGSI, la situation se révèle bien plus vertueuse qu'une simple liaison de coordination, puisque le RT ouvre l'ensemble de sa production, dès la réalisation de celle-ci, à la DGSI. Cette dernière évoque les sujets qu'elle considère relever de son domaine de compétence.

Les 3 600 signalements de radicalisation appartiennent au bas ou au milieu de spectre et non à son haut. Néanmoins, de 700 à 800 personnes présentent, à nos yeux et à titre individuel, des fragilités telles qu'un passage à l'acte violent, comme ceux de Bertrand Nzohabonayo à Tours et de Moussa Coulibaly à Nice, est envisageable. Nous avons développé une large palette d'outils pour assurer notre mission : contact avec les personnes signalant la radicalisation – parents, milieu professionnel ou scolaire –, suivi en lien avec les services de sécurité publique et de gendarmerie nationale d'une personne inquiétant son entourage, et, pour les profils des plus inquiétants, travail en milieu fermé reposant sur de la surveillance humaine et technique dans le cadre de ce qu'autorise la loi.

Les effectifs du RT ont été fortement renforcés en 2015, le plan de lutte contre le terrorisme couvrant les années 2015, 2016 et 2017 ayant prévu de doter le RT de 350 policiers et de 150 gendarmes supplémentaires – 162 policiers nous ont déjà rejoints en 2015. À la fin de l'année 2017, le RT devrait comprendre entre 2 650 et 2 700 personnes. La priorité du RT résidant dans son maillage territorial, nous avons implantés des antennes du renseignement territorial dans des brigades de gendarmerie. Cette évolution me paraît essentielle, car elle nous permet d'étendre le maillage du renseignement territorial dans les zones de gendarmerie. Le rattachement à la sécurité publique nous oblige à veiller à développer notre action avec la gendarmerie ; cet effort s'avère quotidien, et l'un de mes adjoints, membre de la gendarmerie, consacre une bonne partie de son temps à entretenir les liens d'échange et de coopération avec son arme d'appartenance. Le bilan des premières antennes du RT dans les brigades de gendarmerie, créées en 2015, s'avère très positif.

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