Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 15 février 2017 à 16h20
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

En vous écoutant, monsieur le président, je me disais que les motifs pour lesquels j'étais opposé au projet de loi demeuraient. C'est bien la preuve que le Gouvernement a respecté la volonté du législateur, au moins dans ses grandes lignes. Sous cet aspect, vous pouvez donc être satisfait. Il ne s'agit pas, ici, de dresser un bilan politique de la loi, mais je ne peux m'empêcher de préciser qu'elle a eu des effets politiques sur la majorité, et si ceux-ci ont dépassé l'intention des députés, ses effets économiques, en revanche, sont restés en deçà de la volonté du Gouvernement comme de sa majorité.

Je souhaiterais évoquer le mécanisme du contrôle parlementaire, d'abord pour vous adresser à mon tour mes remerciements et mes félicitations pour la création et les travaux de cette mission d'information, ensuite pour partager avec vous quelques réflexions sur le sujet.

Premièrement, quoi que l'on pense de ce que l'on entend dans les médias ou les couloirs de cette maison, il est clair que nous assistons actuellement à un terrible affaiblissement de l'autorité du Parlement, dont les moyens de fonctionnement, voire, probablement, un certain nombre de libertés sont remis en cause. Nous devons y être attentifs, et je regrette, du reste, que l'expression collective des parlementaires ne soit pas plus énergique et plus unanime car, outre que nous en pâtissons à titre personnel – mais ce n'est pas si important –, la liberté des citoyens s'affaiblit à chaque fois que celle du Parlement s'amoindrit.

Deuxièmement, la mission de contrôle du Parlement est encore assez mal maîtrisée par notre assemblée et peu connue de nos collègues eux-mêmes. Je sais, pour avoir eu l'honneur de rédiger avec Régis Juanico un rapport du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), que les travaux réalisés dans ce cadre se déroulent pour ainsi dire dans une indifférence quasi générale. Cependant, j'ose espérer que ceux qui nous succéderont peut-être dans quelques semaines s'approprieront davantage cette mission, car s'assurer que la loi est conforme à la volonté du législateur est indissociable de l'acte de la voter. Nous disposons pour ce faire des moyens nécessaires – et je veux ici remercier les services de notre assemblée pour le travail qu'ils ont accompli à vos côtés.

Troisièmement, je me souviens que, lors de la réforme constitutionnelle de 2008, je m'étais efforcé de convaincre mes collègues que, si le législateur est parfois conduit, je dirai presque « réduit », à voter des lois qui vont très loin dans le détail – je ne parle pas ici de celles qui ne veulent rien dire ou des déclarations d'intention, qui devraient être bannies de tout code –, c'est sans doute parce qu'un climat de défiance terrible s'est installé entre les différents pouvoirs. De fait, si le législateur avait pleinement confiance dans l'interprétation que le juge fait de ses textes – je pense, en l'espèce, à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation – et dans le pouvoir exécutif chargé de rédiger les décrets d'application, peut-être consacrerait-il moins d'énergie à entrer à ce point dans le détail. Il s'agit donc de rétablir la confiance entre les institutions, et l'un des moyens d'y parvenir réside, me semble-t-il, dans la manière dont nous écrivons la loi. Nous avons en effet perdu de vue – mais c'est un problème de notre temps – qu'une formulation universelle est en réalité bien plus forte qu'une formulation détaillée.

Toujours est-il que j'avais, à l'époque, proposé une solution pratique, qui n'a, hélas ! pas été retenue. Elle consistait à prévoir que, durant la semaine que notre ordre du jour réserve au contrôle, le Gouvernement vienne présenter, en séance publique, les textes d'application des lois votées par le Parlement. Cette solution, parfaitement conforme à l'esprit même de cette semaine de contrôle, éviterait que la restitution de ces travaux essentiels ne se limite au cercle réduit des commissions.

Si j'étais chafouin, je dirais, à ce propos, que la question de la multi-titularité est la plus belle objection de principe jamais faite à cette loi puisque, d'une certaine manière, elle fournit au ministère de la justice l'occasion de se rappeler au bon souvenir de celui de l'économie… Toujours est-il que l'on est en droit de se demander jusqu'à quel point il est tolérable que le pouvoir exécutif aille à l'encontre de la volonté du législateur. Existe-il, dans un tel cas, une instance de recours devant laquelle celui-ci puisse contester cette interprétation ? Par ailleurs, je constate, avec la même satisfaction que vous, qu'une énergie considérable a été consacrée à faire en sorte que la loi votée il y a deux ans soit traduite dans les faits aussi vite que possible. Mais le problème est toujours le même : on considère telle disposition comme urgente, mais on finit par patienter un temps interminable avant que soit mis en oeuvre ce qui était réputé imminent.

Un mot sur les ordonnances. J'ai indiqué à plusieurs reprises qu'elles n'étaient pas ma tasse de thé, même si elles sont constitutionnelles. Quoi qu'il en soit, elles mériteraient une approche ou un traitement un peu différent. À cet égard, si nos successeurs devaient envisager autrement les relations entre les différents pouvoirs, il faudrait tout d'abord qu'ils généralisent ce type de missions d'information – et je vous remercie d'avoir essuyé les plâtres, monsieur le président. La difficulté soulevée par les ordonnances réside dans le fait qu'il faut laisser sa liberté au pouvoir exécutif tout en s'assurant que les textes sont bien conformes à ce qu'ils sont censés être. Je me méfie d'autant plus de cette procédure que je connais la tentation que certains ont d'en user massivement pour gouverner de manière énergique. Cela n'a jamais été ma position : il me semble que, particulièrement en temps de crise, il revient au Parlement de débattre, dans des délais raisonnables, certes, mais il existe de nombreux moyens de mettre fin à la discussion en séance publique si le Gouvernement l'estime nécessaire.

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