Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 15 février 2017 à 16h20
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert :

Les articles 241 à 257 de la loi du 6 août 2015 ont apporté de nombreuses modifications aux dispositions organisant le travail des salariés le dimanche et en soirée. Les principales innovations ont permis d'ajouter aux zones touristiques et aux zones commerciales les zones touristiques internationales (ZTI),de modifier le régime et d'étendre potentiellement le nombre de « dimanches du maire » de cinq à douze par an,de refondre et d'harmoniser les régimes existants afin que les conditions d'ouverture et les nécessaires compensations pour les salariés concernés fassent l'objet d'un accord collectif ou, dans les établissements de moins de onze salariés, d'une décision de l'employeur approuvée par la majorité des salariés.

Depuis le premier rapport d'étape du 22 mars 2016, trois types d'évolution peuvent être constatées : tout d'abord, le régime d'ouverture local a été modifié de façon marginale, ensuite, deux mesures d'application complémentaires ont été prises, à savoir la création de trois zones touristiques internationales supplémentaires et la mise en place d'un Observatoire du commerce, enfin les négociations collectives ont pu se poursuivre et aboutir dans plusieurs secteurs emblématiques comme celui des grands magasins.

En ce qui concerne les dimanches du maire, deux évolutions ont eu lieu. L'article 250 de la loi a apporté plusieurs modifications au dispositif permettant au maire d'accorder, par arrêté, l'autorisation d'ouvrir certains dimanches aux commerces. Le nombre de dimanches pouvant ainsi faire l'objet d'une ouverture dominicale est passé de cinq à douze par an. Ce même article 250 n'a pas modifié les dispositions préexistantes qui confiaient, par voie d'exception pour la seule ville de Paris, le choix des dimanches concernés au préfet de police.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet, à l'initiative de la maire de Paris, le Conseil constitutionnel a jugé le 24 juin 2016 qu'« aucun motif d'intérêt général ne justifie que, s'agissant du pouvoir de déterminer les dimanches durant desquels les établissements de commerce de détail sont autorisés à supprimer le repos hebdomadaire dominical, la ville de Paris soit traitée différemment de toutes les autres communes », et déclaré contraire à la Constitution ces dispositions dérogatoires.

En conséquence, la maire de Paris a pu exercer cette compétence et a proposé au Conseil de Paris du 9 novembre 2016 d'autoriser les commerces parisiens à ouvrir douze dimanches en 2017, soit le maximum possible, pour « soutenir les commerces de proximité, qui sont confrontés à la concurrence des grandes enseignes situées dans les zones touristiques internationales ».

Par ailleurs, dans le premier rapport d'application, nous avions constaté, Richard Ferrand et moi-même, que le dispositif de fixation des dimanches du maire retenu par le législateur était excessivement rigide.

Alors que la décision du maire n'était précédemment enserrée dans aucun délai ni obligation de consultation, il est désormais nécessaire de consulter les représentants locaux des employeurs et des salariés, de recueillir l'avis du conseil municipal et, si le nombre de dimanches excède cinq, l'avis conforme ou implicite de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), en temps utile pour que l'arrêté municipal puisse être pris avant le 31 décembre de l'année précédente. Cette date butoir apparaissait en pratique à la fois trop rapprochée pour que les commerces organisent en concertation avec leurs salariés une ouverture pour les soldes de janvier, et trop éloignée quand il s'agit de fixer plus d'un an à l'avance les ouvertures dominicales de décembre.

Aussi, nous avons déposé un amendement qui a été intégré au projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, afin d'introduire plus de souplesse dans la détermination par les maires des dimanches ouvrables, en ouvrant la possibilité de modifier en cours d'année la liste des dimanches concernés, tout en respectant les mêmes formes – consultation des organisations syndicales et patronales, du conseil municipal et, lorsque le nombre de dimanches excède cinq, de l'organe délibérant de l'EPCI – et en imposant un délai minimal de deux mois avant le premier dimanche concerné par cette modification.

En ce qui concerne les mesures d'application de la loi, tous les textes réglementaires d'application nécessaires avaient été pris entre le 23 septembre 2015 et le 10 février 2016, après achèvement des procédures de consultation prévues par le législateur ou le pouvoir réglementaire.

Cependant, deux mesures complémentaires ont été prises depuis cette date : d'une part, la création de trois zones touristiques internationales supplémentaires, à Antibes, Dijon et La Baule le 25 juillet 2016, qui sont venues rejoindre les douze ZTI parisiennes et les six ZTI de province, et, d'autre part, la mise en place d'un Observatoire du commerce dans les ZTI, créé par arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, de la ministre du travail et du ministre de l'économie du 20 juin 2016, afin d'« évaluer la réforme de l'ouverture dominicale des commerces, d'en suivre la promotion internationale, d'en mesurer les effets sur le commerce, l'activité économique, l'emploi et le dialogue social »

Sous la coprésidence des ministres chargés de l'économie et du travail, il réunit neuf représentants des organisations professionnelles, cinq représentants des organisations syndicales de salariés, quatre représentants de l'État, deux représentants des organismes consulaires, onze personnalités qualifiées et les maires des communes concernées par l'implantation d'une zone touristique internationale.

L'arrêté prévoit que « l'Observatoire du commerce dans les zones touristiques internationales dispose d'un site internet », afin de diffuser des informations d'ordre documentaire sur les différents dispositifs relatifs à l'ouverture dominicale et en soirée des commerces, à destination des commerces et des consommateurs. Dans le précédent rapport d'étape, j'avais souhaité un tel renforcement des moyens d'information ; aussi regretté-je particulièrement que ce site ne soit pas en ligne à ce jour.

Enfin, il est possible de faire un nouveau bilan de la mise en oeuvre de la loi, qui repose sur la négociation collective. Si de nombreuses branches ou entreprises avaient abouti à un tel accord avant la parution du premier rapport d'étape le 22 mars 2016, l'année écoulée a été mise à profit pour permettre l'engagement ou l'aboutissement de négociations dans de nombreux commerces. Le rapport d'étape permettra de détailler trois exemples emblématiques : les grands magasins parisiens, la FNAC et les hypermarchés.

Après l'échec des négociations au niveau de la branche en 2015, des négociations ont eu lieu dans chaque enseigne de grands magasins parisiens. Un accord de branche aurait eu l'avantage d'harmoniser les compensations salariales dans l'ensemble des enseignes ; dans les faits, chaque magasin a négocié son propre régime de compensation.

Le BHV Marais a été le premier grand magasin parisien à signer un accord de compensation salariale avec les syndicats, le 6 mai 2016. L'accord conclu pour trois ans prévoit pour les salariés travaillant habituellement la semaine un plafond de quinze dimanches travaillés par an, assortis d'une majoration de salaire de 100 % et d'une récupération. Le BHV Marais est ainsi ouvert tous les dimanches depuis le mois de juillet 2016. Ont suivi les Galeries Lafayette, où 92 % des salariés se sont inscrits pour travailler le dimanche, le Bon Marché, Monoprix et finalement, en janvier 2017, le Printemps. Ainsi, toutes les enseignes de grands magasins vont pouvoir dorénavant ouvrir leurs établissements situés dans les ZTI.

Les premières données disponibles, communiquées le 4 novembre 2016 par l'Observatoire du commerce dans les zones touristiques internationales, montrent que 15 % des magasins situés dans les ZTI sont déjà ouverts le dimanche et 2,5 % le soir. Cela concerne près de 1 500 magasins, essentiellement des petits commerces de moins de onze salariés.

Six mois après le début de l'ouverture dominicale du BHV Marais, « le bilan est extrêmement positif, avec un chiffre d'affaires additionnel de 10 % depuis la mise en place des ouvertures dominicales », selon la direction : le dimanche est devenu le deuxième meilleur jour de ventes, derrière le samedi. Les ouvertures dominicales ont attiré une nouvelle clientèle, mais essentiellement locale et francilienne. En termes d'emplois, le BHV Marais fait valoir la création de 150 postes en contrat à durée indéterminée (CDI) de fin de semaine grâce aux ouvertures dominicales. Les Galeries Lafayette ont recruté 330 personnes en vue des prochaines ouvertures du dimanche, et prévoient de créer 500 postes nouveaux grâce à ces dimanches désormais travaillés, sans compter les emplois indirects, comme ceux de démonstrateurs de marques.

En termes de fréquentation touristique, le centre commercial Beaugrenelle, situé non loin de la Tour Eiffel, a indiqué qu'un an après avoir obtenu le droit d'ouvrir le dimanche, il a vu sa fréquentation touristique bondir de 28 %.

Dans certaines enseignes, les négociations ont pris un certain temps mais ont abouti à des dispositifs de compensation du travail dominical avantageux pour les salariés concernés. Ainsi, la direction de la FNAC a conclu, le 26 janvier 2017, un accord relatif au travail dominical et au travail de soirée qui prévoit une majoration de salaire à hauteur de 200 % par dimanche pour les douze dimanches générant l'activité la plus importante sur l'année, et de 100 % pour les autres dimanches. Concernant les douze dimanches majorés à 200 %, le salarié pourra choisir entre la totalité de la majoration ou le paiement à hauteur de 100 % et un repos équivalent au nombre d'heures travaillées et crédité dans le compteur des heures à compenser.

Enfin, les enseignes d'hypermarchés ont entrepris des négociations. En application de l'article L. 3132-13 du code du travail, les commerces de détail alimentaire bénéficient d'une dérogation permanente de droit au principe du repos dominical puisqu'ils peuvent ouvrir le dimanche matin jusqu'à treize heures ; la loi a prévu que, dans les commerces alimentaires dont la surface de vente est supérieure à 400 mètres carrés, les salariés devront bénéficier pour cette période d'une majoration de 30 % de leur rémunération.

Lors des auditions menées début 2016, l'ouverture dominicale n'apparaissait pas comme une priorité des chaînes d'hypermarché ; cependant, les réflexions semblent avoir évolué en la matière. La direction du groupe Carrefour a convoqué en décembre 2016 les syndicats pour négocier l'ouverture dominicale. Elle souhaite ainsi remettre en cause un accord d'entreprise de 1999 qui, contrairement à ses concurrents comme Auchan ou Casino, prévoyait explicitement que le repos hebdomadaire était donné le dimanche et bloquait ainsi les ouvertures dominicales, exception faite des dimanches du maire.

Si la négociation semble difficile, un accord permettrait aux 191 hypermarchés Carrefour SAS, représentant quelque 60 000 salariés, d'ouvrir le dimanche matin, même si l'enseigne n'entend pas forcément ouvrir tous ses hypermarchés tous les dimanches matin. Selon les syndicats, parmi ces magasins de plus petite taille, supérettes et supermarchés, Carrefour détiendrait déjà 5 000 points de vente ouverts le dimanche.

Dans le même temps, M. Michel-Édouard Leclerc, dirigeant du groupement de distributeurs indépendants Leclerc, a indiqué en janvier 2017 qu'il ne souhaitait pas une généralisation du travail dominical dans les hypermarchés – seuls 15 % à 20 % de centres Leclerc étant actuellement ouverts le dimanche matin.

Chez Auchan, un tiers des hypermarchés s'apprêterait à ouvrir le dimanche matin, en prenant en compte l'évolution des modes de vie, en offrant une compensation salariale de 50 % à leurs salariés.

On constate donc que, malgré des débuts difficiles, le pari du législateur, qui a fait confiance à la négociation collective, a été concluant : les négociations ont abouti à des régimes de compensation substantiels pour les salariés concernés. Nous avons apporté de la régulation là où il n'y en avait pas ; c'était l'enjeu des accords gagnant-gagnant que nous avons souhaités.

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