Intervention de Cécile Untermaier

Réunion du 15 février 2017 à 16h20
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Je voudrais en premier lieu vous remercier, monsieur le président, pour le travail que vous avez mené, tant au sein de la commission spéciale comme rapporteur général de la loi que dans le cadre de cette mission de suivi. J'ai été impressionné par la constance et l'humour dont vous avez su faire preuve, dans des conditions parfois compliquées. Je remercie également les administrateurs qui nous ont accompagnés tout au long de ce travail.

Je souhaite également souligner le caractère inédit de notre démarche et son utilité. Il est de bonne pratique d'associer étroitement les parlementaires à la mise en oeuvre d'une loi qu'ils ont eux-mêmes votée, surtout lorsque son élaboration a été guidée par un souci permanent de co-construction.

Avant d'analyser en détail l'application de la loi, il n'est pas inutile de rappeler le travail colossal que son application a requis. Pour les dispositions regardant les professions réglementées, sur les quarante et une dispositions de la loi qui nécessitaient des mesures réglementaires d'application, quarante ont été précisées par vingt-cinq décrets et cinq arrêtés. La quarante-et-unième disposition concerne les clercs d'huissier, mais le Gouvernement considère qu'un décret n'est pas nécessaire pour appliquer la loi. Dont acte. Le Gouvernement a également pris quatre ordonnances sur habilitation concernant des dispositions incluses dans la partie que j'ai rapportée.

Je rappelle que la réforme des professions réglementées du droit comporte trois volets : un premier volet relatif aux tarifs, qui a fait l'objet de développements dans le premier rapport de la mission d'information ; un deuxième volet relatif au système d'accès à l'exercice libéral de ces professions, sur lequel je vais revenir en détail ; un troisième volet enfin, relatif à l'interprofessionnalité.

La loi du 6 août 2015 n'a pas remis en cause les principes fondamentaux sous-jacents à l'exercice de ces professions. Ainsi le droit de présentation existe-t-il toujours, tout comme le principe de tarifs réglementés. Les tarifs proportionnels applicables à certaines professions et à certains actes n'ont pas été supprimés.

Nous avons toutefois rénové en profondeur des règles désormais fondées sur des critères objectifs et rationnels. Elles ont été rendues adaptables en fonction de l'évolution de ces critères, par des obligations de révisions périodiques. Nous avons également fourni les outils juridiques nécessaires à l'évolution des formes d'exercice des professions, en assouplissant les conditions de détention de capital et en permettant l'exercice en commun de plusieurs des professions du chiffre et du droit.

Rappelons que l'ensemble de ces dispositions a été inspiré par plusieurs travaux préparatoires, émanant tout à la fois de représentants de l'administration, de parlementaires et de membres de l'Autorité de la concurrence. Ils ont conclu à la nécessité d'une modernisation de certaines des professions réglementées du droit.

Pour en revenir au premier des trois volets de la réforme, l'ancien système tarifaire était marqué par plusieurs insuffisances – je ne détaillerai pas ses défauts bien connus. Désormais, les tarifs sont fixés selon le principe de la rémunération raisonnable et des coûts pertinents. Les arrêtés fixant les tarifs, pour chaque profession, ont été publiés aux mois de février et de mai 2016. La nouvelle architecture normative concernant les tarifs a été décrite dans le premier rapport de la mission d'information.

En ce qui concerne à présent le sujet connexe du Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice (FIADJ) créé par la loi, il n'était pas financé, le Conseil constitutionnel ayant censuré la première contribution envisagée par le Gouvernement. Le législateur n'avait pas épuisé sa compétence, n'ayant pas fixé l'assiette de la contribution avec suffisamment de précision. La contribution était assise sur la valeur de tout bien ou sur le montant de tout droit supérieur à un seuil de 300 000 euros, pour lequel un tarif était fixé proportionnellement à la valeur de ce bien ou de ce droit. Ce seuil pouvait encore être modifié par arrêté.

Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016, le Gouvernement avait donc proposé la création d'une nouvelle contribution. Due par les titulaires d'un office ministériel de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice et de notaire et par les administrateurs et mandataires judiciaires, son taux était unique et fixé à 1,09 % ; elle était assise sur le chiffre d'affaires par associé, à partir d'un certain seuil.

Afin de conférer un caractère plus progressif à la contribution, le président-rapporteur et moi-même avons introduit un amendement instaurant un barème proportionnel, adopté par le Parlement. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a également censuré cette contribution. Il a estimé que le législateur avait instauré une différence de traitement entre les personnes morales et les personnes physiques, dès lors que, pour les personnes morales, l'assiette dépendait du nombre d'associés. Selon lui, la différence de traitement était sans rapport avec l'objet de la disposition. Par conséquent, la disposition contrevenait au principe d'égalité.

Ce fonds de solidarité doit distribuer des aides à l'installation et au maintien, dans le contexte de la réforme du système d'installation. Son objectif est la garantie d'un maillage territorial satisfaisant. J'y suis personnellement très attachée. Il s'agira de lui trouver une nouvelle source de financement.

Rappelons que les tarifs proportionnels pour les transactions importantes génèrent des rémunérations justifiant le prélèvement au profit d'un fonds de solidarité. Ces tarifs ont été maintenus, mais le fonds n'a pas été mis en place. Il y a donc nécessité soit de revoir les tarifs – à la baisse –, soit de repenser la constitution de ce fonds, sur une base que l'exécutif devra nous proposer.

S'agissant justement, en deuxième lieu, des règles relatives à l'installation des professionnels, la phase d'application de la loi a suscité des incompréhensions. Rappelons que la loi apporte une réponse à une situation marquée par l'excessive restriction de l'accès aux professions.

Les professionnels installés étaient impliqués à la fois dans l'évaluation des besoins en nombre de professionnels et dans les procédures de nomination, sans qu'ils aient intérêt à l'ouverture de leur profession. Cette logique d'autorégulation a été inefficace et source de tensions. Voilà pourquoi la loi a instauré, pour les officiers publics et ministériels, un système de liberté d'installation régulée. Il repose sur une distinction entre deux types de zones géographiques, déterminées par une carte que le Gouvernement arrête sur proposition de l'Autorité de la concurrence : les zones de libre installation, dites « zones vertes », et les autres zones, dites « zones orange ». Les zones vertes sont celles où l'implantation d'offices supplémentaires est utile pour renforcer l'offre de services ; les zones orange sont celles où les besoins sont a priori satisfaits.

Pour comprendre les difficultés qui sont apparues dans l'application de la loi, il est nécessaire de se pencher sur les critères qui ont conduit à la construction de la carte pour les notaires. L'Autorité de la concurrence a considéré que l'échelle pertinente était celle des zones d'emploi de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Pour déterminer si une zone devait être classée en zone verte ou en zone orange, elle a utilisé le critère du chiffre d'affaires par notaire installé dans la zone. Au-delà d'un certain seuil, l'Autorité de la concurrence considère que l'offre peut être renforcée par la création d'offices, menant à la nomination d'un certain nombre de notaires libéraux supplémentaires. Elle a identifié 247 zones vertes, pour chacune desquelles un objectif exprimé en nombre de notaires libéraux supplémentaires est fixé. J'insiste sur le mot « supplémentaires » car, selon le raisonnement de l'Autorité de la concurrence, la nomination dans une zone donnée d'un notaire déjà installé à un office créé dans la même zone ne renforce pas l'offre de services.

Pour les notaires, l'Autorité a recommandé que 1 650 notaires libéraux supplémentaires soient nommés. Par l'arrêté du 16 septembre 2016, le Gouvernement a confirmé la carte proposée par l'Autorité, en précisant qu'il y avait lieu de raisonner en nombre d'offices. Au total, il prévoit la création de 1 002 offices supplémentaires devant mener à la nomination de 1 650 notaires libéraux. Si, à l'issue d'un délai d'un an, dans les zones dont le nombre d'offices créés est conforme à la recommandation, l'objectif en termes de nombres de notaires libéraux n'est pas atteint, le garde des sceaux reprend l'instruction des dossiers et les nominations pour atteindre ce nombre.

Par ailleurs, dans les zones qui ne sont pas classées « zones vertes », en vertu de l'article 52 de la loi, rien n'interdit au garde des sceaux de nommer des candidats à l'installation.

Ces éléments rappelés, revenons sur la procédure de nomination qui a cours, en ce moment, pour les notaires. Il s'agit d'être précis sur ce sujet complexe. Des décrets, en date du 29 juin et du 9 novembre 2016, ont permis aux sociétés civiles professionnelles (SCP) et aux sociétés d'exercice libéral (SEL) d'officiers publics et ministériels d'être titulaires de plusieurs offices : c'est ce qu'on appelle la multi-titularité. Cette disposition est le résultat d'un arbitrage dont la mission d'information n'a absolument pas eu connaissance. La loi ne la rend pas nécessaire et elle a été introduite à la seule initiative du Gouvernement. Elle pose de nombreux problèmes et peut aller jusqu'à remettre en question à terme la notion même d'office.

Les décrets du 9 novembre 2016 sont intervenus une semaine seulement avant l'ouverture du dépôt des candidatures pour les notaires. Dans toutes les zones vertes, le nombre de demandes enregistrées dans les premières vingt-quatre heures a été supérieur au nombre de recommandations pour la zone. Il y avait donc lieu de procéder à des tirages au sort dans chacune des 247 zones vertes, conformément aux dispositions du décret du 20 mai 2016.

Or, la faculté pour les sociétés de détenir plusieurs offices a perturbé le déroulement de la procédure et a suscité l'incompréhension. En effet, à partir du moment où cette possibilité a été ouverte par les décrets mentionnés, il devenait impossible de refuser aux sociétés existantes de participer au tirage au sort. Au total, le ministère de la justice a ainsi enregistré près de 30 000 demandes de nomination, de nombreux demandeurs ayant effectué plusieurs demandes dans des zones différentes, comme le décret du 20 mai 2016 le permet. À ce stade, il n'est pas possible de connaître le nombre total de sociétés existantes parmi les demandeurs mais, fort heureusement, il semble qu'au 1er février 2017, sur les 74 zones pré-instruites, seules 9 % des demandes émanaient de sociétés existantes. Nous espérons donc que l'objectif recherché, c'est-à-dire l'installation de nouveaux officiers publics et ministériels puisse être atteint.

Je suggère dans le rapport deux pistes pour que, in fine, 1 650 nouveaux notaires soient nommés, sans fermer aux sociétés existantes la possibilité d'être nommées dans des offices créés. Toutes deux se fondent sur la méthode de l'Autorité de la concurrence pour évaluer les besoins en offre de service.

L'urgence est désormais de nommer ces professionnels et donc de procéder aux tirages au sort. Après la suspension par le juge des référés du Conseil d'État du premier arrêté fixant les modalités pour les tirages au sort, les garanties de régularité de la procédure ont été renforcées par un nouvel arrêté. Les tirages au sort ont repris, sans qu'il ait été possible de conserver les résultats obtenus antérieurement à la suspension par le Conseil d'État. Ils ont désormais lieu tous les mercredis à la Chancellerie. À ce jour, 29 zones ont été tirées au sort. Le retard pris justifie, s'agissant des notaires, que ces tirages au sort s'effectuent dans un délai très rapproché, les postulants aux charges d'officiers publics et ministériels attendant souvent dans des conditions difficiles.

Concernant la réforme de l'accès à la profession d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, je regrette que nos remarques sur la procédure de nomination n'aient pas été entendues. Malgré les réticences que le président-rapporteur et moi-même avons exprimées, nous constatons avec regret que la commission chargée de classer les candidats aux offices créés n'a pas été supprimée. La logique de l'entre-soi perdure donc au sein de cette profession, qui fait prévaloir tantôt la logique libérale tantôt la logique du service public, c'est selon.

S'agissant en troisième lieu de l'interprofessionnalité, nous n'avons pas à ce stade rencontré de difficultés particulières.

Un mot enfin sur la création de la profession de commissaire de justice. L'ordonnance du 2 juin 2016 fixe les règles relatives au statut de cette nouvelle profession, issue du rapprochement entre les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice. Ses dispositions entreront en vigueur au 1er juillet 2022.

Mes chers collègues, la loi pour la croissance et l'activité est également la loi pour l'égalité des chances économiques. Les dispositions sur les professions du droit s'inscrivent pleinement dans cet esprit. Cette mission d'information s'est attachée, depuis sa constitution, à ce que le pouvoir réglementaire retranscrive au mieux l'intention de la loi. La démarche est novatrice. Elle s'est révélée d'autant plus essentielle que la phase d'application de la loi n'a pas été un long fleuve tranquille. On peut simplement regretter que la mission n'ait pas été sollicitée lorsque des arbitrages importants devaient être rendus, en particulier s'agissant du volet relatif à la libre installation des professions.

Le système doit maintenant trouver son rythme de croisière, sachant qu'il répond désormais pour partie au principe de révisions périodiques propres à adapter le cadre juridique aux situations nouvelles.

Cette mission est inédite, comme l'était la commission spéciale mise en place pour travailler sur cette loi. Je pense qu'elle est résolument moderne. Elle s'inscrit dans ce travail de qualité et de transparence qu'attendent de nous les citoyens, et dans le travail de contrôle que le Parlement doit effectuer depuis la révision constitutionnelle de 2008 et qui impose l'usage de nouveaux outils, dont cette commission de suivi est un exemple dont devra s'inspirer la prochaine législature.

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