Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 15 février 2017 à 16h20
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard :

À l'instar de notre collègue Gilles Savary, j'assisterai aussi tout à l'heure à l'audition, par la commission des affaires sociales, de Mme Marianne Thyssen, commissaire européenne en charge de la directive relative au détachement international. Vous voudrez bien, je l'espère, excuser mon départ anticipé de notre réunion, car je veux l'entendre et, le cas échéant, l'interroger sur les questions soulevées.

J'en viens à l'application de la loi du 6 août 2015, dite « loi Macron ». Je vous dirai quelques mots sur les derniers développements depuis notre premier rapport d'application, notamment en ce qui concerne les aspects de droit du travail et, plus précisément, la justice prud'homale.

Le décret du 23 novembre 2016 a réformé cette dernière. Il fixe le référentiel commun en matière d'indemnisation du préjudice, quand il y a licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Je m'attarderai sur deux points, relativement à ce décret.

Premièrement, quant à sa construction, il tient compte presque exclusivement de l'ancienneté, puisqu'il ajoute un mois au total des mois d'indemnisation déterminé par rapport à l'ancienneté, quand le salarié a plus de cinquante ans ou qu'il a une situation personnelle qui le handicape au regard de la situation sur le marché du travail. Ce référentiel fait croître l'indemnisation de 0,5 mois par année d'ancienneté supplémentaire, jusqu'à 18 mois cumulés ; au-delà, l'indemnité ne croît plus que de 0,25 mois par année d'ancienneté supplémentaire. Il ne sera pas très facile d'expliquer pourquoi l'augmentation annuelle de l'indemnité diminue au fur et à mesure que l'ancienneté du salarié s'accroît.

En outre, on arrive ainsi à une indemnité maximale de 21,5 mois, ce qui me paraît être en deçà de ce que reçoit un salarié licencié qui a une forte ancienneté. Même si ce n'est pas fréquent, on voit des situations où les salariés reçoivent des indemnités équivalant à deux ans de salaire lorsqu'ils sont licenciés après vingt ou vingt-cinq ans de métier. Je crois d'ailleurs qu'il est important que les préjudices soient effectivement réparés.

Deuxièmement, ce barème de dédommagement en matière de licenciement pour cause réelle et sérieuse est identique, que l'on passe en bureau de conciliation ou en bureau de jugement. L'outil fourni aux prud'hommes est le même dans les deux cas. Naturellement, c'est voulu. Il est vrai, d'ailleurs, que le barème initial prévu pour la conciliation était trop faible, de sorte qu'il était très peu employé.

Pourtant, à mon sens, ce me semble être une erreur que d'avoir un barème identique dans les deux cas. Au stade de la conciliation, en effet, la situation n'est pas la même que devant le bureau de jugement. Au stade de la conciliation, l'employeur ne prend pas le risque d'être condamné à tout ce que demande le salarié ; le salarié ne prend pas non plus le risque d'être débouté de toutes ses demandes. Dans cette situation de conciliation, comme en matière de transaction, il y a donc un échange de risques. Le salarié n'est en effet jamais sûr d'obtenir satisfaction, sauf lorsque la lettre de licenciement n'est pas motivée. À l'inverse, l'employeur n'est jamais complètement sûr que son salarié sera débouté.

Il en va différemment dans une situation de bureau de jugement. Faute de conciliation, l'enjeu porte à la fois sur la condamnation pour cause réelle et sérieuse, d'une part, et sur l'indemnité qui sera fixée, d'autre part. Mais il n'y a pas d'abattement à prévoir sur la condamnation relative à la cause réelle et sérieuse, puisque l'indemnité n'est précisément envisagée qu'une fois établie l'absence de cette cause.

Bien que les situations soient différentes, l'outil donné est le même. Je regrette donc cette sorte de fragilité du décret, qui ne correspond pas en tous points à ce qui était souhaité, du moins par moi. Il fallait rehausser le barème devant le bureau de conciliation, mais celui-ci ne pouvait pas être le même que celui devant le bureau de jugement.

Mais le règlement a précisément pour avantage de pouvoir être modifié beaucoup plus facilement que la loi. Il sera donc toujours temps d'y revenir.

Cela étant, la réforme des prud'hommes est pratiquement achevée, puisque le décret sur la déontologie et la procédure disciplinaire applicables aux conseillers prud'hommes est paru le 28 décembre 2016, et que le décret sur la constitution des listes des défenseurs syndicaux a été publié le 18 juillet 2016. Nous attendons néanmoins encore le décret concernant les modalités d'indemnisation de ces derniers. Annoncé pour mars 2016, il n'est toujours pas paru un an plus tard ; il serait souhaitable que ce soit chose faite avant la fin du quinquennat.

Pour ce qui concerne la discrétion à laquelle est soumise le défenseur syndical à propos des éléments ayant servi à la négociation ou lui ayant été communiqués pour les besoins de la défense d'un salarié ou d'un employeur, la loi a retenu le terme d'« obligation de discrétion » de préférence à celui de « secret professionnel », qui heurtait les avocats.

Le caractère piquant de la situation est que le Conseil national des barreaux, qui était hostile à ce que le défenseur syndical soit soumis au secret professionnel, a tiré argument, pour attaquer le statut des défenseurs syndicaux, du fait que l'avocat est soumis au secret professionnel alors que le défenseur syndical n'a qu'une obligation de discrétion, ce qui introduit une inégalité entre la personne défendue par un avocat et celle qui a confié ses intérêts à un défenseur syndical. C'est ce qu'on appelle l'arroseur arrosé, car si le Conseil constitutionnel censure cette obligation de discrétion, nous ne pourrons faire autrement que de soumettre le défenseur syndical au secret professionnel, ce que voulaient à tout prix éviter les avocats.

En ce qui concerne la procédure prud'homale, j'ai posé au Gouvernement, le 2 août 2016, une question écrite sur le régime des nullités. Je m'étonne de ne toujours pas avoir obtenu de réponse, alors que le délai légal de réponse est de deux mois. Cette situation est très surprenante : ce n'est, en effet, pas difficile pour l'auteur d'un décret de répondre à une question portant justement sur son interprétation.

Même si je n'étais pas convaincu de la nécessité d'une disposition législative, nous avons par ailleurs inscrit dans la loi, à l'article L. 1454-1-2 du code du travail, une disposition concernant la clôture de l'instruction. Reste la question du rabat de clôture – dans le cas où survient un événement après la clôture –, qu'un texte réglementaire devrait pouvoir régler assez rapidement.

Enfin, il faut signaler que le décret du 20 mai 2016 précise la nouvelle procédure écrite devant la cour d'appel et instaure une représentation obligatoire, sachant que cette représentation a ceci de particulier qu'elle peut être assurée par un défenseur syndical, qui n'a, en l'état, accès ni au réseau privé virtuel des avocats ni à celui du ministère de la justice.

Il n'y a rien à dire sur l'inspection du travail, puisque l'ordonnance a été publiée le 7 avril 2016. Comme le président-rapporteur, je fais valoir qu'il serait souhaitable que les commissions parlementaires soient saisies des projets d'ordonnance en temps utile, c'est-à-dire dès le départ, afin que nous puissions les enrichir. En l'occurrence, j'ai été, à titre personnel, saisi de ce dernier projet, et il a été tenu compte d'une partie de mes remarques. Le Gouvernement est donc sur la bonne voie.

Un mot pour conclure sur les prestations de service internationales et les cas de concurrence déloyale, rappelant que, ce qui est en cause, ce n'est pas leur principe mais leurs modalités. Tous les textes nécessaires à l'application des dispositions contenues dans la loi ont été rapidement pris. Je pense notamment au décret du 7 avril 2016, qui concerne les entreprises de transport, ou au décret du 22 février 2016, qui fixe pour le secteur du bâtiment les modalités de mise en oeuvre de la carte d'identification professionnelle, que chaque travailleur sur un chantier doit pouvoir présenter à l'inspection du travail. Si j'insiste sur cette dernière réforme, c'est que ce sont les organismes professionnels qui en sont à l'origine et qui l'ont pensée dans la perspective de lutter contre la concurrence déloyale. Cette collaboration entre une profession et le législateur me paraît assez exemplaire.

J'ajoute enfin que la transmission dématérialisée des déclarations ou attestations de détachement a été prévu par un décret du 29 juillet 2016.

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