Intervention de Richard Ferrand

Réunion du 15 février 2017 à 16h20
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Ferrand, rapporteur, président :

Nous arrivons à la conclusion de nos travaux, au moins dans le cadre de cette législature. Le rapport que je vous présente aujourd'hui vient compléter et actualiser un premier rapport paru il y a près d'un an, en mars dernier. Ces deux rapports doivent être considérés comme un tout indissociable et ne peuvent être lus indépendamment l'un de l'autre.

Depuis la parution du premier rapport, la mission d'information a continué ses travaux, procédant notamment à trois auditions supplémentaires, toutes consacrées au volet professions réglementées du droit. Parallèlement, notre collègue Gilles Savary, ancien rapporteur thématique du volet mobilité de la loi, a procédé à plusieurs auditions portant sur la réforme du permis de conduire.

Comme le premier rapport, le rapport d'aujourd'hui comporte plusieurs parties. La première partiese veut un état des lieux chiffré de la mise en oeuvre de la loi.

Je rappelle que le premier rapport de mars 2016 faisait apparaître que 80 % des articles de la loi étaient entièrement applicables près de huit mois après sa promulgation, si on ajoutait aux articles d'application directe ceux devenus entièrement applicables du fait de la parution de l'intégralité des mesures réglementaires qu'ils nécessitaient ou des ordonnances dont ils contenaient l'habilitation. À cette date, plus de la moitié des mesures réglementaires d'application nécessaires, soit 56 %, avait été publiée.

Un an plus tard, soit environ dix-huit mois après la promulgation de la loi, ce taux de mise en oeuvre est désormais de plus de 97 %. En effet, la quasi-totalité des textes réglementaires prévus par la loi ont été pris. Seules cinq dispositions de la loi doivent encore être précisées par le pouvoir réglementaire. Vous en trouverez la liste dans le rapport.

Le rapport s'intéresse également aux textes d'application de niveau 2, par exemple les décrets mentionnés dans les ordonnances publiées ou les arrêtés prévus par certains décrets. En la matière, le taux de mise en oeuvre apparait moins satisfaisant : d'après nos calculs, seulement 45 % des dispositions des ordonnances nécessitant un décret auraient effectivement fait l'objet d'une mesure d'application. Certes, certaines ordonnances n'ont été publiées qu'au début de l'année, mais la plume étant tenue en la matière par le seul pouvoir exécutif, la préparation conjointe des ordonnances et de leurs décrets d'application, beaucoup plus facile que dans le cas des projets de loi, aurait dû conduire, me semble-t-il, à une publication plus précoce des mesures d'application.

En outre, il est un domaine où la mise en oeuvre de la loi n'est absolument pas satisfaisante, c'est celui des rapports demandés au Gouvernement. Lors de la parution du premier rapport, aucun des dix rapports demandés n'avait été transmis au Parlement. La situation s'est à peine améliorée en moins d'un an, puisque seulement trois rapports ont été remis. Si, pour trois des rapports encore attendus, le Gouvernement est encore dans les délais, ce n'est pas le cas des quatre autres.

La deuxième partie, établie sous la responsabilité de notre collègue Gilles Savary qui ne peut être des nôtres aujourd'hui, traite des dispositions relatives à la mobilité. Elle met à jour les données du premier rapport concernant le transport de voyageurs par autocar et comporte des développements nouveaux sur les dispositions relatives aux autoroutes et à la réforme du permis de conduire. Je vous y renvoie.

La troisième partie, la plus fournie comme la fois précédente, traite des professions réglementées. Depuis un an, l'actualité en la matière a été riche. Je laisserai notre collègue Cécile Untermaier présenter cette partie du rapport.

La quatrième partie, établie sous la responsabilité de notre collègue Stéphane Travert, traite du travail dominical. Elle fait état notamment de l'aboutissement des négociations sociales dans les grands magasins qui ont permis leur ouverture le dimanche. Je rappelle que le principe de la réforme était « pas d'accord, pas d'ouverture ». Celui-ci a été respecté et il convient de s'en féliciter.

Enfin, la cinquième et dernière partie fait le point sur la mise en oeuvre des nombreuses autres dispositions de la loi du 6 août 2015.

Après cette présentation très rapide du rapport, je souhaite terminer mon intervention liminaire en tirant les leçons de nos travaux.

En premier lieu, si la quasi-totalité de la loi est désormais effectivement applicable, le recul dont nous disposions était insuffisant pour mesurer ses effets ou apprécier si elle a atteint les objectifs que lui avaient assignés le législateur et le Gouvernement.

À titre d'exemple, le marché du transport de voyageurs par autocar, qui s'est développé très rapidement, n'est pas encore consolidé. S'agissant des notaires, alors que la liberté d'installation était au coeur de la réforme des professions réglementées contenue dans la loi, les péripéties de sa mise en oeuvre font que les premiers nouveaux notaires ne pourront pas « visser leur plaque » avant la fin de la législature.

Il appartiendra donc aux députés de la prochaine législature de s'emparer d'une évaluation plus qualitative de l'application de la loi du 6 août 2015.

En second lieu, j'ai toujours répété que notre mission d'information poursuivait un double but.

Le premier est devenu classique : il s'agissait de suivre de près le calendrier de publication des textes d'application, condition indispensable à une entrée en vigueur effective de la loi. Je crois que nous pouvons conclure que, d'un strict point de vue temporel, la mise en oeuvre de la loi du 6 août 2015 a été très satisfaisante. Permettez-moi de penser, en toute immodestie, que notre mission n'y est pas pour rien.

Mais, nous ne pouvions nous contenter de ce travail de greffier de l'activité réglementaire. Notre second objectif était, lui, sans précédent : il s'agissait de s'assurer que le contenu des textes d'application était bien conforme à l'intention du législateur.

Je rappelle que j'ai obtenu du Premier ministre que la mission d'information soit destinatrice des projets de décrets ou d'ordonnances, au rythme des arbitrages rendus en réunions interministérielles – les « fameuses » RIM –, le cabinet du Premier ministre centralisant ces transmissions.

Cette méthode nous a incontestablement permis de travailler efficacement. Elle m'a donné l'occasion de saisir le Premier ministre ou les ministres compétents de points précis sur lesquels nous souhaitions des inflexions.

Le rapport de mars 2016 mentionne les cas où ces remarques ont été suivies d'effets. Postérieurement à la publication du rapport, une autre suggestion de la mission a été partiellement suivie à propos de la sanction de nullité du non-respect des formalités de saisine de la justice prud'homale.

De même, nos travaux ont été à l'origine de deux amendements adoptés avec l'avis favorable du Gouvernement, lors de la discussion de la « loi Travail ». C'est ainsi qu'un amendement de notre collègue Stéphane Travert et de moi-même a assoupli le dispositif de fixation des « dimanches du maire ». De même, un amendement de notre collègue Denys Robiliard et cosigné également par moi a prévu la possibilité pour le bureau de conciliation et d'orientation du conseil des prud'hommes de prononcer la clôture de l'instruction par ordonnance.

Ces suites données à nos travaux suffisent à justifier a posteriori le bien-fondé de notre démarche. Elles confirment ainsi la double conviction qui était la nôtre.

D'une part,le législateur est parfaitement légitime à veiller que son intention est respectée ou n'est pas dénaturée par le pouvoir réglementaire.

Je ne prendrais qu'un exemple. Nous avons pu constater l'émoi qu'a suscité chez les intéressés la possibilité offerte par deux décrets à une société d'officier public et ministériel d'être titulaire de plusieurs offices. Cette possibilité n'est certes pas contraire à la loi votée, mais elle n'en est pas non plus une conséquence nécessaire. Il ne s'agit pas de contester la capacité pour le pouvoir réglementaire de prendre une telle initiative. Cependant, il est apparu que cette question a fait l'objet de divergences profondes entre les deux ministères compétents et que l'arbitrage finalement rendu l'a été au nom du respect des travaux parlementaires et de l'intention du législateur. S'il ne faut faire de procès d'intention à quiconque, il me semble que si des doutes existaient sur la portée de la lettre ou de l'esprit de la loi, les rapporteurs de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi n'étaient pas les plus mal placés pour apporter leur éclairage.

Quand on veut connaître l'intention du législateur, autant la lui demander. Cela évite les exégèses fallacieuses.

D'autre part,les observations susceptibles d'être formulées par les parlementaires ne sont pas moins illégitimes ni plus intrusives que celles que le pouvoir réglementaire recueille, en application de textes ou de sa propre initiative, auprès des professionnels ou des personnes concernés ou des multiples commissions ou comités consultatifs que notre pays multiplie à l'envi.

À cet égard, la genèse de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale est éclairante. Le Gouvernement a, en effet, recueilli l'avis de sept conseils ou comités consultatifs, d'une mission interministérielle et d'une autorité administrative indépendante. Il a, en outre, organisé une consultation du public. Ainsi donc, les dizaines de personnes composant ses instances et les dizaines d'organismes qu'elles y représentent peuvent disposer des textes, à un stade parfois précoce de leur rédaction.

Comment dès lors comprendre que la transmission des mêmes documents au Parlement puisse apparaître incongrue ?

Au-delà du seul cas de la loi du 6 août 2015, je suis convaincu que le prochain Parlement devra se saisir, en l'approfondissant, de l'exemple de notre mission d'information. À cet égard, il est indispensable que, désormais, les commissions permanentes soient destinatrices de tous les projets de décrets ou d'ordonnances. Grâce à l'acquis de l'expérience, cette transmission ne devrait pas se faire uniquement au rythme des arbitrages interministériels, mais à un stade plus précoce, lors des différentes consultations auxquelles le Gouvernement procède, et au moment de la saisine effective du Conseil d'État.

En ce qui concerne les ordonnances, dans la mesure où celles-ci doivent depuis 2008 faire l'objet d'une ratification expresse, les commissions permanentes devraient également systématiser l'initiative prise par l'ancien président de la commission des affaires économiques, notre ancien collègue François Brottes, d'auditionner le Gouvernement sur les projets d'ordonnances avant leur adoption par le Conseil des ministres.

La réforme constitutionnelle de 2008 a expressément inscrit le « contrôle de l'action du Gouvernement » parmi les missions dévolues au Parlement. Je pense que nous sommes tous convaincus que ce contrôle de l'action du Gouvernement commence dès l'élaboration des mesures d'application des lois.

Encore une fois, il ne s'agit que d'un devoir d'information du Parlement. Celui-ci en fera l'usage qui lui paraîtra le plus opportun. Répétons-le, il ne s'agit pas de donner au pouvoir législatif quelque droit de veto ou d'injonction que ce soit. Il s'agit plus simplement d'organiser un espace de collaboration et de co-construction de la loi, dans le respect des prérogatives de chacun.

J'espère donc vivement que nous avons été les précurseurs d'un renforcement concret de la place du législateur dans la confection et la mise en oeuvre de la loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion