Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 8 février 2017 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet :

En ce qui concerne le rôle des collectivités et leur efficacité, mon souci était de ne pas rajouter de structures supplémentaires. Pour cela, il faut revenir à la référence essentielle de ce rapport : le parcours d'éducation artistique et culturelle, avec le référentiel mis en place par la circulaire de 2015, qui se base sur la co-construction et les partenariats.

Ce référentiel, qui s'appuie sur les enseignements au sein des écoles, doit devenir le référentiel de tous les intervenants. La prise de rôle des collectivités se fait toujours dans le cadre de cette circulaire et du référentiel. Je propose, dans le rapport, de renforcer le rôle du comité territorial de pilotage. C'est lui qui sera à la manoeuvre pour instruire et piloter le contrat pluriannuel de territoire qui doit être mis en place sur les territoires les plus éloignés de l'offre culturelle. Je le répète, je n'ai pas ajouté de structures supplémentaires. Nous travaillons sur l'existant.

S'agissant du manque de temps et de concertation, je crois possible, en suivant à la lettre le contenu de la circulaire, d'arriver à une concertation efficace, tout en laissant remonter l'initiative locale. Il est hors de question de brider les initiatives locales et le rôle des collectivités.

S'agissant des contraintes budgétaires, je dois vous dire qu'au cours des rencontres avec les quelque 300 personnes sur le terrain et à l'Assemblée nationale, il a rarement été question d'argent. Cela étant, le but de la mission n'était pas d'effectuer une expertise financière sur la construction du parcours d'éducation artistique et culturelle. Quoi qu'il en soit, la question financière n'était pas la première préoccupation des personnes que j'ai rencontrées. D'autant que j'ai pu relever des exemples montrant le réalisme des collectivités en la matière.

Ainsi, dans la communauté d'agglomération Porte de l'Isère, où nous nous sommes rendus, située en zone périurbaine et comptant 100 000 habitants, l'EPCI consacre à la construction du parcours d'éducation artistique et culturelle 200 000 euros, soit deux euros par habitant seulement. Je pense également à l'expertise menée dans le cadre de l'initiative d'excellence (IDEX) sur l'université de Bordeaux au titre du projet UBIC – Université Bordeaux Inter-Culture –, qui accompagne certains projets en termes d'ingénierie. Il s'agit là de quelques dizaines de milliers d'euros. Le manque d'argent n'est donc pas la préoccupation essentielle.

Je tiens à vous rassurer sur la modestie des opérations menées, notamment en milieu rural, mais aussi à en souligner l'ambition. Vous avez évoqué le problème des grosses collectivités disposant de structures importantes qui risquent de « stériliser » les terrains périphériques ou de devenir des lieux d'attraction des zones rurales sans qu'il y ait redistribution. Il faut tendre vers ce qu'il se passe dans les territoires ruraux, car cela peut conduire à des expériences très modestes, mais fructueuses.

Dans la communauté de communes La Ferté-Saint-Michel, dans l'Orne, une enseignante de français, travaillant en binôme avec son collègue professeur d'arts plastiques, nous a raconté ce qu'il s'est passé le jour où le principal de l'établissement a fait venir dans la salle des professeurs une équipe d'architectes. Elle nous a dit que tout avait commencé très modestement, que les enseignants leur avaient offert un café et avaient discuté avec eux. L'idée, pour le maire qui avait accueilli cette équipe d'architectes, était qu'ils travaillent avec les jeunes pour les réconcilier avec leur milieu.

Les architectes ont commencé à faire parler les jeunes, qui avaient une vision assez sombre de leur commune. Il faut comprendre le cadre dans lequel ils vivent : c'est la campagne de Moulinex… Les usines ferment, c'est le déclin industriel et la pauvreté.

Les architectes ont fait parler les jeunes de leurs habitudes, de leur quotidien, de l'arrêt de bus, de la boulangerie etc. Partant d'un récit qui traduisait finalement un certain plaisir à être ensemble, ils leur ont demandé comment ils aménageraient la place de leur village, l'arrêt de bus, l'endroit où ils discutent… Cela a débouché sur la création par ces jeunes d'une sorte de cartes postales pour parler de leur commune. C'était un projet très modeste, mais il a réconcilié les jeunes avec leur environnement et montré qu'il était possible de monter un projet, même avec un budget de quelques milliers d'euros.

La circulaire de 2013, les comités territoriaux de pilotage et le référentiel du parcours d'éducation artistique et culturelle sont donc des outils essentiels.

J'en viens à la formation et au rôle des ESPE. On nous a dit, à Blois, que l'enseignement artistique et culturel au niveau du master ne bénéficiait que de vingt-quatre heures sur deux ans. Mais en fin de compte, c'est la pratique dont les enseignants ont le plus besoin.

On l'a constaté, notamment dans la ville de Pantin et dans le département du Cantal, les formations croisées autour d'un projet entre les enseignants et les acteurs de l'éducation artistique et culturelle sont les plus fructueuses et peuvent être favorisées par les formations d'initiative locale (FIL). Cela étant, il faut que les barrières s'abaissent. Très souvent, il y a, de la part des enseignants, des réticences à considérer que l'animateur ou l'artiste est un alter ego avec lequel on peut bâtir un projet. On oppose les niveaux de formation, la volonté de ne pas empiéter sur le territoire de l'autre.

Les formations croisées sont nécessaires. L'université doit être également un lieu de formation culturelle pour les étudiants, au sein duquel ils peuvent construire des projets.

Je reprends l'exemple bordelais. Le projet UBIC de l'université de Bordeaux, les masters et les formations aux pratiques culturelles ont été, dans le cadre de l'IDEX, le moteur de toute une ingénierie, une expertise apportée à des communautés de communes ou à des EPCI qui voulaient bâtir leur projet. Dans le journal Le Monde d'hier, un article citait Bordeaux et sa volonté de croiser les enseignements, de mêler sciences et art. L'université doit devenir un creuset de pratiques culturelles pour les étudiants afin qu'ils aient à l'esprit cette idée de parcours culturel, quelle que soit ensuite leur activité professionnelle. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine prévoit d'ailleurs, dans son article 53, la construction d'un partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur de la création artistique et les écoles pour les aider à bâtir leurs projets.

La question de M. Féron sur le diplôme des métiers d'art nécessiterait un débat entier sur son équivalence avec les autres diplômes universitaires et sur la spécificité de la formation des professionnels artistiques et culturels.

Pour répondre à la question de Valérie Corre, le PEAC doit faire partie intégrante du PEDT.

Pour ce qui est d'associer davantage les parents d'élèves au dispositif, la préconisation n° 18 prévoit d'intégrer des représentants des familles au sein du Comité local de pilotage qui établit le bilan des actions du PEAC.

J'en viens à la question des inégalités.

Ma préconisation n° 26 prévoit la création d'un contrat pluriannuel en direction des territoires les plus défavorisés en matière d'offre culturelle. Je reprends mon propos introductif décrivant une mécanique descendante. L'État donne l'impulsion, le Premier ministre réunit un comité interministériel pour l'EAC, avec les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture, ainsi que le ministère de l'Agriculture et le ministère de la Ville. Il s'agit de définir le cadre dans lequel doit se construire le parcours d'éducation artistique et culturelle, cadre dont se saisissent ensuite, sous l'égide du préfet, les comités territoriaux, qui prévoient des dispositions particulières pour les territoires les plus éloignés de l'offre culturelle.

Il faut articuler appel à projets et expertise, dans la mesure où il ne faut pas continuer à arroser là où l'herbe est déjà verte. En effet, les territoires les plus démunis sont les moins aptes à se signaler. Cela suppose de mettre des outils, des cartographies, à la disposition du comité territorial et de la conférence territoriale de l'action publique. Le comité territorial doit pouvoir s'appuyer sur des outils techniques – pilotage, préfet, collectivités territoriales – pour désigner les territoires les plus démunis et leur proposer, pendant trois ans, un contrat pluriannuel afin de les aider à élaborer des projets.

Cela pose aussi la question de la mobilité et des ressources locales. Quand nous sommes allés à Aurillac, nous avons été accueillis par la DRAC à l'aéroport, où l'on nous a dit qu'il fallait attendre le danseur… Nous avons ensuite compris que le danseur, c'est-à-dire l'artiste chargé d'une animation dans le département du Cantal, était venu d'ailleurs, dans le même avion que nous !

Pour lutter contre ces inégalités, l'EPCI ou la communauté de communes est l'échelle la plus pertinente, parce que c'est, en général, l'espace de vie de l'élève. On peut retracer son parcours scolaire, périscolaire et extrascolaire à travers l'EPCI. Il va à l'école, au collège, au lycée, et il a des activités artistiques dans cet environnement. D'où l'idée de créer des réseaux d'établissements scolaires au sein des EPCI et de construire des projets, ce qui permet d'avoir une « traçabilité » du parcours de l'élève. L'EPCI est à la fois le cadre de la coopération et celui dans lequel vit l'élève.

Pour conclure, je dirai qu'il faut laisser le temps au temps. C'est ce qui ressort de l'ensemble de mes préconisations, qu'il s'agisse des contrats pluriannuels ou de la concertation pour élaborer un projet, tant au niveau de l'école que de la collectivité locale.

Nous avons vécu de grands moments d'émotion en écoutant le récit poignant de personnes qui avaient découvert la culture. Je terminerai en citant le témoignage de cadres d'ATD Quart Monde, qui ont un jour proposé à des gens à la rue, dans le cadre d'un processus de resocialisation, de jouer Antigone. On leur a demandé en quoi la culture pouvait aider des gens qui n'avaient rien. Ils ont répondu en citant les propos de la fondatrice d'ATD Quart Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz : « Manger, boire, un toit, c'est ce que je peux souhaiter à mon chien, mais un homme, c'est autre chose. ».

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